Le centre mou
"Quand l'adolescent regarde ses chaussures, il rêve à son futur"
"Shoegazing Kids c'est comme une espèce en voie de disparition qu'il faut câliner"
Revenons au style musical que vous développez sur Shoegazing Kids, il m'intrigue. Pour moi il évoque une sorte de mélange entre rock indé et pop FM, mélange que j'ai dernièrement trouvé et apprécié chez un autre groupe français comme Rhesus. Rhesus quand j'écoute leur The Fortune Teller Said, j'entends à la fois Sonic Youth, les Pixies, Goldman et Cock Robin ! Et c'est aussi ce que promet l'album à venir des Elderberries, une sorte de gros rock produit à la sauce FM par le mec qui a bossé pour Coldplay. J'ai le même genre de sentiment quand je vous écoute. Ça vous inspire quoi ?
Emmanuel : Bah faire du rock indé ça ne veut pas forcément dire faire un rock rêche et ardu comme le Daydream Nation de Sonic Youth. Parce que par exemple tu as aussi The Smashing Pumpkins qui ont un son très puissant, très lourd, mais qui font une musique est crémissimo, soyeuse. Dans le rock indé tu as tout ça.
François : Oui, quand on pense rock indé on pense aussi aux Smashing Pumpkins et à Nirvana, des groupes modèles du genre qui ont pourtant explosé sur la FM.
Ça me rappelle ce qu'a dit récemment ma mère en entendant Nirvana à la télé, comme quoi elle n'aimait pas trop que le chant criard du mec mais que finalement la musique passait parce qu'elle y décelait une mélodie. Ça m'a surpris mais finalement Nirvana c'est ça : de vraies chansons pop au-delà des guitares et des grumeaux dans la voix.
François : C'est clair.
Et vous c'est un peu le même délire : vous sortez les guitares mais vous les peignez soigneusement pour qu'elles ne tapent pas sur le crâne. Vous pouvez donc plaire à ma mère !
Arno : Pourquoi pas ?!
François : Et puis Sonic Youth a réussi à prouver qu'il y avait des textures super agréables dans la dissonance. On essaie nous aussi d'en trouver.
Emmanuel : C'est sûr qu'on n'essaie pas de faire du garage rock. Plein de groupes sont dans cette esthétique 1-2-3-4 on bourrine comme si on était dans notre cave. Ce n'est pas notre truc.
En fait chez Stuck In The Sound il y a un côté BCBG dans le son, propre, lisse, lover. C'est pour que ça plaise aussi aux filles ?
Arno : Ouais, aussi !
François : Il faut que la musique soit un minimum chatoyante et attirante avant de devenir, comment dire ? Esotérique et lettrée. Et puis bon, on contrebalance ça en étant plus fou sur scène (rires) !
Emmanuel : En même temps c'est être ambitieux que vouloir faire un truc léché. Et puis la question ne se pose même pas en ces termes. C'est juste que lorsque tu enregistres tu cherches le type de prod qui va coller à l'esprit de tes chansons. Et une prod cheap ou agressive aurait dénaturé l'esprit de ces nouvelles chansons, qui se veulent assez sentimentales, mélancoliques. Pour illustrer ça on avait besoin d'un son qui soit riche, coloré, agréable.
Comment vous est venue l'idée d'appeler l'album Shoegazing Kids ?
Arno : Je crois qu'on a décidé ça pendant l'enregistrement du disque au studio Vega qui se situe dans le sud de la France, à Carpentras. On cherchait un titre tournant autour de l'idée de l'adolescence car tous les morceaux de l'album tournent autour de ça, les joies et les problèmes de l'adolescence, les premiers baisers, les premières ruptures. Et puis on est tombé sur la photo d'une de nos fans, celle qui orne maintenant la couverture du disque. On voit la fille tirer son T-shirt et regarder ses chaussures comme une adolescente introvertie dont on a du mal à dire si elle se sent mal dans sa peau ou pas. On a alors pensé au terme "shoegazing" qui, avant de définir un style musicale, signifie regarder ses chaussures. On s'est dit que ce serait un bon terme pour définir cette période d'introversion qu'est l'adolescence.
François : Quand l'adolescent regarde ses chaussures il rêve à son futur, même s'il se sent différent des autres et qu'il ne sait pas trop à quoi s'attendre avec le monde.
Ce titre a induit des gens en erreur. Ils croyaient alors avoir affaire à un disque de shoegazing et en fait non, votre musique n'est pas shoegaze !
François : En même temps elle n'est pas non plus à mille lieux du shoegaze.
Oui, parce que votre musique véhicule une petite part de cet onirisme cotoneux qu'on retrouve à bloc dans le shoegaze.
François : Il y a une parenté sonore parce qu'on aime ces sonorités issues de la fin des 80's et du début des 90's.
Tout à l'heure je vous parlais de Rhesus qui, comme vous, négocie parfaitement le cross over indie rock / pop FM. Avec son dernier album, Saturday = Youth, Antony Gonzales de M83 se situe lui aussi dans cette mouvance. Vous connaissez ?
Arno : Non...
Sa musique est clairement plus shoegaze que la votre car il revendique ouvertement l'influence de My Bloody Valentine. Mais elle a aussi cette douceur et ce romantisme qu'on retrouve en filigrane chez vous. Et ce n'est pas étonnant parce que d'un autre côté il assume clairement l'influence de la pop FM, celle de Tear For Fears par exemple. Il est donc dans le même entre-deux musical que vous. En plus de ça, comme en témoigne le titre de son disque (Saturday = Youth semble être comme un écho à Shoegazing Kids) il a les mêmes préoccupations que vous, à savoir que ses chansons parlent beaucoup d'adolescence perdue. D'ailleurs voyez la pochette de son disque, on y voit aussi des adolescents à l'humeur ambiguë, entre tristesse et fierté.
