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  • : PARLHOT
  • : Parlhot cherche à remettre l'art de l'interview au cœur de la critique rock. Parce que chroniquer des CD derrière son ordi, c'est cool, je le fais aussi, mais le faire en face du groupe en se permettant de parler d'autres choses, souvent c'est mieux, non ?
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INTERVIEWS

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11 mars 2009 3 11 /03 /mars /2009 11:54

Le centre mou





"Quand l'adolescent regarde ses chaussures, il rêve à son futur"

"Shoegazing Kids c'est comme une espèce en voie de disparition qu'il faut câliner"




Revenons au style musical que vous développez sur Shoegazing Kids, il m'intrigue. Pour moi il évoque une sorte de mélange entre rock indé et pop FM, mélange que j'ai dernièrement trouvé et apprécié chez un autre groupe français comme Rhesus. Rhesus quand j'écoute leur The Fortune Teller Said, j'entends à la fois Sonic Youth, les Pixies, Goldman et Cock Robin ! Et c'est aussi ce que promet l'album à venir des Elderberries, une sorte de gros rock produit à la sauce FM par le mec qui a bossé pour Coldplay. J'ai le même genre de sentiment quand je vous écoute. Ça vous inspire quoi ?

Emmanuel : Bah faire du rock indé ça ne veut pas forcément dire faire un rock rêche et ardu comme le Daydream Nation de Sonic Youth. Parce que par exemple tu as aussi The Smashing Pumpkins qui ont un son très puissant, très lourd, mais qui font une musique est crémissimo, soyeuse. Dans le rock indé tu as tout ça.
François : Oui, quand on pense rock indé on pense aussi aux Smashing Pumpkins et à Nirvana, des groupes modèles du genre qui ont pourtant explosé sur la FM.


Ça me rappelle ce qu'a dit récemment ma mère en entendant Nirvana à la télé, comme quoi elle n'aimait pas trop que le chant criard du mec mais que finalement la musique passait parce qu'elle y décelait une mélodie. Ça m'a surpris mais finalement Nirvana c'est ça : de vraies chansons pop au-delà des guitares et des grumeaux dans la voix.
François : C'est clair.


Et vous c'est un peu le même délire : vous sortez les guitares mais vous les peignez soigneusement pour qu'elles ne tapent pas sur le crâne. Vous pouvez donc plaire à ma mère !
Arno : Pourquoi pas ?!
François : Et puis Sonic Youth a réussi à prouver qu'il y avait des textures super agréables dans la dissonance. On essaie nous aussi d'en trouver.
Emmanuel : C'est sûr qu'on n'essaie pas de faire du garage rock. Plein de groupes sont dans cette esthétique 1-2-3-4 on bourrine comme si on était dans notre cave. Ce n'est pas notre truc.


En fait chez Stuck In The Sound il y a un côté BCBG dans le son, propre, lisse, lover. C'est pour que ça plaise aussi aux filles ?
Arno : Ouais, aussi !
François : Il faut que la musique soit un minimum chatoyante et attirante avant de devenir, comment dire ? Esotérique et lettrée. Et puis bon, on contrebalance ça en étant plus fou sur scène (rires) !
Emmanuel : En même temps c'est être ambitieux que vouloir faire un truc léché. Et puis la question ne se pose même pas en ces termes. C'est juste que lorsque tu enregistres tu cherches le type de prod qui va coller à l'esprit de tes chansons. Et une prod cheap ou agressive aurait dénaturé l'esprit de ces nouvelles chansons, qui se veulent assez sentimentales, mélancoliques. Pour illustrer ça on avait besoin d'un son qui soit riche, coloré, agréable.


Comment vous est venue l'idée d'appeler l'album Shoegazing Kids ?
Arno : Je crois qu'on a décidé ça pendant l'enregistrement du disque au studio Vega qui se situe dans le sud de la France, à Carpentras. On cherchait un titre tournant autour de l'idée de l'adolescence car tous les morceaux de l'album tournent autour de ça, les joies et les problèmes de l'adolescence, les premiers baisers, les premières ruptures. Et puis on est tombé sur la photo d'une de nos fans, celle qui orne maintenant la couverture du disque. On voit la fille tirer son T-shirt et regarder ses chaussures comme une adolescente introvertie dont on a du mal à dire si elle se sent mal dans sa peau ou pas. On a alors pensé au terme "shoegazing" qui, avant de définir un style musicale, signifie regarder ses chaussures. On s'est dit que ce serait un bon terme pour définir cette période d'introversion qu'est l'adolescence.
François : Quand l'adolescent regarde ses chaussures il rêve à son futur, même s'il se sent différent des autres et qu'il ne sait pas trop à quoi s'attendre avec le monde.


Ce titre a induit des gens en erreur. Ils croyaient alors avoir affaire à un disque de shoegazing et en fait non, votre musique n'est pas shoegaze !
François : En même temps elle n'est pas non plus à mille lieux du shoegaze.


Oui, parce que votre musique véhicule une petite part de cet onirisme cotoneux qu'on retrouve à bloc dans le shoegaze.
François : Il y a une parenté sonore parce qu'on aime ces sonorités issues de la fin des 80's et du début des 90's.




Tout à l'heure je vous parlais de Rhesus qui, comme vous, négocie parfaitement le cross over indie rock / pop FM. Avec son dernier album, Saturday = Youth, Antony Gonzales de M83 se situe lui aussi dans cette mouvance. Vous connaissez ?

Arno : Non...


Sa musique est clairement plus shoegaze que la votre car il revendique ouvertement l'influence de My Bloody Valentine. Mais elle a aussi cette douceur et ce romantisme qu'on retrouve en filigrane chez vous. Et ce n'est pas étonnant parce que d'un autre côté il assume clairement l'influence de la pop FM, celle de Tear For Fears par exemple. Il est donc dans le même entre-deux musical que vous. En plus de ça, comme en témoigne le titre de son disque (Saturday = Youth semble être comme un écho à Shoegazing Kids) il a les mêmes préoccupations que vous, à savoir que ses chansons parlent beaucoup d'adolescence perdue. D'ailleurs voyez la pochette de son disque, on y voit aussi des adolescents à l'humeur ambiguë, entre tristesse et fierté.
François : Ah oui, carrément...


Mais il n'y a pas de secret, Antony Gonzales a le même âge que vous. En fait avec ce concept de Shoegazing Kids vous avez mis le doigt sur quelque chose de générationnel !
François : Peut-être, mais on n'a pas fait exprès !


D'ailleurs dans le même genre il y a aussi The Teenagers. Vous connaissez ?
François : Vaguement.


Eux aussi sont vraiment à cheval entre indie rock et pop FM et parlent à fond d'adolescence. Leur spécificité c'est qu'ils le font avec un max d'ironie en tournant en dérision les codes culturels anglo-saxons dans lesquels ils ont baigné. D'ailleurs lorsque je les avais interviewé on avait presque autant parlé de musique que de sitcoms, genre Sauvés par le gong, Parker Lewis ne perd jamais, etc. Et si je vous parle de ça c'est que votre album m'a fait la même impression. C'est-à-dire qu'à l'écoute de Shoegazing Kids j'ai eu le sentiment d'être embringué dans une sorte de sitcom pour ado, un truc un peu emo, avec tous les clichés du genre, genre Dawson !
Arno : Avec des riffs à la Beverly Hills !
François : Non, mais ce n'est pas faux, il y a de ça. Parce qu'on est un peu dans le trip d'une Amérique fantasmée. Grave. Je veux dire, nous, un des groupes qui nous a le plus influencé c'est The Zit Remedy des Années Collèges. Ils n'ont qu'un seul titre mais il déchire.


Je ne m'en rappelais plus ! Ça donnait quoi l'air ?
François : "Everybody want something, they'll never give up..."
Emmanuel : Les filles de la série étaient plus belles que celles qu'on avait dans notre classe...


Aha. Revenons à ce titre Shoegazing Kids. Vous avez le chic pour trouver des titres accrocheurs. Déjà Nevermind The Living Dead ça sonnait bien et là rebelote. En plus, après ce "Nevermind" qui faisait forcément penser à l'album culte de Nirvana, avec ce "Shoegazing" vous arrivez une nouvelle fois à placer un mot qui véhicule l'histoire du rock. Il y a un publicitaire dans le groupe ou quoi !?
Arno : Oui, notre publicitaire c'est Jack Daniels (rires) !
François : Arno a raison parce qu'on était dans un bel état quand on a décidé de ce titre (rires) ! Mais c'est vrai que c'est rigolo parce que c'est le deuxième titre qui a à la fois un sens pour nous, pour le disque et qui en plus fait référence à l'histoire du rock. Et c'est une bonne chose de montrer dans quelle tradition on se place. On n'aurait par exemple jamais pu appeler ce disque Tostaky Youth (rires) !


Votre science du titre s'exprime même dans l'intitulé de vos chansons, qui est toujours concis et catchy. Par exemple que signifie "Zapruder", le titre du morceau d'ouverture de Shoegazing Kids ?
François : C'est le nom du caméraman qui avait filmé l'assassinat de JFK. Le premier film gore ! C'est vrai qu'on aime bien avoir des titres qui claquent. Ça vient peut-être de notre culture de français qui ont kiffé sur le rock à un âge où on ne comprenait pas les paroles mais où on trouvait qu'elles claquaient sévère.


Même votre nom de groupe claque ! D'où vient-il ?
Arno : Je crois qu'il date de l'époque où on était en face de ciné avec José. Une de ses amies l'avait surnommé Stuck in the sand, "coincé dans le sable". On est allé voir notre prof d'anglais à la fin du cours et il nous a dit que pour un nom de groupe ça ne voulait rien dire, mais que si on remplaçait "sand" par "sound" ça créerait un côté féerique un peu plus sensé. On l'a regardé et on a fait : "Ok".
François : Aujourd'hui on s'est pleinement approprié ce nom de groupe.


Stuck In The Sound c'est un peu comme Daft Punk, ça sonne tellement et c'est tellement dépositaire d'une griffe, comme une marque, un club, que les gens ont fini par lui trouver un diminutif. De la même manière qu'on dit les Daft on dit les Stuck.
Arno : Ouais, mais avoir un nom à rallonge c'est pas mal aussi parce que ça permet de bien voir ton nom quand tu joues dans une salle où ils affichent le nom des groupes.
Emmanuel : Oui et puis dans les années 90 tous les groupes qu'on aimait avaient des noms pas possibles, genre The Smashing Pumpkins, Rage Against The Machine. Du coup c'est vrai, les gens usaient de diminutif, genre les Smashing, les Rage. On est donc content qu'il nous soit arrivé la même chose.


Et puis Stuck ça fait "stock" ! Un mot très 90's qui ne se dit plus aujourd'hui.
Arno : Aha, on est stock ! Sérieux, c'est pas mal ce mot. En plus ça me fait aussi penser à "stone" : "Aha, je suis complètement stock !" Yes.


J'ai lu quelque part qu'avec Shoegazing Kids vous aviez voulu faire THE bel album avant que le disque ne soit vraiment un support dead de chez dead. Ce qui fait de ce disque un disque triplement nostalgique, de par son support, ses références musicales et son propos sur l'adolescence.
Arno : Oui, on ne sait pas trop ce que sera l'avenir. Si ça se trouve dans 2-3 ans au moment de sortir notre troisième album le truc ce sera juste de sortir des singles vendus en ligne.
François : Donc voilà, peut-être que Shoegazing Kids est notre dernier CD. Parce que le CD c'est comme un Panda : une espèce en voie de disparition qu'il faut câliner (rires) !



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9 mars 2009 1 09 /03 /mars /2009 16:10
Le centre mou




"Il faudrait trouver un nouveau terme pour définir ces groupes français qui marient si bien indie rock et pop FM. Pour moi ils font quelque chose comme du doudou rock". Je dis ça à propos de Near The Edge Of Something Beautiful, le chouette dernier album d'Exsonvaldes dans un nouveau rock mag actuellement en kiosque. Saurez-vous retrouver de quel mag il s'agit ? Il n'a pas de vision et sa maquette craint. Des comme ça, il y en a plein les rayons, dites-vous ? Oui, d'ailleurs je parie que d'ici avril ils auront mis la clef sous la porte. Bref, je m'écarte (des cuisses) du sujet. Je disais ça parce que ce symptôme de "doudou rock" s'applique aussi pile poil à Shoegazing Kids, le nouveau Stuck.


Si les Stuck séduisent en masse et en énervent quelques-uns avec leur deuxième album, c'est qu'ils incarnent une sorte de centre mou du rock, ni trop indé ni trop peu, ni trop rétro ni trop peu, ni trop rentre dedans ni trop peu, enfantant un disque cool, sensible et crâneur mais ne générant, au bout du compte, que peu d'émotion. Moi-même, je me découvre "centre mou" à son sujet, partagé entre l'évidence d'être alpagué par son souffle mélodique et celle de constater qu'il n'apporte rien au schmilblick.