François : Ah oui, carrément...
Mais il n'y a pas de secret, Antony Gonzales a le même âge que vous. En fait avec ce concept de Shoegazing Kids vous avez mis le doigt sur quelque chose de générationnel !
François : Peut-être, mais on n'a pas fait exprès !
D'ailleurs dans le même genre il y a aussi The Teenagers. Vous connaissez ?
François : Vaguement.
Eux aussi sont vraiment à cheval entre indie rock et pop FM et parlent à fond d'adolescence. Leur spécificité c'est qu'ils le font avec un max d'ironie en tournant en dérision les codes culturels anglo-saxons dans lesquels ils ont baigné. D'ailleurs lorsque je les avais interviewé on avait presque autant parlé de musique que de sitcoms, genre Sauvés par le gong, Parker Lewis ne perd jamais, etc. Et si je vous parle de ça c'est que votre album m'a fait la même impression. C'est-à-dire qu'à l'écoute de Shoegazing Kids j'ai eu le sentiment d'être embringué dans une sorte de sitcom pour ado, un truc un peu emo, avec tous les clichés du genre, genre Dawson !
Arno : Avec des riffs à la Beverly Hills !
François : Non, mais ce n'est pas faux, il y a de ça. Parce qu'on est un peu dans le trip d'une Amérique fantasmée. Grave. Je veux dire, nous, un des groupes qui nous a le plus influencé c'est The Zit Remedy des Années Collèges. Ils n'ont qu'un seul titre mais il déchire.
Je ne m'en rappelais plus ! Ça donnait quoi l'air ?
François : "Everybody want something, they'll never give up..."
Emmanuel : Les filles de la série étaient plus belles que celles qu'on avait dans notre classe...
Aha. Revenons à ce titre Shoegazing Kids. Vous avez le chic pour trouver des titres accrocheurs. Déjà Nevermind The Living Dead ça sonnait bien et là rebelote. En plus, après ce "Nevermind" qui faisait forcément penser à l'album culte de Nirvana, avec ce "Shoegazing" vous arrivez une nouvelle fois à placer un mot qui véhicule l'histoire du rock. Il y a un publicitaire dans le groupe ou quoi !?
Arno : Oui, notre publicitaire c'est Jack Daniels (rires) !
François : Arno a raison parce qu'on était dans un bel état quand on a décidé de ce titre (rires) ! Mais c'est vrai que c'est rigolo parce que c'est le deuxième titre qui a à la fois un sens pour nous, pour le disque et qui en plus fait référence à l'histoire du rock. Et c'est une bonne chose de montrer dans quelle tradition on se place. On n'aurait par exemple jamais pu appeler ce disque Tostaky Youth (rires) !
Votre science du titre s'exprime même dans l'intitulé de vos chansons, qui est toujours concis et catchy. Par exemple que signifie "Zapruder", le titre du morceau d'ouverture de Shoegazing Kids ?
François : C'est le nom du caméraman qui avait filmé l'assassinat de JFK. Le premier film gore ! C'est vrai qu'on aime bien avoir des titres qui claquent. Ça vient peut-être de notre culture de français qui ont kiffé sur le rock à un âge où on ne comprenait pas les paroles mais où on trouvait qu'elles claquaient sévère.
Même votre nom de groupe claque ! D'où vient-il ?
Arno : Je crois qu'il date de l'époque où on était en face de ciné avec José. Une de ses amies l'avait surnommé Stuck in the sand, "coincé dans le sable". On est allé voir notre prof d'anglais à la fin du cours et il nous a dit que pour un nom de groupe ça ne voulait rien dire, mais que si on remplaçait "sand" par "sound" ça créerait un côté féerique un peu plus sensé. On l'a regardé et on a fait : "Ok".
François : Aujourd'hui on s'est pleinement approprié ce nom de groupe.
Stuck In The Sound c'est un peu comme Daft Punk, ça sonne tellement et c'est tellement dépositaire d'une griffe, comme une marque, un club, que les gens ont fini par lui trouver un diminutif. De la même manière qu'on dit les Daft on dit les Stuck.
Arno : Ouais, mais avoir un nom à rallonge c'est pas mal aussi parce que ça permet de bien voir ton nom quand tu joues dans une salle où ils affichent le nom des groupes.
Emmanuel : Oui et puis dans les années 90 tous les groupes qu'on aimait avaient des noms pas possibles, genre The Smashing Pumpkins, Rage Against The Machine. Du coup c'est vrai, les gens usaient de diminutif, genre les Smashing, les Rage. On est donc content qu'il nous soit arrivé la même chose.
Et puis Stuck ça fait "stock" ! Un mot très 90's qui ne se dit plus aujourd'hui.
Arno : Aha, on est stock ! Sérieux, c'est pas mal ce mot. En plus ça me fait aussi penser à "stone" : "Aha, je suis complètement stock !" Yes.
J'ai lu quelque part qu'avec Shoegazing Kids vous aviez voulu faire THE bel album avant que le disque ne soit vraiment un support dead de chez dead. Ce qui fait de ce disque un disque triplement nostalgique, de par son support, ses références musicales et son propos sur l'adolescence.
Arno : Oui, on ne sait pas trop ce que sera l'avenir. Si ça se trouve dans 2-3 ans au moment de sortir notre troisième album le truc ce sera juste de sortir des singles vendus en ligne.
François : Donc voilà, peut-être que Shoegazing Kids est notre dernier CD. Parce que le CD c'est comme un Panda : une espèce en voie de disparition qu'il faut câliner (rires) !