"Ces jeunes gens ont su digérer un bon nombre d'influences sans complexes", me disait un attaché de presse aguerri au lendemain de leur concert à la Maroquinerie. Façon de dire que ça lui en touche une sans remuer l'autre, alors que juste après il m'avouera, dans un genre qui n'est pas le sien, avoir été secoué par quelques morceaux du dernier live de Saez, et que ça lui arrive de moins en moins de frissonner à un concert.


Chez les Stuck, cette suspicion de studieuse fadeur se double de leur aura de win attitude. Une amie qui les a connu à leurs débuts m'a dit que ça lui faisait bizarre de voir ce qu'ils étaient devenus. "Ce n'est pas que j'aime pas ce qu'ils sont devenus, m'a-t-elle précisé, c'est que ça me fais bizarre de voir que les ados avec qui je jouais à Mario Kart sont devenus des rocks stars branchouilles." Le mot est lâché. Dans un pays où le succès est synonyme de prostitution et où l'on préfère les losers, synonyme, eux (coucou Cheval Blanc), d'intégrité, de sincérité et de poésie, avoir du succès c'est être branchouille. Sale. Une autre objection ?


"Shoegazing Kids, ça sonne moins comme un titre d'album que comme le titre d'un article des Inrocks" me lâchait récemment Xavier du groupe La Féline. Et oui, c'est vrai les Stuck savent s'automarketer. C'est vrai qu'ils sont doués et qu'ils le savent. C'est vrai qu'à l'heure du grand cross-over musical de 2009 ils sont très axés anglo-américains, qui plus est sur des groupes aussi cultes et dead que The Cure, The Smiths, Pixies, Sonic Youth, Nirvana, Smashing Pumpkins, et que ça ne les empêche pas de se retrouver en une d'un mag électro. Et c'est vrai que leur rock n'en a pas moins quelques secousses discoïdes pour faire danser les filles, et donc la meute des loups affamés. Et c'est vrai aussi qu'ils sont plutôt beaux gosses.

 


Pour toutes ces raisons, les Stuck ne sont plus cette joyeuse bande de minikeums qu'ils formaient il y a encore 4 ans avec The Dodoz, Sheraff, eLdIA, Hey Hey My My et I Am Un Chien. Ça c'était du temps de leur premier album, Nevermind The Living Dead. Aujourd'hui "l'époque de l'explosion rock parisienne" où ils étaient "tous indépendant" et où "il y avait une sorte d'esprit communautaire" qui faisait qu'ils s'entraidaient pour tout, tout ça, c'est fini. Maintenant qu'ils ont "tous plus ou moins signé quelque part, chez un tourneur ou une maison de disques, c'est moins facile de jouer ensemble parce qu'il y a des histoires d'intérêts commerciaux". Façon de dire, derrière la langue de bois d'usage que l'aventure est derrière eux (bonjour Copains d'avant) et qu'aujourd'hui ils sont un peu sur des rails.


Cela mérite-t-il un flingage ? Non. Une interview ? Oui. Une discussion ambiance "Ouais, mais" pour questionner leur nature de "garçons jouets" cools, bosseurs et propres comme des Strokes made in France ; pour remettre en cause la rage triste et Ikea de ce Shoegazing Kids ; pour égratigner ce manifeste d'indie rock français qui évoque un imaginaire de sitcom et de campus US que brocardaient "Smells Like Teen Spirit" et "Popular". Imaginaire où ce groupe insuffle une note trouble, comme en écho à l'Elephant de Gus Van Sant.


Ce 26 janvier, José Reis Fontao, le chanteur guitariste du groupe à la capuche invariablement vissée sur le crâne n'est donc pas de la partie. Je ne pourrai pas digressé de mon angle en lui demandant pourquoi il porte toujours cette capuche sportswear qui lui donne des airs de caillera Obi-Wan Kenobiesque (le gimmick du clip de "Ouais"). Quand il se pointera après la bataille, j'oublierai même de lui poser cette question et de l'interroger brièvement sur ce que je considère comme une des forces des Stuck (son chant et sa manière de régulièrement zapper tout souci de lyrics pour japper des chorus onomatopesques). Au lieu de ça, on reviendra une fois de plus sur le buzz monstre que son groupe déclenche pour la sortie de Shoegazing Kids, et il me fera part de son souhait de se prendre enfin la paire de baffe critique qui les remettra en place. Je n'ai pas été si dur avec Emmanuel Barichasse (guitare), Arno Bordas (basse) et François Ernie (batterie/choeurs), mais quand même...


 



"La plupart des musiques sont des musiques de rétroviseur"


"rajouter de l'électro pour en faire du Flash Dance 2009 n'aurait pas fait avancer la musique"



Salut les gars. Avant de démarrer officiellement cette interview nous parlions de l'enthousiasme quasi unanime soulevé par votre disque auprès des critiques. Sérieux, vous n'avez pas reçu l'ombre d'un seul bémol ?
Arno : On a vu qu'une critique moyenne. Mais elle vient d'un mec qui n'aime pas notre musique. Il n'avait pas aimé le premier album. Et il dit que le deuxième est dans la continuité du premier, qu'il n'y a rien d'original. Il ne nous descend même pas.


Qu'on critique l'originalité de votre musique, ça vous touche ?
Arno (rires gênés) : Oui, parce qu'on évolue dans un genre, le rock indé, où il y a de la place pour tout le monde, un genre où tu trouves autant The Smashing Pumpkins que Sonic Youth. Tous ces groupes ont chacun leur identité propre et c'est vers ça qu'on veut tendre.
Emmanuel : Le mec qui nous a fait cette critique a peut-être raison, je n'en sais rien, mais ce qui est sûr c'est qu'il a le droit de ne pas aimer parce que finalement tout ça ce n'est qu'une histoire de goût. Non, ce qui m'embête c'est plus les gens qui collent sans cesse les mêmes références sur ta musique alors que toi tu cherches à faire ton propre truc.


J'ai un pote qui m'a fait la même remarque. Enfin ce n'est même pas qu'il trouve votre musique sans originalité c'est qu'il trouve totalement régressif et sans intérêt de faire un disque de rock influencé fin 80's / début 90's en 2009. Pour lui un bon groupe doit faire une musique en phases avec son temps. Que pensez-vous de ça ?
François : Nous on ne s'inscrit dans aucune tendance...


Je n'ai pas dit le contraire, je disais juste autre chose, à savoir que votre musique regarde fondamentalement dans le rétroviseur.
François : Comment dire ? La plupart des musiques sont des musiques de rétroviseur. Quoique tu fasses tu ne fais donc que choisir un rétroviseur ou un miroir plus ou moins moderne pour refléter des choses du passé. Notre disque peut paraître régressif et déplacé comparé à tout ce qui sort en ce moment dans le créneau revival mid eighties, mais je pense que notre disque aurait quand même été surprenant s'il était sorti en 1991. Parce qu'il n'est pas qu'une resucée d'influences nineties. Il y a aussi des choses plus modernes.
Emmanuel : Oui, si on se plongeait dans la discographie auquel ce disque fait référence on verrait l'écart qui a été franchi. On verrait qu'on sonne plus frais que plein de choses issues des années 90 dont certaines ont mal vieilli. Je n'ai pas ma discographie sous les yeux mais par exemple notre disque n'a rien à voir avec Alice In Chains !
Arno : Avec Nirvana non plus ! Alors que c'est le groupe phare de notre adolescence.
Emmanuel : Après c'est peut-être régressif en soi de faire un disque guitare-basse-batterie en 2009...


Oui, c'est la question que je vous pose. N'est-ce pas régressif de continuer à faire une musique si pop-rock et anglo-saxonne en 2009 ?
Emmanuel : C'est-à-dire que je n'aurais pas considéré ça comme une avancée majeure pour la musique si on avait rajouté un beat électro à nos morceaux pour en faire une sorte de Flash Dance version 2009.
François : On aurait pu essayer d'avoir un son plus moderne, ne serait-ce qu'en recyclant la superbe vague French Touch de ces dernières années, mais on en a déjà beaucoup entendu et on n'a pas envie de se lasser nous-mêmes de notre disque. Quelque part on est heureux qu'il ne sonne pas en phase avec son temps...
Emmanuel : Qu'il ne soit pas daté avant même de sortir...
François : Mais tu as peut-être raison, c'est peut-être régressif. D'ailleurs je vais tout de suite aller manger mon caca (rires) !
Emmanuel : On n'a pas fait du copier/coller. On a juste fait le truc qu'on sait faire, qu'on aime faire et qu'on a envie d'écouter. Et on est fiers de ce disque. On a l'impression d'avoir fait un grand pas en avant par rapport au précédent.


A quels niveaux ?
Emmanuel : A tous les niveaux. Déjà Nevermind The Living Dead avait été composé sur un laps de temps très long. Quand il est sorti des morceaux avaient déjà 2-3 ans. Et ça faisait 55 fois qu'on les avait joué live. A sa sortie ce disque ne nous représentait donc que partiellement. Et puis à l'époque on n'était pas encore très à l'aise en studio, on était en train d'apprendre. Il y a donc des morceaux qui ont été fait de façon très pro et d'autres qui ont été bricolés et qui n'ont pas pu prendre leur pleine dimension. A l'inverse, sur ce nouvel album on a essayé de faire un tout cohérent avec un début, un milieu, une fin. Et les morceaux sont plus frais, plus raccord avec ce que le groupe est aujourd'hui.


Cette histoire d'album avec un début, un milieu, une fin c'est quelque chose que vous aviez planifié ?
Arno : Non, on n'est pas parti sur un concept album ! On est sorti de la tournée lessivé. On n'avait aucun morceau à part quelques pistes trouvées pendant les balances. Mais on a eu la chance de trouver un studio à Bordeaux, les studios Carat. Et on s'y est enfermé durant trois sessions d'une semaine, pour jouer, composer et enregistrer la moindre idée qui viendrait. Et à chaque fois que José ou Manu trouvaient de bonnes idées à la guitare acoustique on les retransformait tous les quatre jusqu'à ce que le résultat plaise à tous. Cette période d'écriture a été beaucoup plus courte que celle du premier album.


Et trois semaines d'écriture ont suffit à donner les 12 morceaux de Shoegazing Kids ?!
Emmanuel : Oui, les morceaux sont venus assez naturellement, sans idées préconçues. Certains ont juste demandé plus de brainstorming que les autres parce qu'ils étaient le fruit de collages de différentes pistes qu'on avait archivées à droite à gauche. Mais voilà, il n'y a pas eu de grosses souffrances ni de pages blanches.


Pourquoi avoir choisi Nick Sansano pour assurer non pas la prod du disque comme j'ai pu le lire à droite à gauche, puisque c'est vous qui l'avez produit, mais le mix ?
Arno : Pour le premier album on avait la chance d'avoir notre studio donc on a plus ou moins tout fait avec notre ami ingé-son Romain Della Valle. Et pour la prod et les prises de son de Shoegazing Kids on a de nouveau fait appel à lui parce qu'il nous connaît vraiment parce qu'on a une telle complicité avec lui qu'il peut nous dire franchement : "Stop les mecs, ça c'est de la merde !"


Vous ne vous êtes donc pas dit que ça péterait d'afficher le nom d'un producteur anglo-saxon sur votre disque ? Ça ne vous a pas tenté ?
Arno : Si, c'était en option, mais il faut garder à l'esprit qu'on est nous-même producteurs de nos disques et qu'on est de petits producteurs, on fait donc gaffe à la manière dont on investi notre argent les différentes étapes de réalisation du disque. Tu ne peux pas mettre toutes tes billes sur la prod, car après il faut assurer le mix et le mastering. Mais grâce à l'expérience acquise lors de l'enregistrement du premier album cette fois on a pu faire les prises de son nous-même. On a tout testé pour finalement se rendre compte que la solution évidente était de jouer tous les 4 dans la même pièce sans métronome et sans click.


Votre nom de groupe n'est donc pas usurpé : vous êtes vraiment en plein dans le son !
François : C'est clair qu'on s'est pris la tête sur ce disque-là !
Arno : On n'arrêtait pas d'en parler, même quand on n'enregistrait pas.
Emmanuel : Mais finalement, après ces trois semaines de maquettage intense, quand on est entré en studio on avait déjà une idée très précise du son qu'on voulait. Restait plus qu'à savoir comment l'obtenir. Et on savait comment s'y prendre parce qu'avait beaucoup discuté de la méthode à suivre avec Romain. Pour la prod on n'avait pas envie de faire appel à quelqu'un d'extérieur qui nous aurait donné des leçons et aurait peut-être dénaturer les morceaux.
François : Aujourd'hui on est très heureux d'avoir ensuite travaillé avec Nick pour le mixage, mais c'est vrai qu'à l'époque il y a des moments où on hésitait carrément à faire appel à lui...


Vous comptiez carrément le snober ?!
Arno : C'est-à-dire qu'on voulait vraiment ce son live de quatre mecs jouant ensemble comme dans les disques des années 70 ou ceux plus vieux de la Motown. Parce que jouer ensemble c'est ça qui nous fait vibrer et... Mince, je ne sais plus où je voulais en venir (rires) !
François : En fait on n'a pas voulu tricher sur disque en rajoutant des caisses et des caisses d'arrangements qu'on ne pourra jamais reproduire en live...

C'est vrai que finalement la prod du disque est assez sobre...
François : Ouais, le disque est honnête, c'est juste nous quatre, avec quelques petites fioritures sur la voix mais c'est tout. Mais voilà, après la rencontre avec Nick a été géniale.


Pourquoi l'avoir choisi lui ?
Arno : C'est en décortiquant qui avait travaillé sur les albums de Sonic Youth qu'on est tombé sur Nick Sansano. A côté de ça son nom nous avait aussi été rappelé par d'autres personnes, rapport à son travail avec Noir Désir, Public Enemy, etc. Mais nous c'est surtout son travail avec Sonic Youth qui nous intéressait parce qu'on oeuvre d'un style qui n'est pas très loin du leur. A part lui on avait contacté 2-3 autres mixeurs mais il a été le premier à nous répondre, et d'une manière super enthousiaste et chaleureuse. On a donc choisi de bosser avec lui.
François : Ca nous intéressait vachement d'avoir quelqu'un qui pourrait venir un peu faire le ménage dans tout ce qu'on avait essayé de faire, tout en respectant le fait qu'on s'était vraiment impliqué dans le son du disque. Et il a été à la fois hyper créatif et hyper à l'écoute. La collaboration fut donc parfaite.


Et en effet ce qui frappe à la première écoute de l'album c'est l'unité sonore. Tous les morceaux s'enchaînent impeccablement avec le même son, limpide, coloré, catchy.
François : ça c'était quelque chose d'important pour nous. On voulait vraiment une identité sonore forte du début à la fin du disque. On est donc heureux d'avoir réussi à la faire ressentir.
Emmanuel : C'est pour ça que c'était important qu'on le fasse le son nous-même parce que ça nécessitait des partis pris techniques peu conventionnels qui auraient pu faire peur à un réalisateur un peu trop classique qui ne connaîtrait pas l'histoire et la nature du groupe.


D'un autre côté ce qu'on retient dans ce son c'est qu'il n'est pas très rugueux pour du rock indé. Je veux dire qu'il y a beau avoir plein de guitares on est loin de Sonic Youth. Tout au long du disque votre son est caressant, presque mielleux comme si vous faisiez le pont entre l'intensité du rock indé et la douceur de la bande FM.
Arno : Euh je pense que ça vient de la nature même de la formation musicale. C'est-à-dire que José joue sur une guitare acoustique en nylon espagnol, un truc qui sert à jouer du flamenco à la base, et à l'échelle de toute l'histoire du rock indé il y a peut-être un groupe qui fait ca, pas plus ! Et c'est le matériau de cette guitare qui donne cette douceur. Il a beau la saturer avec un ampli, elle sort quand même un son super doux avec une grande richesse harmonique.
François : En même temps, artistiquement c'est cette brèche entre l'indie rock pur et dur et la pop FM qu'on cherche à investir. On n'a pas envie de se permettre tout ce que se permet Sonic Youth.


(Suite.)

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8 mars 2009 7 08 /03 /mars /2009 21:10
Eldorado gonzo




"Je suis tombé dans le chaudron"


"les premiers rockers ont inventé un langage"



Comment êtes-vous devenu photographe ?
Quand j'étais adolescent je regardais beaucoup de magazine, genre Paris Match, des magazines d'actualité, des magazines de mode et de décoration. J'aimais bien l'utilisation de la lumière dans les photos de décoration et le regard porté par les photographes de Elle. A l'époque, Elle avait des grands noms : Jeanloup Sieff, David Bailey, Hervé Guibert, Richard Avedon, des gens qui me fascinaient complètement, même si je n'ai jamais fait de photos de mode de toute ma carrière ! A la librairie Brentanos j'achetais chaque année le supplément annuel de populaire photographie. C'est là que j'ai vu les premiers portfolios de nombreux grands photographes américains. Sans faire de photos, en regardant comme ça juste en amateur je me suis donc un peu formé l'œil à la photographie et j'ai acquis une certaine connaissance parce que j'étais capable, en regardant une image, de dire de qui elle était. Ça, c'était en 61-62. Et c'est à l'été 66 c'est là que j'ai vraiment décidé de devenir photographe. Là, je suis parti aux Etats-Unis pour la première fois avec l'idée de faire des portraits de musiciens de jazz, etc. Avant de partir je suis donc allé trouver la revue Jazz Hot, rue Chaptal. C'était une revue que je lisais, j'aimais bien leur ton, etc. Et je leur ai proposé de faire des photos de musiciens. Je leur ai demandé s'ils avaient des adresses à me filer. Ils ont été extrêmement gentils, ils m'ont filé une carte de presse bidon mais surtout un wagon d'adresses qui m'ont été assez utiles sur la côte ouest. Mais surtout, surtout, surtout, dans les bureaux de Jazz Hot à l'époque se concoctait le numéro 0 d'une revue qui allait s'appeler Rock&Folk. Quand je suis arrivé là-bas évidemment j'ai fait quelques portraits de musiciens de jazz, mais aussi de rock, de folk, de blues, quelques inconnus d'ailleurs qui l'ont moins été par la suite. A New York j'ai rencontré par hasard Frank Zappa qui était débutant à l'époque et ça m'a permis de faire des photos de lui et de son groupe, Mother of Invention. A Los Angeles j'ai fait des photos des Beach Boys. Là, j'avais carrément pris rendez-vous. J'avais téléphoné à des directeurs artistiques des maisons de disques pour faire des photos de groupe. J'ai aussi pris des photos du paysage américain qui est un beau sujet en soi. Et voilà, quand je suis revenu des Etats-Unis trois mois après, j'ai montré mes photos et c'est comme ça que j'ai publié mes premières images.


Quelle est la première photo que vous ayez vendue ?
C'est une photo en couleur des Beach Boys que j'ai vendue en automne 66 à un petit mensuel qui s'appelait Formidable et qui était un émule de Salut les Copains. Juste après, il y a eu Rock&Folk.


Comment se passait concrètement votre collaboration avec Rock&Folk ?
J'allais aux Etats-Unis et je leur envoyais parfois des images par la Poste. On était dans les années 60 donc il n'y avait rien qui ressemblait de près ou de loin à Internet ! Et je n'avais aucune commande, c'était moi qui décidais ce que j'envoyais. J'étais pigiste.


Mais un pigiste présent sur le terrain idéal pour un magazine comme Rock&Folk ?
Effectivement, l'époque était tout d'abord très spectaculaire. Et en allant là-bas, notamment en Californie, je suis tombé dans le chaudron et l'aventure sans vraiment l'avoir cherché.


Mais vous partiez là-bas avec votre passion du jazz pour vous mettre sur la voie...
Il y a trois choses qui m'intéressaient : les portraits de musiciens, les sujets de société et les paysages. Les portraits de musiciens je n'en fais plus mais photographier les grands faits de société et des paysages, oui, toujours.


Vous n'avez donc jamais pris le moins cours de photographie ?
Non, rien, pas le moindre stage. Et quand j'ai posé des questions à des photographes, en général ils ont éludé mes questions parce qu'ils sont avares de leurs secrets et de leurs conseils sur leurs pratiques. Mais, Dieu merci, il m'est parfois arrivé de voyager avec des photographes et de les regarder faire et d'en tirer des conséquences !


Dans tout ça, comment êtes-vous venu à écrire sur le rock ?
Au départ je n'écrivais pas du tout. Quand j'ai ramené mes photos à Rock&Folk à la fin de l'année 66 en revenant des Etats-Unis, le rédac chef, Philippe Koechlin à l'époque, m'a dit : "J'aime bien tes photos, super. Est-ce que tu ne pourrais pas nous faire un texte avec ?" Voilà comment j'ai commencé à écrire !


Ecrire, c'était un réel plaisir pour vous ?
Oui, parce que j'avais fait des études littéraires et j'étais plutôt bon dans ce domaine. Ecrire, c'était donc comme le prolongement naturel de mon cursus scolaire. Je vais vous donner une réponse à la Man Ray : je fais en photo ce que je n'arrive pas à faire en peinture et je fais en peinture ce que je n'arrive pas à faire en photo (rires) !


Quelles sont vos photos sur la musique dont vous êtes le plus fier ?
J'ai des photos qui me rendent heureux mais je ne place pas ma fierté dans les photos ! C'est un peu des moments de hasard. Mais des photos qui me rendent heureux, il y en a pas mal oui. Dans les années 60, il y a un portrait de Clapton que j'aime bien, une photo d'Hendrix, un portrait en noir et blanc de Syd Barrett que j'aime beaucoup. Dans les années 70, il y a une photo de Brian Eno à l'hôtel George V, une photo de Zappa. J'aime bien mes premières photos, j'ai une espèce de tendresse pour ces premières photos. C'est l'apprentissage, c'est la découverte, c'est faire des photos sans avoir une éducation photographique, beaucoup de spontanéité.


Quelle musique écoutez-vous en ce moment ?
Beaucoup de choses différentes. Je n'écoute pas spécifiquement une musique. Il peut m'arriver d'écouter des vieux des vieux trucs parce qu'une compilation me tombe sous le nez. J'écoute du blues, du bluegrass, de la country. Mais j'écoute aussi ce qui se fait aujourd'hui car je laisse traîner mes oreilles sur ce qui se fait sur Internet. J'ai une page Myspace et comme par hasard plein de gens de la musique viennent se coller dessus. Donc voilà j'écoute ce qu'ils font et les disques qu'on me donne ou qu'on m'envoie. Et dans les nouveautés, j'ai bien aimé les Kings of Leon. Le nouveau rock américain est pas mal. Ils ont leur territoire.


Sauf qu'aujourd'hui un groupe rock a plus de mal à percer qu'hier car le rock n'est plus ce territoire vierge qu'il était quand vous l'avez découvert. Aujourd'hui le rock c'est au contraire un genre musical surpeuplé et très segmenté.
J'ai connu quoi : les années 60. Voilà le moment où le rock a vraiment compté pour moi, sur le plan professionnel et en tant qu'amateur. Et à l'époque il n'y avait pas énormément de groupes. En comptant large il y en avait une quinzaine. Il y en avait certainement davantage en production locale mais on ne le savait pas parce qu'ils n'étaient pas exportés tout simplement. Je sais que par exemple il existait des dizaines et des centaines de groupes sur la côte ouest américaine, notamment dans le doo wop, mais on ne les connaissait pas, il n'y avait que 2-3 tubes qui émergeaient de tout ça. Aujourd'hui on a accès à des milliers de groupes ! Qui font un peu tous pareil, le même format, la même musique ! Maintenant il y a effectivement énormément de gens sur ce territoire. Musicalement ils apprennent plus vite et sont sans doute plus accomplis que les groupes de l'époque.


Ils sont plus accomplis mais moins originaux.
Oui, les artistes qui ont précédé étaient originaux parce que c'était des absolute beginners. Ce sont eux qui ont inventé un langage et maintenant ce langage est utilisé par tout le monde.


Quels sont vos projets maintenant ? Votre actualité ?
Je viens de finir une expo cet été à New York sur le thème du Summer of love. Récemment une galerie parisienne a exposé mon travail à la Fiac. Donc voilà en ce moment je n'ai pas d'actualité mais j'ai différents livres en cours, différentes expos en préparation, mais je n'en parle que lorsqu'ils paraissent, rien ne sert de vendre la peau de l'ours... !




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6 mars 2009 5 06 /03 /mars /2009 11:35
Eldorado gonzo




S'il existait quelque chose comme les Victoires de la rock-critic, Alain Dister y aurait gagné plus d'un prix. Né le 25 décembre 1941, "trois semaines après Pearl Harbor, sept mois après Bob Dylan", aimait-il à dire, ce correspondant américain du Rock&Folk de la grande époque a couvert en live l'avènement de la scène hippie, fréquentant comme le pékin moyen des mec qui deviendront les demi dieux qu'on sait. Mais le 2 juillet, des suites d'une longue maladie, à 66 ans, comme le rapporte son Myspace, "Alain Dister s'en est allé rejoindre Jimi, Janis, Frank, et tant d'autres passés devant son Leica."


En octobre 2007, sous le prétexte d'un article "matos" pour un magazine sur les nouvelles technologies, j'avais la chance de m'entretenir avec lui au téléphone. Ce fut mon premier et seul contact avec ce photographe, journaliste et écrivain que j'ai senti à la hauteur de sa réputation, humble, passionnant. Si je vous en reparle aujourd'hui c'est en vertu de ça. J'ai l'impression que l'histoire a retenu peu de témoins aussi humains et pertinents du séisme que fut le rock. Alain Dister était vraiment sur le terrain, la d'où le feu sortait, sacré, mais moins mythologique que pour ceux qui étaient resté en France avec leurs lunettes françaises. Oui, c'est comme ça que je le vois Dister, une sorte d'Haroun Tazieff du journalisme rock, un passionné tellement proche de la naissance de son sujet, et contemporain de son apogée, qu'il n'avait pas à trier, critiquer, mais à être là, ouvert aux rencontre, à l'aventure, et cueillir avec talent. A l'heure où il n'y a plus vraiment de topos rock fédérateur, mais une multitude de critiques qui se marchent sur les pieds en se disputant sur les notions galvaudées de gonzo et de rock-critic, à l'heure où, justement, en la matière ne reste trop souvent que mots, critique, subjectivité et guéguerre d'ego - des voyages immobiles, rien de beatnik, rien qui engage la vie - comme ici (Gonzo = Bonzo) et ici (My Dark Stuff), ça fait du bien de faire le point en revenant à la source. Et si je vous en reparle c'est aussi parce que le 3 et 4 mars dernier France Culture a diffusé une émission spéciale Alain Dister, "Alain Dister, l'absolute beginner", par Anita Castiel, et que l'émission devrait bientôt être disponible en podcast sur le site de radio. Merci à Pierre Mikaïloff, écrivain rock qui a participé au sujet, de me l'avoir rappelé. Flashback sur mon article d'octobre 2007, publié à l'occasion de la réédition de son livre Rock Critic, et interview d'Alain Dister dans la foulée.

Le rock au-dela des clichés




Dans la rock critic, il y a ceux qui ont inventé le genre et ceux font genre. Alain Dister, 65 piges, fait partie de la première catégorie. Il ne porte ni Ray Ban ni cuir ni santiags mais respire le rock comme personne. De 1967 à 1982, cette culture, il l'a tâté in vivo sur sa terre natale, avec son stylo mais pas que. Son appareil photo était aussi de la fête. A l'occasion de la réédition de Rock critic, son recueil de Chroniques de rock'n'roll (1967 - 1982) sorti initialement en 1987, il nous évoque son parcours d'infatigable homme de terrain.


En 2003, je me suis lancé dans l'écriture d'un mémoire sur les rock critic, mémoire que je n'ai jamais fini. Mais il m'a permis de rencontrer les cadors du genre, ceux qui ont installé leurs signatures en haut de l'affiche, dans Rock&Folk, Libé, Les Inrocks, Technikart, de discuter avec eux en long, en large, en travers et dans les coins. Et j'ai beaucoup appris. Notamment qu'être rock critic, ce n'était pas pour moi. Au départ, bien sûr, je voulais en être. Ça me fascinait. Mais ce mémoire m'a vacciné, je vous assure. Etre critique de rock, à la limite, je dis pas, mais journaliste, ça me va aussi.


En fait, être rock critic, il y a ceux pour qui ça veut dire quelque chose, qui n'en démorde pas, pour qui c'est l'œuvre d'une vie, l'accomplissement d'une trajectoire d'autodidacte forcené, une saleté de truc identitaire. Ceux-là, ils ne se considèrent ni journaliste, ni journaliste musique, ni critique de rock, mais rock critic. C'est leur étiquette, leur titre, leur chapelle. Un truc de l'ordre de la mythologie personnelle, de petits arrangements avec soi-même. Faut pas trop décortiquer, pas trop leur chercher des poux. Ce serait d'un coup comme essayer de faire comprendre à Superman qu'il est ridicule avec son slip par-dessus son pantalon. Ils sont devenus ce slip par-dessus ce pantalon. Ces Ray Ban sur ce visage. Des mystifications totales. "On naît rock'n'roll ou on ne l'est pas", vous disent-ils, histoire de tuer le débat (et ouais les kidsss !, pour ne pas le nommer). Vous les égratignez un peu, ils perdent toute coolitude. Ils s'effarouchent, vous lachent : "C'est pas comme ça que vous allez faire votre grande entrée en ville", "Vous êtes lecteur et vous allez le rester" (toujours ce kidsss  éternel, pour moi-même... ça sent la trouille, non ?). Oui, ils parlent comme ça, version mafieux amer, cow-boy de pacotille. Car voyez-vous, ce sont des Rockers. Brrrrr...


Il en reste quelques-unes de ces marionnettes du rock biz, de ceux qui font genre après que d'autres aient créé le genre. Je tairai les noms, vous les savez comme moi, et ils ne sont pas beaux à voir. Ces mecs sont devenus des caricatures du personnage qu'ils se sont crées à 20 piges. Pour exister. Pour être plus qu'un simple fan, plus qu'un journaliste, mais l'écrivain qui sommeille dans le rock critic, la star à l'image de leurs idoles. Ils vous citent tout le temps les mêmes bouquins cultes, vous disent qu'ils ont pris de la drogue parce que telle rock star modèle en avait pris. Oui c'est triste, il y a un côté mouton. Un côté ado. Et il n'y a peut-être rien de moins rebelle qu'un ado. Bref, il y a eux et il y a Alain Dister, photographe et pigiste du Rock&Folk des débuts.





"me frotter à ce qui a donné corps à cette musique"


"ne pas enluminer les choses par projection personnelle"


En septembre votre recueil de Chroniques de rock'n'roll (1967 - 1982) a été réédité. Il s'intitule Rock critic. Ce n'est pas un mot anodin rock critic...
Oui, c'est un mot qui n'existait pas quand j'ai commencé. A l'époque, on n'était même pas critique de rock, on était journaliste, pigistes, mais pas rock critic. Le terme tel que je l'ai orthographié là est arrivé au milieu des années 70 sous l'influence des rock critic américains, notamment Lester Bangs ou des rock critic anglais comme Nick Kent. Et il a donné une crédibilité à cette profession qui n'en est pas une, parce qu'on n'était que des amateurs de rock qui écrivaient sur ce qu'ils aimaient.


En France ce terme rock critic désigne souvent des gens qui fantasment beaucoup le rock sur lequel ils écrivent. Or vous, de toute évidence, vous ne fantasmiez pas votre sujet, vous écriviez ce que vous voyiez, parce que vous étiez là où les choses se paissaient.
C'est vrai que j'ai passé plusieurs années là-bas, que j'y suis retourné fréquemment. Si j'additionne tous les moments que j'ai passé aux Etats-Unis, ça fait un paquet d'années. Mais j'ai passé aussi beaucoup de temps en Angleterre. Je suis un homme de terrain quelqu'il soit, je ne fais pas des plans sur la comète en restant chez moi. J'ai vraiment besoin de me confronter à la réalité des choses. Donc j'avais besoin de me frotter à ce qui a donné corps à cette musique, les gens, le paysage, la société, etc.


Or la rock critic française implique presque par définition cette part de romance et de fantasme parce qu'on appréhende le rock depuis notre sol français, avec notre culture française. Vous, vous n'avez pas exploité cette veine-là.
Ça m'a toujours agacé ces fantasmes, je trouvais ça tellement grotesque confronté à la réalité. Parce que qui dit fantasme dit contre-fantasme, c'est-à-dire rejet. On brûle ce qu'on a adoré. Et toute une presse française fonctionne beaucoup à ça. Et dans les deux cas on est dans l'erreur parce qu'on n'est pas proche de la réalité, pas proche des gens et de ce qui constitue leur musique. Je veux dire : rien n'est spontané, les gens et ce qu'ils font sont toujours le produit d'une société, d'un environnement, d'une langue, d'une culture. Et si on ne se confronte pas à ces éléments-là on passe à côté à des choses. Moi j'ai toujours été extrêmement choqué par les pratiques journalistiques françaises qui consistent à faire des résumés de documentation sans avoir mis le nez sur le sujet ou à enluminer les choses par projection personnelle. Parce qu'ils parlent de telle chose de telle manière, les mecs s'imaginent qu'ils vont être pris dans les filets de machin. Tout ça c'est un peu grotesque finalement.


C'est une des choses qui vous a donné envie de ne pas vous enfermer dans la presse rock ?
Bah vous savez j'ai 65 ans donc j'ai envie de faire autre chose quand même. C'est vrai que ça a été très formateur de travailler là-dedans, de se frotter à cette musique, je l'écoute toujours, mais d'autres choses m'intéressent. La photographie est un moyen de découvrir ces autres choses.


(Suite.)



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4 mars 2009 3 04 /03 /mars /2009 17:48

Génération post
rock-lettré ?



Sorti le 19 septembre, Fantaisie Littéraire est un livre-disque initié par le festival littéraire Les Correspondances de Manosque. A l'occasion de leurs 10 ans, Olivier Chaudenson, leur directeur, a demandé à 17 des meilleurs auteurs compositeurs interprètes français de lire et de mettre en musique le texte d'un roman contemporain de leur choix. Qui a choisi quoi ? Pour quels résultats ? Qu'est-ce que tout cela dit du "rock littéraire" d'aujourd'hui ? Décryptage.


Je n'ai pu m'empêcher d'être content en recevant Fantaisie Littéraire. Avant même de l'écouter. Parce qu'indépendamment du contenu, il y a le contenant : un beau livre cartonné de 108 pages et un CD de 17 titres, édité par Le bec en l'air. A l'heure de la dématérialisation de la musique, ça fait peut-être réac' à dire, mais de voir, toucher et feuilleter un tel objet fait plaisir. On se sent comme face à un îlot de résistance, une conception de la beauté qui n'a pas dit son dernier mot : l'album comme pendant musical du roman. D'ailleurs, d'être tombé en désuétude commerciale depuis l'arrivée du MP3, il semble que le CD ait enfin acquis une certaine noblesse, celle d'être, en tant que disque, la dernière trace de "l'esprit vinyle". Ainsi revalorisé en "bunker artistique", ce format en voie de disparition a abrité ces dernières années quelques projets osés, pour ne pas dire, pour certains, kamikazes. Je pense au premier maxi de Nicolas Comment (Est-ce l'Est ? un recueil photographique accompagnant un CD 5 titres, et vice versa) ; à la défunte collection Saison de l'éditeur Filigranes contenant trois livres-disques (un de Patrick Bouvet, un de Bertrand Bonello, un de Rodolphe Burger et Pierre Alféri) ; aux deux livres-disques de Florent Marchet (Rio Baril et Frère Animal) ; au double album de Mendelson (Personne ne le fera pour nous), au triple album de Saez (Varsovie, L'Alhambra, Paris), etc.


Manifeste artistique




Le propos de Fantaisie Littéraire tient dans son titre. En détournant celui du disque phare de la "chanson rock" (Fantaisie Militaire, Bashung au chant, Jean Fauque au texte), il dit : "J'ai réuni les meilleurs descendants des deux premières générations de "rock lettrée", les enfants de Bashung et de Dominique A, et je leur ai proposer un jeu : s'autoriser à faire l'inverse de ce que firent leurs aînés : ne plus tordre notre langue aux drastiques contingences de la pop, mais lui redonner les pleins pouvoirs en mettant des textes de romans contemporains en musique." Et son hypothèse est que ces deux formes d'expressions ont des choses à se dire, voire mieux, qu'elles peuvent "coller". Car Bashung & co n'ont pas seulement permis l'émergence d'une nouvelle scène chanson, ils ont parallèlement contribué à l'avènement d'une nouvelle scène littéraire. C'est pourquoi ce livre-disque collectif se présente comme un "manifeste artistique" traduisant "les nouvelles relations entre musique et littérature". Mais le livre-disque est-il un au-delà pertinent au "rock lettré" ?


Télérama-Inrocks connection


Les couples musicien/écrivain de Fantaisie Littéraire sont : Bertrand Belin/Eric Reinhardt, Arman Méliès/Eric Meunié, Valérie Leulliot/Brigitte Giraud, Dominique A/François Vergne, Barbara Carlotti/Mathieu Riboulet, Serge Tessot-Gay/Georges Hyvernaud, Joseph D'Anvers/Olivier Adam, Doriand/Richard Morgiève, Claire Diterzi/Arnaud Cathrine, Erik Arnaud/Mehdi Belhaj Kacem, Florent Marchet/Edouard Levé, Thomas Fersen/J.D Salinger, Theo Hakola/Kaye Gibbons, Rodolphe Burger/Eugène Savitzkaya, Lola Lafon/Yannick Haenel, BABX/Paul Celan, Mendelson/Olivia Rosenthal. La moitié de ces noms ne vous dit rien ? Vous trouvez que ça sonne intello genre Télérama-Inrocks connection ? Moi aussi. Ma première impression fut : "Wouah, ça ne va pas être fondamentalement chiant d'écouter des mecs essayer de faire des chansons avec des bouts de romans ? L'exercice n'est-il pas un peu vain ? En plus on retrouve les mêmes auteurs-compositeurs-interprètes que d'habitude. Ceux qui ont tous fait philo-khâgne-Sorbonne."


Ecrivains dans l'âme



Comme je n'étais pas pressé de passer le disque je suis allé lire les "speech" que chaque musicien avait pris soin d'écrire pour expliquer son rapport à la littérature et au texte retenu. Ça, oui, ça me faisait envie. Je me disais que j'allais pouvoir voir qui assure en " écriture pure" (des écrivains dans l'âme ?) et éventuellement glaner quelques chouettes confidences sur leur personne et leur art, comme j'en ai lus sur Bertrand Betsch, Dominique A et Arman Méliès dans les petits livres qu'ils ont écrits pour la collection Carré de La machine à cailloux. Si le Méliès, trop vert, file au ras des pâquerettes, il faut lire Un bon chanteur mort de Dominique A, superbe. Bref Fantaisie Littéraire, le disque, je l'ai écouté trois fois. Ça n'a l'air de rien, mais par là j'ai eu l'impression d'accomplir un exploit à la Gérard d'Aboville. 17 titres c'est long quand il n'y en a que 7 de bon. On y distingue deux approches du texte littéraire : ceux qui ont choisi un texte court pour en faire une chanson et d'autres un texte long pour faire une "lecture ambiancée". Côté "court", 4 tentatives sur 6 font mouche. S'appropriant le texte, chacun joue dans sa cours. Bertrand Belin fait du Bertrand Belin (jolie ballade violonnée), Barbara Carlotti du Barbara Carlotti (belle ritournelle méditerranéenne), Doriand du Doriand (chiant), Rodolphe Burger du Rodolphe Burger (dialogue homme femme sur fond de musique ambiante), Lola Lafon du Lola Lafon (chiant). Mention spéciale à Erik Arnaud : avec sa science physique du découpage, de deux pauvres bouts de texte, il accouche d'une vraie chanson avec un milieu, un début, une fin. Et c'est presque magique de voir ce truc pop-folk prendre vie sous nos yeux.


Dominique A déçoit


Côté "long", 3 réussites sur 11, c'est maigre. A cheval sur la chanson et la lecture ambiancée, Méliès déçoit (encore). Si la première partie de son travail avec Eric Meunié accroche parce que la voix terreuse et dédaigneuse de l'écrivain se marie bien à ses accords tristes et aériens, la seconde lasse, son chant à lui étant trop mou, complaisant. Valérie Leulliot est, elle, tout simplement divine. La diction de sa voix blanche est parfaite, presque sensuelle même, et sa mélodie de guitare, légèrement mélancolique, caresse comme un ange passe. Tout ça donne un morceau qu'on a envie de réécouter. Ce n'est pas le cas de la prestation de Dominique A. Ce n'est pas que sa lecture atone posée sur le discret tapis d'une mélopée indus soit mauvaise, c'est juste que ce n'est pas transcendant plus. Passable. Toujours la tête dans La peau et les os de George Hyvernaud, Serge Tessot-Gay farcit d'une musique guitaristique anxiogène un texte anxiogène : chiant. Tout comme la lecture ambiancée D'Anvers d'un texte d'Olivier Adam. Trop salement triste, miséreuse, réaliste. Tout comme celle de Claire Diterzi : trop nue, spectrale, vide. Mais bon, je ne suis pas sensible au style de l'écrivain qu'elle a repris (Arnaud Cathrine), c'est peut-être là que ça coince, parce que normalement Diterzi, je suis client. Théo Hakola c'est comme Lola Lafon : mélodie pas mal mais voix calamiteuse. Enfin moi, je ne peux pas. Et BABX, sa lecture glauque et martiale d'un texte sur la Shoa, c'est... Comment dire ? Chiant. A côté le truc de Tessot-Gay c'est "Le petit bonhomme en mousse". Même Pascal Bouaziz m'a déçu, et pourtant j'aime ce qu'il fait sous le nom de Mendelson, comme en témoigne le long entretien que je lui ai déjà consacré. Mais ses 14 minutes de lecture cafardeuse sur l'histoire d'un type qui "se sent disparaître à lui-même", argh. Trop lugubre.


Thomas Fersen assure grave




Heureusement pour eux, l'équipe des verbeux compte Florent Marchet. Florent je n'aime pas trop ce qu'il fait depuis Gargilesse, mais là chapeau. Ce joyeux luron a opté pour un passage du livre posthume d'Edouard Levé : Suicide. Et son morceau a donc beau parler de suicide, son architecture musicale est tellement grandiose, à mon humble avis dans la veine du "Bal de Laze" de Polnareff, qu'on en ressort comme lustré, grandi. Et puis il y a Thomas Fersen ! Ah, celui-là, je n'en attendais rien (je n'ai jamais aimé sa musique), mais là, respect. Parce qu'il a choisi un texte superbe, attachant, pas prise de tête (L'Attrape-cœurs), qu'il le lit d'une voix de garnement mâchonnant (tout à fait la voix d'Holden Caulfield, se dit-on, alors qu'on n'a bien sûr jamais entendu Holden Caulfield parler ailleurs que dans notre tête) et qu'il lit ça sans musique. Il a tout compris Fersen ! Avec un texte pareil, il fallait mettre un coup de canif dans le contrat du projet. Taire la musique des instruments pour faire pleinement parler la musicalité du texte.


Un vrai club échangiste


Dans Fantaisie Littéraire, le livre, ils sont nombreux à faire part de leur méfiance à l'idée de confronter littérature et chanson. Là-dessus Pascal Bouaziz fait office de véritable bullshit detector. Les risques, il les voit tous, notamment ceux du pathos et de la consanguinité. Et il raison : à force de s'entre admirer et de collaborer ensemble, ces artistes-là finissent par se ressembler. Je pense à Arnaud Cathrine, Dominique A, Arman Méliès, Joseph D'Anvers, Florent Marchet, Olivier Adam. Leurs noms reviennent plusieurs fois dans la bouche d'un tel et d'un tel. Un vrai club échangiste. Pascal Bouaziz fuit ça comme la peste. Mais il est un point qu'il ne remet pas en cause, et c'est pour ça qu'à mon sens, il se gaufre, ce point c'est la possibilité de pouvoir décemment mixer littérature et chanson. En bon prof, Dominique A rappelle les fondamentaux de ces "liaisons dangereuses" entre littérature et chanson en disant, en gros, qu'une chanson doit y aller mollo dans les mots pour "ne pas couper l'herbe sous le pied de la musique". Dans cette voie, Rodolphe Burger va plus loin. L'ex chanteur de Kat Onoma dit qu'il y a pour lui "transgression d'un interdit" à mettre la littérature en musique car elle est ce qui "se passe de tout, surtout de musique". Il appuie son propos d'une citation de Kafka : "J'ai une force en moi, c'est mon être non musical". Et c'est ce que dit, sans le dire, Thomas Fersen. Fersen qui n'a d'ailleurs même pas écrit ne serait-ce qu'une seule ligne dans Fantaisie Littéraire pour parler de son rapport à la littérature et de son choix du célèbre roman de JD Salinger. Tout ça se passe de commentaires.


Détournement de majeurs




Gainsbourg parlait d'art mineur. On en revient toujours à cette formule : la chanson comme concept pop par excellence, crac boum hue de 2 minutes 30, n'en parlons plus. Un jour dans Rock&Folk, le critique rock Pacôme Thiellement a eu cette belle phrase : "Tout Gainsbourg tient dans une acceptation particulièrement sèche de l'expression détournement de mineur." Voilà, une bonne chanson c'est ça, du sexe, un larcin. Une pulsion dans l'air. Dans Un bon chanteur mort, Dominique A dit ceci : "Lorsque j'écris des chansons, c'est la musique que je vise (...) J'accorde cependant la primeur aux mots. Ce sont eux qui vont la légitimer, lui donner en quelque sorte le droit à l'existence. J'imagine que j'ai besoin de ce paradoxe pour susciter une tension à l'intérieur de la chanson, de manière que, même au diapason du texte, navigant dans les mêmes eaux, la musique puisse toujours faire reproche à celui-ci d'avoir sur elle droit de vie ou de mort ; et qu'elle instrumentalise, à tous les sens du terme, ce reproche pour reprendre l'ascendant." Toujours cette idée de combat, de sexe et de frottements. Idée qu'on retrouve aussi chez Rodolphe Burger lorsqu'il dit que ce sont des "histoires d'amitiés", donc d'amour, qui le font céder à tremper lui aussi dans ces histoires de "trafics musicaux avec des textes littéraires". L'auteur de La Fossette reprend : "Quand elle la musique est livrée à elle-même, lorsque aucun texte, même anodin, ne la porte, lorsqu'elle n'a pas à défendre sa place, sa solitude l'intimide. C'est comme un couple qui passe sa vie à se déchirer, mais dont on voit l'un totalement démuni quand l'autre s'en va." Et ce qu'il dit là, c'est un peu ce qu'on ressent face aux deux tiers de Fantaisie Littéraire : l'impression d'être en phase de quelque chose de bancal parce qu'il n'y a pas le fight club nécessaire, ce rock'n'roll frottement du corps et l'esprit qui innerve le "rock littéraire" proprement dit. Parce qu'il n'y a plus cette tentative de fusion entre le duo cartésien texte-musique et le trio, un peu Terminator, du guitare-basse-batterie.


Mais le débat n'est pas clos. Ne serait-ce qu'en vertu de ces 7 tentatives concluantes qu'on trouve là. Et puis le jeu en vaut la chandelle nous lance Rodolphe Burger. C'est une histoire de quête, de croyance. Quelque part existe "un point non euclidien où se croisent les parallèles" et "se dissout enfin la "sublime jalousie" dont parle Mallarmé pour qualifier la relation entre musique et littérature". C'est aussi l'avis de Florent Marchet, avec lequel je me suis longtemps entretenu sur le sujet. Interview à venir. Sur le thème du "détournement de majeurs". Affaire à suivre.



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3 mars 2009 2 03 /03 /mars /2009 22:58
Jane d'un seul ?



"Bashung, c'était le trip de mes baby-sitters"


"Aujourd'hui, il entre dans mon univers"


Comment vous êtes vous retrouvez à jouer dans des clips d'Alain Bashung ?
Je suis passée par une agence de casting, je ne sais même plus laquelle.


Un gros concours de circonstances ?
Ah, totalement ! J'étais en maîtrise de cinéma et on m'a appelé pour un casting car j'étais à Paris depuis peu et, comme tous les acteurs qui commencent, j'étais inscrite dans plein d'agences, de pub, de casting, de machin, de truc (rires) !


A cette époque connaissiez-vous l'univers et les chansons d'Alain Bashung ?
Pas très bien parce que c'était plutôt celui de mes baby-sitters. C'est con, mais c'est vrai. Moi, j'écoutais beaucoup de choses anglo-saxonnes, les Cramps par exemple, et très peu de trucs français ! Donc Alain, je ne l'écoutais pas. J'écoutais peut-être un peu "Osez Joséphine", mais ce n'était pas un univers qui m'était familier. Je n'avais pas ses disques.


Depuis vous avez rattrapé votre retard ?
Forcément, ouais. Mais quand l'agence m'a dit que j'étais prise au casting avec Jacques Audiard pour "La nuit je mens", quand j'ai su que je travaillais, j'étais tellement contente de travailler ! Parce que c'était difficile pour moi à l'époque : j'étais en maîtrise de cinéma et j'attendais les coups de fil. Je décrochais quelques petits courts métrages de-ci de-là, mais rien de solide. Alors travailler, avoir une fiche de paie, je vous jure, c'était important ! C'est bête à dire, mais c'est super (rires) !


En plus, v'là le projet !
Oui, c'était Audiard, c'était Bashung. Alors même si ce n'était qu'un ou deux jours de tournage, d'un seul coup avec ce genre de projet, on se sent exister, tout simplement, on se sent vivant.


Après"La nuit je mens" vous avez tourné dans les clips de "Malaxe" et "Faites monter". Tenez, j'ai une anecdote à propos de "Faites monter". Dans le refrain du morceau il y a ces vers : "Faites monter l'aventure / Au-dessus de la ceinture". Je ne sais pas si vous avez entendu le nouveau single de l'ex-Star Académicienne Elodie Frégé, qui s'intitule "La ceinture", mais il y a ces vers : "Rien ne dure / Au dessus de la ceinture". Le texte est de Benjamin Biolay. Et ces vers sont tellement typiques qu'on a du mal à croire que Biolay ne les a pas pompés sur ceux de "Faite monter".
Oui, c'est bizarre. Mais je ne connais pas bien Benjamin Biolay. En tous cas, Alain ne m'en n'a pas parlé. Ah, les croisements entre chanteurs !


Donc vous, vous écrivez en français.
Ah oui, je préfère. C'est trop facile en anglais. Vous dites : "Darling / Let's go dancing" et ça colle. En français, c'est une autre paire de manche. Le français est une super belle langue, mais elle n'est pas facile à chanter. Il faut en faire une musique. Ce n'est pas facile, mais moi j'adore.


Un français prend moins de risque à écrire en anglais ?
A court terme, c'est sûr. Mais à long terme, on prend plus de risque parce que ce qu'on dit disparaît dans le flot.


Oui. Tous les textes du dernier album de Charlotte Gainsbourg sont en anglais et le côté lisse de l'anglais fait qu'elle disparaît totalement dans les musiques de Air. Elle disparaît d'autant plus que, vu son héritage, l'anglais est une esquive, le français un défi. Oser se réapproprier la langue de son père, pour enfin exister en plein.
Bien sûr, mais c'est peut-être ça qui l'angoissait. C'est compliqué pour elle. Je n'ai pas écouté son disque.


Vous, vous osez une langue subtile et "explicit lyrics". Déjà il y a ce titre, Chienne d'un seul.
Moi, je n'ai pas envie d'aller dans le sens du poil, je n'ai pas du tout envie de faire de la musique pour conforter les gens, j'écris ce que je ressens, je ne me censure pas. Je ne fais pas non plus de la provocation gratuite avec des gros mots à toutes les lignes. Du tout. J'ai quand même la prétention de faire des choses poétiques. Mais à partir du moment où l'on est artiste, il faut y aller, on ne va pas commencer à se dire : "Non, ça, ça ne se dit pas". Pitié ! Moi, j'écris comme je respire. Et je chante comme je respire.


De manière autodidacte.
Oui, voilà. Et spontanée surtout, libre. Surtout libre. Surtout à cette époque-ci. Pitié ! Après, il y a peut-être quelques mots durs mais parfois c'est aussi assez joli. En tous cas, c'est sincère. Voilà, moi je ne peux dire que ça. J'écris et je chante ce que j'ai là. (La main montre le ventre.)


Chienne d'un seul est-il fait de fonds de tiroirs ou de morceaux récents ?
Les morceaux les plus anciens ont peut-être six ans. Deux morceaux se sont faits cette année.


Christophe signe la photo de la pochette...
En fait, Christophe et moi avons fait un petit film qui est sur le site. C'est quelqu'un que j'aime beaucoup et qui m'a toujours vachement épaulé. Je crois qu'il aime bien ce que je fais.


Lui aussi a une relation particulière avec les films, le cinéma...
Oui. Et on a toujours pris beaucoup de plaisir à parler de plein de choses. Et je crois qu'on a une estime mutuelle. Je lui ai donc demandé s'il voulait bien que j'utilise ses photos pour illustrer la pochette. Ça fait du disque un bel objet. Je suis contente, même si je ne le sors qu'à petite échelle. Pour moi, c'est un disque important. De toute manière, ces deux disques sont étroitement liés. Ils ont été faits en même temps. Ce sont des voix parallèles.


Nous venons de parler de l'album de Charlotte Gainsbourg. Des "albums d'actrices" trouvent-ils grâce à vos yeux ?
Oh, je m'en fous qu'elles soient actrices ou pas ! Par la force des choses, comme je chante beaucoup plus que je ne joue, je ne me sens pas comme une actrice qui chante. Je me sens plus chanteuse qu'actrice. La musique, c'est vraiment mon nerf, ce qui me fait tenir debout, ce qui me fait me lever le matin. Le jeu, non. En ce moment, le jeu est totalement absent de ma vie, même si ça reviendra sans doute, par vagues. Je me sens d'autant plus chanteuse que Chienne d'un seul est vraiment ma petite entreprise. Je fais tout : écriture, scène, site, enregistrement, etc. (rires) ! Donc je m'en fiche des actrices chanteuses. Bon, sauf Marlène Dietrich qui est toujours, je trouve, géniale à écouter. Marilyn Monroe aussi. Je trouve qu'elles assuraient ! Elles savaient tout faire. Elles avaient raison. Sinon, je dois avouer que je ne suis pas super sensible à Kiberlain, tout ça. Ce que je fais n'a rien à voir.


Ce que faisait musicalement Gainsbourg avec les actrices, ça vous touche ?
Ah, oui. Parce là, il les embarquait comme un metteur en scène embarque des actrices, donc c'est plutôt touchant. Il les enlevait, hop !


Il jouait au marionnettiste avec elles !
Oui, mais elles le lui rendaient bien. C'était un bel échange. J'aime bien ce principe-là.


Lors de La tournée des grands espaces, Alain a joué avec cette mythologie Gainsbourienne, vous invitant à ses côtés à la fin du show le temps d'un morceau final chanté d'une manière très très langoureuse. Vous apparaissiez comme un simulacre du couple Gainsbourg-Bardot. J'imagine qu'on vous la déjà dit, non ?
Oui, mais ces deux albums disent le contraire. Que je ne suis pas cette image-là.


Mais visuellement, on ne pouvait pas ne pas y penser.
Bien sûr ! Lors de La tournée des grands espaces, c'était assumé, j'entrais dans son univers. Maintenant avec Calamity, c'est plutôt lui qui rentre dans le mien. Et voilà, c'est bien de faire des passerelles entre nos deux univers.


Rodolphe Burger entre aussi dans votre univers. Il joue la guitare blues qui sert de trame narrative au film sonore qu'est Calamity. Vu leur passion pour les univers country western, on s'imagine qu'Alain et Rodolphe sont ravis d'évoluer dans votre univers.
Oui, ça leur va bien. On écoute beaucoup de country, c'est sûr. Rodolphe, j'ai tout de suite pensé à lui pour ce projet ! Je me disais avant même qu'il n'existe : "Si un jour ça voit le jour, j'aimerais vraiment la guitare de Rodolphe." Je trouve que c'est un des meilleurs joueurs français. Son jeu de guitare est magnifique.


Sa guitare évoque tellement la lenteur poussiéreuse du désert et du far west...
Voilà. Un de ces accords, c'est toute une histoire. J'adore Rodolphe !


Mais vous ne voulez pas qu'il vienne jouer sur scène avec vous !
Non ! Parce que lui, comme Alain, ils sont trop connus.


Qui va donc pouvoir égaler son magique jeu de guitare ?
Yan Péchin qui est excellent, extraordinaire. Il me suit depuis le début. C'est avec lui que j'ai fait Chienne d'un seul. Il a travaillé avec Alain sur La tournée des grands espaces, il a travaillé avec Miossec, en ce moment il est sur Thiéfaine, il fait beaucoup de choses. Mais pour moi, c'est vraiment mon frère siamois. D'ailleurs, sur ce disque je le remercie comme mon frère siamois. Parce que pour moi, c'est vraiment ça. Bon, il pourra y avoir quelques occasions où Alain et Rodolphe feront des apparitions. Mais si l'un ou l'autre est sur scène avec moi, ce sera forcément comme si c'était moi qui entrait dans leurs univers. Or cette histoire me tient trop à cœur pour que je reste dans leur ombre.


No way !
Ouais, no way ! Je n'ai pas envie de laisser ma place. C'est bête de dire ça, mais le monde est terrible (rires) ! Et puis c'est Calamity, donc pour une fois on va peut-être lui rendre un peu hommage. Même si c'est plus modeste ainsi, ce n'est pas grave, au moins ce sera fidèle à la réalité.



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3 mars 2009 2 03 /03 /mars /2009 01:22
Jane d'un seul ?



"Ce que je fais n'est pas très peace and love"

"des histoires d'amour avec

de l'art autour"


 

Comment travaillez-vous la lecture des textes de Calamity Jane pour la scène ?
Il ne faut pas être trop chiant sur scène.


Oui, parce que c'est un disque qui s'écoute calmement, sur la durée. Ce n'est pas un truc accrocheur qu'on peut écouter dans la rue avec son iPod.
Non, parce que c'est un film sonore. Je le vois comme ça.


C'est un disque qui s'écoute chez soi, limite dans un état de sieste.
Oui, il faut pouvoir se laisser aller à son imagination, laisser les images arriver toutes seules, c'est ce que j'aime bien dans cette idée de faire un film sonore. Pour moi, c'est vraiment ça. Et comment ça se travaille sur scène ? En fait, je ne lis pas grand-chose. Je chante les chansons du disque. Il y en a huit.


Courtes.
Elles sont courtes, oui.


Elles étaient écrites comme ça ?
Ouais. Je ne suis pas du tout formatée comme fille (rire) ! C'est vrai qu'elles sont courtes. C'était comme ça. Less is more. Je n'aime pas trop les fioritures, j'aime bien le côté brut. Et ça lui va bien à Calamity, le côté brut.


Elles sont aussi courtes sur Chienne d'un seul ?
Elles ne sont pas très longues, je crois. Peut-être un peu plus, mais pas beaucoup plus.


Celles de La ballade de Calamity Jane sont très éphémères, presque comme des interludes.
Voilà, Calamity c'était vraiment ça. Il y a effectivement des moments où c'est presque des interludes.


Ce qui nous ramène au désert, au far west. Les chansons passent, fugitives, comme des mirages.
Bien sûr, c'était ça. C'est quand même une ballade au départ, c'est vraiment une errance. Il y a donc des moments où elle chantonne et des moments où elle ne chante plus du tout, où elle disparaît. Pour moi, c'est ça Calamity. Dans Chienne, c'est plus structuré. Mais ce qui est intéressant sur scène avec Calamity Jane, c'est qu'on peut faire quelque chose de très fluide avec ces courts morceaux. En fait, dans le concert, je pense ces huit chansons comme une espèce de chanson de 25 minutes, avec juste quelques phrases de lectures à chaque fois pour faire le lien. 25 minutes de cet album qui durant, mes concerts, feront une espèce de parenthèse dédiée à cette femme. Voilà.


La musique vous donne-t-elle accès à des rôles qui vous permette, en tant que femme, d'exprimer des choses que le cinéma vous permet peu souvent d'exprimer ?
Non, je pense que toutes les émotions peuvent être exprimées ! Que ce soit en musique, au cinéma, en littérature, en tout. Tous les arts sont faits pour ça. Chaque art propose une forme d'expression assez complète et satisfaisante, j'imagine, pour l'artiste qui la choisit. Mais le problème, quand on est acteur, c'est qu'on se plie à une demande. Alors c'est merveilleux quand on est complètement connecté avec le metteur en scène, qu'on en a pour deux mois et qu'on est regardé, qu'on nous cherche dans les coins, qu'on a de la liberté, qu'on est embarqué. Ça doit être magnifique. Moi, je ne connais pas ça.


Mais vous avez connu ça ailleurs qu'au cinéma. A 15 ans vous semblez (cf. son site) avoir eu un rapport très fusionnel avec un photographe qui vous a embarqué dans son univers.
Oui, beaucoup. C'est une très belle histoire que j'ai eue avec Tom Sewell.


Vous avez donc très tôt commencé par une expérience forte de pure égérie.
Ah oui, au sens fort. Pour moi, c'est vraiment important cette période, c'est pour ça que je l'ai fait figurer sur le site. Il y en a eu des milliers des photos avec lui, un de ces jours il faudra qu'on en fasse un livre.


Cette personne continue à faire de la photo ?
Oui et pas que ça (Inexplicablement, elle rit. Il faudra surfer sur le site de Tom Sewell pour tenter d'en savoir plus) ! Il fait beaucoup de choses. Avec lui, j'ai passé trois ans à faire des photos, je me déshabillais partout, dans la rue... On s'est beaucoup amusé.


Ces séances de photos avaient une dimension de happening ?
Oui, ce côté vite hop ! un peu hors la loi, genre on n'a pas le droit, mais on s'en fiche, on fait notre truc. Je rentrais vraiment dans le cerveau de quelqu'un. Et ça, j'ai beaucoup aimé.


Vous jouiez avec cette obsession qu'il avait pour vous ?
Oui, il y avait une vraie connexion visuelle à ce niveau-là. Et j'imagine que ces rencontres sont rares, qu'elles se fassent avec un homme, une femme ou dans le cadre d'une histoire d'amour. Au cinéma, ces rencontres sont rares mais elles sont magnifiques. Je pense qu'un jour ça m'arrivera. J'aspire à ça, donc ça va venir. Mais en attendant la musique me comble beaucoup. Et la scène me comble beaucoup.


Sur scène, il y a tout à gagner, tout, du moins, à prouver...
Ouais ! La situation fait qu'il va forcément se passer quelque chose. On peut plaire, déplaire, énerver les gens, ce n'est pas grave !


Il y a un vrai frottement avec le public ?
Quelques fois il se passe des trucs supers, ça dépend.


Exemple ?
Par exemple au Pulp. J'ai fait un concert au Pulp. C'est quand même une boite de nuit. Une boite qui sonne horriblement, on n'entend rien, c'est monstrueux.


Et au Pulp, il n'y a pas de scène à proprement parler.
Non, on est au niveau des gens. Et comme ce que je fais n'est pas doux, ça ne va pas dans le sens du poil, c'était magnifique de voir tous les gens s'asseoir. Dans cette boite de nuit, les gens étaient assis par terre à me regarder. Ça fait plaisir. C'est qu'il se passe quelque chose. Et c'était amusant à voir, au Pulp, tous ces gens par terre, à fumer. C'était hyper peace and love, alors que ce que je fais n'est pas forcément peace and love, il y a eu cette réaction assez bizarre pour le lieu, c'était marrant. Et puis parfois, on vous traite de tous les noms mais ce n'est pas grave. Ce n'est pas grave, c'est bien, il se passe quelque chose. Je crois que ce que j'aime le moins c'est quand il ne se passe rien.


Ça vous est déjà arrivé ?
Non. En tous cas, je suis toujours heureuse de faire un concert. Toujours. Je suis toujours contente d'y aller. Même s'il n'y a pas grand monde.


Le texte du Cantique des cantiques vous habitait-il comme vous habitent les lettres de Calamity Jane ?
Non. En fait, c'est juste parce que je me mariais avec Alain. C'était simplement ça.


Une pierre pour mêler art et réalité ?
Moi, j'ai tout le temps eu des histoires d'amour avec de l'art autour. Quand on est amoureux et qu'on est artiste, je crois que c'est une façon de transcender le quotidien, le réel. C'est une façon de dire qu'on s'aimera après la mort. Il y a quelque chose qui m'est presque nécessaire là-dedans, parce que je n'ai jamais aimé autrement. Il y a quelque de bizarre là-dedans.


De passionnel aussi.
Oui, de passionnel. C'est comme graver son nom dans l'écorce d'un arbre, pour moi c'est la même chose. C'est comme de se dire qu'on veut le marquer pour toujours, même si on sait que ça ne durera peut-être pas toujours. Parce qu'on ne sait jamais ce que la vie nous réserve, mais en tous cas, à ce moment-là, on y croit et on a envie de le dire. D'ailleurs se marier c'est ça pour moi. Se marier ça ne veut pas dire qu'on se marie et que ça va durer toute la vie, mais ça veut dire qu'au moins on y croit, qu'on a envie que ça dure toujours comme ça et on a envie de vous le dire.


Le cantique des cantiques n'avait donc pas de signification religieuse pour vous.
Non. Quand on s'est dit qu'on allait se marier, on a cherché un texte parce que le curé nous accueillait dans son église. Mais il ne nous mariait pas religieusement, parce que je ne suis pas baptisée, je ne crois pas du tout en Dieu. Et je le lui ai dit.


Alain, idem ?
Oui, en plus il est divorcé. Bref, ce n'était pas possible de se marier officiellement, mais on est tombé sur un curé intelligent, un mec bien.


Aux derniers mariages auxquels j'ai assistés, j'ai en effet constaté que certains curés s'adaptent aux demandes de ceux qui souhaitent une cérémonie, quelque chose de sacré, mais pas forcément du religieux.
Il y a des cons et des gens bien partout. Et c'est vrai que les gens veulent du sacré. Nous, c'est ce qu'on a dit au curé : "On veut du sacré".


Le sacré a une place importante dans la culture rock.
Le sacré, c'est ce qu'il y a dans l'amour, c'est ce qu'il y a dans la vie. Dans la vie, il y a des moments sacrés, des choses sacrées. Une mairie, ce n'est pas sacré, ce n'est pas très drôle. Moi, je ne crois pas à Jésus Christ mais j'aime bien rentrer dans les églises, allumer un cierge, de la même manière que je rentre dans des temples quand je suis à l'étranger. Les lieux sacrés sont agréables. Ce sont des endroits où vous ne consommez pas, où c'est calme, où c'est beau. En tous cas, ici il y a quelque chose qui est hors du temps.


Comme lorsqu'on va au cinéma ?
C'est vrai ! C'est un peu la même démarche. D'un seul coup on se retrouve isolé dans un endroit neutre. Avec Alain, on cherchait donc des textes pour célébrer notre mariage et on a pensé au Cantique des cantiques qui est quand même LE texte d'amour par excellence.


Un texte très sensuel.
Oui, mais ça dépend des traductions.


Votre Cantique des cantiques est la version qu'en a donnée l'écrivain Olivier Cadiot. Il l'a revisité avec sa science du découpage poétique, tout en épure, ellipse et néanmoins sensualité.
Oui, et c'est le fruit du hasard si on a bénéficié de sa traduction, même si Olivier est un ami. Je me souviens, on était en train de déjeuner avec Rodolphe et on lui disait : "Tu ne veux pas faire un truc avec nous dans l'église, pour notre mariage ? On cherche à faire quelque chose d'un peu spécial autour du Cantique des cantiques." Il nous a dit : "Olivier vient de le traduire pour la nouvelle édition de la Bible." C'était incroyable. Les choses se sont vraiment emboîtées et ce fut une super expérience. Comme quoi, si on laisse faire la vie, elle fait parfois très bien les choses.


Quelle vie sur scène a eu Le cantique des cantiques ?
On en a joué une petite partie pendant toute La tournée des grands espaces, 15-20 minutes. Et puis on l'a joué à l'occasion d'une petite tournée des églises. On a fait la cathédrale de Genève, une grande église à Lille, des chapelles en Bretagne, une petite tournée des lieux bizarres. C'était bien. Encore une fois, c'était complètement hors de tout.


Tout à l'heure nous parlions de la difficulté d'écrire des chansons en français. Les textes de La ballade de Calamity sont en anglais, pourquoi ?
En fait, j'ai découvert le livre en français, mais dans ma tête c'était quand même une américaine donc ce qui m'est venu m'est naturellement venu en anglais.


Une question d'imaginaire ?
Ouais. Autant on peut imaginer que les textes dits par Jim O'Neill soient dits en français dans la mesure où les lettres visent à transmettre un message précis et compréhensible d'une personne à une autre, autant pour moi les chansons c'était vraiment la voix de Calamity. C'était sa voix elle qui, en un sens, ressuscitait. Donc ça devait se faire en anglais. Je me suis donc mise dans cet état-là. Et c'est venu comme ça.


Il y a au centre du disque un duo avec Alain. Un autre duo avec Alain après le long duo du Cantique des cantiques.
Ouais. (Elle fredonne.) "Bill, Bill, Bill...".


Votre union c'est un noyau dur qui circule de projets artistiques en projets artistiques ?
Oui, c'est beau ! C'est merveilleux de pouvoir s'aimer et de travailler ensemble. Je ne vois pas ce qu'il y a de mieux. Mais ça coûte cher de faire ça !

 


(Suite.)


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2 mars 2009 1 02 /03 /mars /2009 02:11
Mon cœur
(de groupie)
mis à nu




C'est étrange comme on peut se réveiller un jour avec l'envie de tout plaquer, son foutu job de pigiste rock par exemple, et se coucher le soir même avec la foi retrouvée, ou presque, parce qu'une musique, un ami ou une femme nous a redonné envie d'y croire.


Le 25 février, La Féline jouait au Truskel. Je ne mourrais pas d'envie d'y aller. La dernière fois que je les avais vu c'était tellement parfait, comme je vous le disais ici, pourquoi émousser ce souvenir ? J'étais plus sorti pour sortir. Et puis quelque chose s'est passé. Alors on va encore croire que je dis tout ça parce que je veux me faire la nana du groupe ou que ce sont des amis. Effectivement on se connaît, mais c'est loin de me rendre musicalement plus tendre envers eux !


Non, la vérité c'est que tout ça s'est fait malgré moi. J'étais là face à ces chansons, cet univers nourri de Neil Young, Ennio Morricone, François de Roubaix, John Carpenter, Kate Bush, Arthur Russel, Neu!, La Düsseldorf et des premiers Polnareff. La salle était pleine et sans consciemment le vouloir, je me suis vite retrouvé tout devant à prendre cette musique plein pot comme si j'avais fini par développer des récepteurs spécifiques à "La Passeggiata", "Mystery Train", "Superman", "La nuit du rat", "Naïve", "Three Graces", "Freaking Out", "John McCabe" et leur reprise d' "Into The Night" de Julee Cruise...


A un moment il y a eu des problèmes de son, une fois, deux fois, puis trois. Agnès continuait de sourire, de se battre, tenir le truc, et ça semblait dur face à l'absurdité de tenir quand tout s'écroule, que la fluidité du show est par terre et qu'on se sent nu, déserté de magie. J'ai vu ses yeux se voiler en plein morceau. Mais la magie a rejailli de plus belle. Car elle ne s'est pas débinée. Elle a montré que la musique était vraiment sa passion, pour ne pas dire un besoin vital. Et dans ce climat d'adversité, j'ai vu ses morceaux redoubler d'intensité, prendre un ascendant dingue sur moi. Et l'article s'est mis à prendre forme en moi, comme une déclaration d'amour.


Et comme j'étais là devant son aura sensuelle et catéchiste, sa beauté mi vamp mi veuve, par pudeur, je détournais parfois le regard, de peur qu'elle le voie s'écrire. Alors a reflué en moi la définition du Beau de Baudelaire issue de Mon cœur mis à nu, du Beau comme "quelque chose d'un peu vague, laissant carrière à la conjecture", pour qui le beau visage de femme est celui qui fait rêver "d'une manière confuse" en dégageant "une ardeur et un désir de vivre" mêlés "à une amertume refluante, venant de privation ou de désespérance."


Qu'ajouter ? Qu'avec son instrumentation pysché-kraut et sa narration de dark fable "La nuit du rat" est tellement énorme qu'on la croirait sortie du Third de Portishead ? Qu'ils viennent d'accueillir un quatrième membre, féminin, à la guitare "surf miaou" ? Que leur nom est tiré d'un film de Jacques Tourneur sur l'histoire d'une new-yorkaise hantée par la peur d'être la descendante d'une race de femmes monstres qui se transforment en panthères dès qu'elles perdent leur virginité ? Qu'ils sont actuellement suivis par le coach scénique Philippe Albaret ? Qu'un papier sur eux paraîtra en mars dans le Hors Série Musique de Technikart ? Que depuis le 19 février leur deuxième EP est disponible en téléchargement payant sur Pop Only Knows ? Oui, je pourrais, mais j'ai surtout envie de dire que tant qu'il y aura La Féline j'aurais toujours un ami, une musique ou une femme pour me redonner l'envie d'y croire, et que ça, c'est inestimable.

 


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28 février 2009 6 28 /02 /février /2009 11:33
Jane d'un seul ?



"Mais qui est cette femme ?"

"Seule contre tous"



Dans tout ça, à quel moment intervient le projet d'album La ballade Calamity Jane ?
J'ai commencé "Calamity" après les premières maquettes de Chienne d'un seul. (Silence.) Vous savez, j'ai plein de textes en stock parce que moi je n'ai pas de maison de disques. Si "Calamity" voit le jour, c'est parce qu'il y a Alain Bashung, sinon ça dormirait encore dans un tiroir.


Ça ne vous effraie pas d'être toujours un peu redevable de la notoriété et de l'image d'Alain ?
Si, c'est insupportable, c'est pour ça que j'ai sorti mon truc.


La ballade de Calamity Jane va forcément être plus médiatisée que Chienne d'un seul.
Forcément vu que je n'ai pas de distributeur. C'est pour ça que je vous le donne, pour que vous en disiez quelques mots (rires) ! Chienne d'un seul sera moins médiatisé, mais pour moi il est précieux. Mais attention, "Calamity" c'est aussi précieux !


Oui, cet album a tout de même l'air de vous tenir à cœur.
C'est quelque chose qui me tient très fort à cœur. Je suis rentré dans les lettres de Calamity Jane au tout début de La tournée des grands espaces.


C'est le livre qui vous a accompagné sur la route pendant La tournée des grands espaces ?
Oui. C'est Dominique Gonzalez-Foerster (cinéaste et vidéaste qui mis en images La tournée des grands espaces et qui a aussi réalisé des vidéos pour Christophe) qui m'en a parlé. On discutait littérature et comme on était dans La tournée des grands espaces avec des chapeaux et tout, on rigolait de ce côté cow-boy et c'est à ce moment-là, je crois, qu'elle m'a parlé de l'existence de ce livre de Calamity Jane.


Ce livre existe depuis longtemps ?
Je ne sais pas de quand date la première édition, mais ça fait très longtemps, oui. En tous cas, ce livre m'est resté dans la tête comme une fixation. Il fallait que je le trouve.


Vous sentiez que le personnage de Calamity Jane allait vous plaire, vous parler ?
Je n'en sais rien. (Silence.) Apprendre que cette femme avait vraiment écrit, que ce n'était pas un mythe, ce mythe de la hors la loi, ça m'a surprise et des lors ça m'a intéressé de raconter son histoire. Parce que quand on vous parle de Calamity Jane, et moi la première, vous pensez à la hors la loi avec son pistolet qui tue tout le monde, un truc comme ça. Alors apprendre que cette femme avait une fille et qu'elle lui a écrit, d'un seul coup, je me suis dit : "Hum, hum, c'est quoi cette histoire ? Mais qui est en fait cette femme finalement ? Ce n'est pas qu'un bandit. Elle a eu un enfant. C'était une femme amoureuse. Elle a eu des histoires de cœur. Qui est cette femme ?" Donc j'ai trouvé ce livre et ça m'a bouleversé. Vraiment. Ça m'a bouleversé de voir que justement c'était tout sauf une hors la loi, que c'était juste une femme qui est née dans un monde mormon où les femmes ne doivent que reproduire et d'un seul coup elle a eu un sursaut de conscience, elle s'est vue seule contre tous et elle a décidé de s'habiller en homme, non pas pour faire l'homme, mais pour travailler et pour être libre, pour gagner sa vie. Elle se fait passer pour un homme POUR gagner sa vie. POUR travailler. Et ça, ça change tout.


Faire ce disque sur son histoire à partir de son livre, pour vous, c'était quelque part lui rendre justice ?
Oui et puis parce qu'on y est encore.


Vous voulez dire que son histoire est toujours d'actualité ?
Je trouve qu'on est en plein dedans. On est en plein écartelé là-dedans.


Aujourd'hui plus qu'hier, les femmes veulent faire carrière comme les hommes...
C'est plutôt que les hommes ne veulent pas que les femmes travaillent en tant que femmes ! Je pense que c'est plus ça le problème, sans vouloir faire ma féministe primaire !


Ce que je voulais dire c'est que, dans ce combat pour "l'égalité des sexes", certaines femmes réagissent par la surenchère et se comportant comme des hommes.
Oui, il y en a qui ont les dents comme ça, mais Calamity c'était tout sauf ça ! A son époque, elle ne pouvait pas faire autrement, les femmes n'avaient pas le droit de travailler quand elles étaient en jupe, ou alors elles travaillaient dans les saloons et elles étaient putes. C'est tout ce qu'elles pouvaient espérer. Elle, elle a donc été conductrice d'attelage, elle a bossé aux rails, elle a été sage-femme, elle a été infirmière, des boulots durs, quoi. Elle a beaucoup donné de sa personne, beaucoup. Et elle a eu cette folle histoire d'amour avec Wild Bill Hickock. Elle a eu cette petite fille. Et évidemment, vivant sur son cheval, faisant des boulots durs...


Elle a dû faire un choix.

Voilà. Elle donne donc son enfant à ce monsieur, Jim O'Neill, et puis elle en meurt, voilà. Elle en MEURT parce qu'on ne se remet pas d'être parent. On ne se remet pas de tout ça et en même temps elle n'avait pas vraiment le choix. On ne peut pas non plus dire non à une liberté. Enfin moi, je comprends très bien ça.


C'est un vrai dilemme qui entraîne un chemin de rédemption. Une tentative de rédemption qu'incarnent les lettres qu'elle adresse à sa fille.
Voilà. Et elle se noie dans l'oubli, elle meurt, à petit feu. Elle meurt tôt. Enfin elle meurt à 50 ans, donc elle est morte assez jeune. Oui, pour moi elle en meurt de... de cette déchirure-là. Elle en meurt. Donc ça, ça m'a vraiment bouleversé. Peut-être parce que j'ai aussi une petite fille, je ne sais pas.


C'est ce que je me suis dit.
Ouais, peut-être. Je pense que ça parle plus aux gens qui ont des enfants qu'à ceux qui n'en ont pas.


Votre propre parcours de femme et d'artiste vous pousse aussi à vous identifier à Calamity Jane. Car le monde de la musique, et de l'art au sens large, est un monde d'homme, non ?
Oui, le monde de la musique est MONSTRUEUSEMENT un monde d'hommes. Vraiment. Enfin, je trouve. Donc oui, c'est sûr. Ça marche comme ça, hein. C'est Alain qui lit les lettres de Calamity, et ce n'est pas tout à fait juste.


Pourquoi est-ce lui qui les lit et pas vous ?
Ah, pourquoi ? (Ton acide d'une amertume qu'elle n'arrive pas à cacher.) Parce ça existait avec ma voix mais c'est resté dans un tiroir. France Culture a une émission géniale qui s'appelle l'Atelier de Création Radiophonique. C'est génial ce truc. C'est un artiste, il a une heure et demie pour faire ce qu'il veut, c'est fantastique. J'ai vu le dernier atelier, c'était Laurie Anderson, c'est magnifique. C'est très rare les espaces de liberté comme ça. Et en fait, ces gens-là sont venus voir Alain pour lui proposer un atelier. Mais comme Alain n'avait pas vraiment d'idées, il m'a dit : "C'est le moment où jamais de faire Calamity". Parce que moi sinon je suis personne, on ne vient pas me chercher, vous voyez ce que je veux dire. J'ai donc dit : "Ok". Il fallait donc que je trouve une pirouette pour qu'Alain soit toujours dans le projet. Et j'ai donc trouvé cette pirouette de lui faire lire les lettres, tandis que moi je ne m'occupe que des quelques chansons du projet. Ça fonctionne. Mais intérieurement, je me dis : "Bon, Calamity, j'ai fait ce que j'ai pu pour toi, mais tu vois le monde n'a pas beaucoup changé."


Le projet existe mais les conditions de son existence illustre cette domination d'un schéma patriarcal qui a meurtri Calamity Jane, entre autres.
Mais c'est un truc presque terriblement logique, DESESPEREMENT logique. Ça montre bien que le monde ne change pas tant que ça, voilà. Bon, ceci dit je suis très heureuse qu'il existe ce projet, tant mieux.


Alain n'était-il pas mal à l'aise de tenir ce rôle "anxiogène" par rapport au thème fondamentalement "féministe" du disque. Vous en avez parlé ?
Bien sûr, on connaît le problème par cœur. On l'a pris dans tous les sens. C'était compliqué.


Mais c'était plus important que l'album se fasse.

Oh oui, il faut quand même avancer, que les projets voient le jour. Et puis c'est le dernier comme ça.


C'est votre dernier "compromis" ?
Oui. Enfin, pas compromis, mais voilà, ça existe, c'est bien, je vais le jouer sur scène seule avec mon guitariste, Yann. En ce moment, on le répète et on va faire des concerts. Ça va être beau.



(Suite.)


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27 février 2009 5 27 /02 /février /2009 15:04
Jane d'un seul ?




"Type ? Je n'ai jamais suivi de parcours type !"

"J'aime la nudité d'un rythme et d'une voix"



Vous avez fait le Conservatoire. Votre démarche d'actrice est-elle plus académique et réfléchie que votre démarche de musicienne ?
Oui, je veux vraiment être très libre en musique. C'est pour ça que je m'y sens tellement bien, parce que je fais exactement ce que j'ai envie.


Au départ vous avez pourtant suivi le parcours type de quelqu'un voulant devenir actrice.
Parcours type ? Je n'ai jamais suivi de parcours type. J'avais juste envie de jouer la comédie. J'ai fait le Conservatoire parce que... d'une j'ai eu le concours et puis parce que... quand vos parents vous disent : "Qu'est-ce que tu veux faire plus tard ?" et que vous leurs dites que vous voulez jouer la comédie, ils vous disent alors que vous avez tout intérêt à faire une école, ce qui est normal venant de parents. J'ai donc fait le Conservatoire. J'y ai certainement appris des choses, mais il y en a d'autres que j'ai oubliées et c'est très bien comme ça.


Mais à l'époque, jouer la comédie vous attirait plus que la faire de la musique ?
Je n'y pensais même pas à la musique. La musique a toujours fait partie de ma vie, j'en ai écouté énormément, j'en ai toujours écouté...


Sans passer à l'acte pour autant ?
C'était un fantasme lointain. A l'adolescence, j'avais envie d'être regardée, j'avais vraiment plus envie de jouer la comédie.


C'était pour être dans un jeu de séduction ?
(Soupir.) Je n'ai jamais joué là-dessus. Je voulais juste qu'on m'embarque dans une histoire. C'est quelque chose de très agréable quand quelqu'un vous embarque dans une histoire.


C'est l'envie d'être enlevée, comme une princesse peut être enlevée ?
Oui, voilà. C'est sûr que la musique telle que je la fais moi - qui écris et qui compose - demande beaucoup de soi, beaucoup plus que de jouer la comédie, que d'arriver sur un plateau et de dire : "C'est quoi aujourd'hui ? Ok, j'ai appris mon texte, on y va". Même si après on peut y mettre du cœur.


Il y a plus de travail personnel dans la musique qu'au cinéma.
Oui et tant mieux, c'est un grand bonheur ! C'est à ce prix-là que ça me plait. Je m'amuse en faisant ce que je fais.


Alors pourquoi vous y être mise si tard ?
Parce que le métier d'actrice c'est aussi un truc où vous devez attendre qu'on vous appelle. Et moi je crois que c'est un truc qui ne va pas avec ma nature. Attendre auprès du téléphone, il y en a qui arrivent à le faire mais moi j'en suis incapable, ça me frustre trop. A un moment, j'en ai eu marre d'attendre et comme j'écrivais, comme j'ai toujours écrit (j'ai toujours eu des petits calepins qui m'accompagnaient dans ma vie, des carnets où j'écrivais plein de choses, mon journal intime, des nouvelles, des listes, n'importe quoi), je me suis dit : "Ca suffit, quoi ! On ne peut pas passer sa vie à attendre. Attendre on ne sait pas quoi d'ailleurs."


Il y a eu un autre déclic à part ce ras-le-bol d'attendre ?
(Silence.) Non. Enfin si ! Il y a quand même mon homme qui m'a dit : "Vas-y, quoi. Vas-y, qu'est-ce que tu attends ? C'est évident qu'il faut que tu y ailles." Donc lui m'a dit ces mots-là : "C'est évident."


L'homme en question, c'est Alain Bashung ?
Oui. C'est lui qui m'a dit, juste par des mots simples, des mots d'amour : "Mais bien sûr que tu es capable et que c'est évident qu'il faut que tu fasses ça." Ça a été le déclic ! Et en fait, tous les textes étaient déjà là. Je me suis donc mise à faire mes maquettes. Tout est venu comme ça.


Vous avez eu besoin d'un regard extérieur pour croire en vous, un regard catalyseur ?
Oui, mais ça aurait très bien pu ne pas être le sien... Vous savez, quelque fois quelqu'un vous dit une phrase et ça fait tilt ! Et ça peut être l'épicier d'en bas. Quelque chose se passe et vous montre que bien sûr c'est faisable. Et c'est vrai que c'est génial. Je suis très heureuse de chanter. Ensuite il y a eu Le cantique des cantiques. Vous connaissez ?


Oui. Quelque part, c'est votre premier album, non ?
Ah non, pas du tout. Moi, j'avais déjà fait mes maquettes. D'ailleurs je vais vous donner un disque que je viens de sortir sur mon site et qui est très important pour moi. (Elle fouille dans son sac, en sort Chienne d'un seul.)


Merci. J'ai appris l'existence de ce disque en surfant cet après-midi sur votre site. Je n'en avais pas du tout entendu parler avant.
Parce que ce n'est pas distribué par Naïve. D'ailleurs ils m'en voudraient que je vous en parle, mais bon (rires) ! Je viens de le sortir, c'est une autoproduction. Mais en même temps, c'est un bel objet. J'en suis très contente. C'est Christophe qui a fait les photos de la pochette.


The Christophe ?!
Oui ! Et ce disque c'est ce que je fais sur scène depuis maintenant un an et demi.


Chienne d'un seul est un projet plus ancien que Le cantique des cantiques ?
Pour la plupart des premiers jets des chansons, oui. Vous voyez le temps que ça m'a pris !


Mais Chienne d'un seul est sorti après Le cantique des cantiques.
Oui, en terme de commercialisation, Le cantique des cantiques a précédé. Ensuite, on a tourné avec Alain. J'ai intégré La tournée des grands espaces.


Je vous ai vu sur scène pour La tournée des grands espaces quand vous êtes passée au festival Le rock dans tous ses états à Evreux. A la fin du spectacle, vous chantiez en duo avec Alain.
Ah, super ! C'est chouette. C'était beau ces images. On a tourné deux ans, un grand bonheur. Et ensuite, j'ai pris ma route à moi, ce qui est aussi très important pour moi.


Pour ne plus être sans cesse prise sous l'aile de quelqu'un d'autre ?
Oui parce que c'est très étouffant au bout d'un moment. En fait, pour nous, ce n'était que du bonheur, mais le regard des autres est pesant. Très pesant.


J'imagine qu'on vous a vite collé l'étiquette de "femme de" et qu'on disait de Bashung qu'il était votre pygmalion.
Oui et quelque fois c'est même moins gentil que ça. Et moi j'avais besoin de m'épanouir, de chanter mes chansons. Il m'a donc mis le pied à l'étrier parce que j'ai pu faire ses premières parties mais après j'ai trouvé des salles et maintenant ça fait un an et demi que je fais les bars, les clubs, de tout petits endroits, mais au moins c'est mon choix ! Je me réapproprie quelque chose, ce qui est vachement important pour moi. Et ce disque, Chienne d'un seul, on l'a vraiment fait à la maison en trois jours, juste mon guitariste, Yann Péchin, et moi.


Sur ce disque vous avez aussi travaiillé avec Christophe Van Huffel et Encre. En tant que que guitariste de Tanger et de Christophe, deux artistes assez proche de la nébuleuse chanson rock d'Alain, votre collaboration avec Van Huffel ne m'a pas trop étonné, mais un peu plus celle avec Encre, alias Yann Tambour. Parce que cet auteur-compositeur-interprète d'une chanson rock qu'on pourrait définir comme post Sonic Youth et Dominique A est plus jeune. Comment l'avez-vous rencontré ?
En fait, ça s'est fait au tout début de Chienne d'un seul. Je compose à la voix, en chantonnant mes textes, parce que je sais comment doivent sonner les mots, donc j'écris et après je compose la musique par rapport à la voix. Parfois, je ne mets juste une rythmique en boucle ce qui me donne un premier jet de mélodie. J'aime bien cette fraîcheur, ce truc très naïf, très nu aussi où il y a juste une rythmique et une voix. Ça permet d'essayer plein de choses, très librement. Et donc une fois que j'ai eu ces lignes mélodiques, j'ai contacté plusieurs musiciens pour m'aider à harmoniser et à arranger tout ça. En est sorti une première mouture, qui n'a jamais vu le jour. Et après un an et demi de scène avec Yann, on avait refait tous ces morceaux ainsi que des nouveaux morceaux tous les deux et on a enregistrés tout ça sans les arrangements des premières moutures. Ces musiciens m'ont donc aidé à ce que les morceaux existent au niveau mélodique, mais finalement il n'y a que Yann qui joue sur le disque.


(Suite.)


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