Désarmant
"Mon premier concert a failli être le dernier"
"Voir le morceau s'assembler fait partie du show"
Comment as-tu appréhendé le fait de te "décamoufler" avec ce projet solo, de trouver enfin ta justesse vocale et musicale ?
Ça a mis un peu de temps. Parce qu'à la limite, même sur le 7 titres il y a quelques titres, notamment un titre qui s'appelle "La lisière", qu'avec le recul je n'aurais peut-être pas fait comme ça. Parce que j'étais encore dans une période où je cherchais. Mais après, quand j'ai commencé à assumer ce que j'étais et ce qu'était ma musique, c'était plutôt une libération. Au bout d'un moment, on arrête justement de s'encombrer d'influences extérieures, on arrête aussi d'essayer de se camoufler parce qu'on est timide ou parce qu'on pense que ça ne va pas plaire. Là, vu que le but du 7 titres c'était vraiment de se faire plaisir (on ne savait même pas si derrière ça allait sortir et donc si des gens allaient l'écouter), on a été à fond dans une direction.
La scène a-t-elle joué un rôle important dans la maturation des morceaux et la poursuite de ta démarche solo ?
En fait, ça m'a procuré beaucoup de plaisir et un plaisir qui était différent de celui du groupe. Donc effectivement, ça a joué mais dans un premier temps c'était plutôt une contrainte. Le premier concert que j'ai fait tout seul, je me suis un peu dit que ce serait peut-être le dernier, parce qu'autant j'avais l'habitude des concerts pour en avoir fait beaucoup avec eNola et d'autres groupes, autant là pour le premier concert en solo c'était vraiment très très dur. C'était en première partie de Benjamin Biolay, au Plan à Ris Orangis et je n'étais pas encore tout à fait près. Le début du concert était vraiment moyen, les gens l'ont vu, mais après je me suis petit à petit libéré et finalement ça a bien plu donc c'était plutôt encourageant. Mais du coup, je m'étais dit : "J'en fais un deuxième, je vois comment ça se passe et si c'est aussi dur pour moi intérieurement, j'arrêterai. Peut-être que je continuerai à enregistrer mes morceaux tout seul mais je ne vois pas l'intérêt de monter sur scène si c'est pour être mort de trouille". Mais après j'ai eu beaucoup de réactions positives donc déjà ça m'a un peu remotivé.
Ensuite tu as eu un déclic sur scène ?
En fait, dès le deuxième concert ça allait beaucoup mieux, j'avais retrouvé les automatismes que j'avais avec eNola. C'est-à-dire qu'il y a une sorte d'appréhension, un peu de nervosité avant le concert, mais très vite après on oublie un peu où on est, on oublie un peu qui on est et on se lâche. Et là comme j'avais l'avantage d'être tout seul, je pouvais justement me lâcher à tous les niveaux, je pouvais modifier la structure des morceaux, faire très soft un morceau qui est normalement plutôt rock, adoucir le passage d'un morceau ou le durcir si je vois que le public n'est pas attentif. Ça me permet de m'amuser. Les morceaux durent des fois 4 minutes, parfois ils en durent 12, avec ce système de sample que j'utilise je peux vraiment choisir...
Etait-ce un choix ou une contrainte de t'auto-sampler ?
J'avais peur. Au début, ma grande appréhension quand j'ai commencé tout seul c'était que j'avais peur d'ennuyer les gens. Je me suis dit : "Avec ma petite guitare et un peu de chant, c'est bon au bout de trois morceaux les gens se seront endormis ou ils seront partis". Donc l'histoire du sample ne me paraissait pas mal. J'avais vu Joseph Arthur utiliser ça brillamment donc je me suis dit : "Je vais peut-être essayer un truc un peu dans cette veine, ça me permettra de faire des morceaux vraiment intimistes et puis des trucs un peu plus bizarres".
C'était donc un vrai choix musical.
Oui, mais dans l'idéal, si je pouvais marier des concerts vraiment solo et des concerts avec d'autres musiciens ce serait bien. J'aimerais bien essayer de jouer avec un quatuor. Mais bon après il y a les contraintes économiques. L'avantage d'être tout seul c'est de pouvoir se déplacer en voiture. On est deux ou trois, il y a Antoine l'ingé-son, Stéphanie la manageuse et voilà on prend une voiture, on part, avec mes deux guitares, mon sampler. Si je commence à jouer avec des musiciens, ça nécessite de demander des cachets plus importants, de louer un camion, de trouver un logement, enfin plein de choses qui font que jouer tout seul est un peu le résultat de contraintes, mais je m'y retrouve vraiment.
Avec ce système de pédale de sample, tu as la liberté sur scène de modeler à l'envie tes morceaux. Dans ce champ des possibles comment as-tu réussi à te fixer une limite pour trouver la forme définitive des morceaux à mettre sur l'album ? Et pourquoi le son de l'album est-il si différent du live qui lui était plus chaud, profond, presque tribal...
Le but c'était vraiment de faire sur scène quelque chose qui ne ressemble pas à ce qu'il y a sur disque, que ce soit sur le premier (Le Long Train Lent et les Beaux Imbéciles, le 7 titres, nda) ou le deuxième (Néons Blancs et Asphaltine, premier vrai album, nda). A la limite, dès qu'un morceau commençait à trop ressembler à une version du disque, j'essayais un peu de le rattraper et de le tirer vers un autre sens, j'aimais bien lui donner une autre couleur. Il y a des morceaux qui ont pas mal évolué entre le début et maintenant, pour ne pas me répéter. Je pense que si les gens viennent me voir, ou viennent voir un artiste en général, c'est pour qu'il se passe des choses un peu surprenantes, pas pour qu'il y ait exactement la même chose que sur le disque. Ca peut être bien aussi mais ce n'était pas mon trip. J'avais vraiment envie de faire quelque chose d'autre.
Le sample est une technique contraignante à manipuler sur scène, il faut jongler avec les pédales, etc. comment t'y es-tu préparé ?
Il faut être bien concentré c'est surtout ça. Et curieusement j'avais un petit peu peur que les gens trouvent un peu fastidieux le fait que je m'enregistre au début de chaque morceau. Mais curieusement, très vite, dans les premiers concerts, j'ai vu que les gens prenaient ça comme faisant partie du spectacle. De voir le morceau s'assembler, de voir quelle pédale j'étais en train de trifouiller, apparemment c'était captivant vu de l'extérieur. Donc voilà tout le monde s'y retrouve parce que moi je m'amuse bien.
On a l'impression que tu t'es autant emmené dans ton propre univers que tu y as emmené les spectateurs. T'es-tu pris au jeu de jouer à chaque fois ton univers sur scène et de faire corps avec ?
Le but, c'est ça, essayer vraiment de s'oublier et de se laisser emmener par le morceau, quitte à se planter à la limite. Parfois, les fins des morceaux ne ressemblent plus à rien car j'ai été trop loin. Mais bon ce n'est pas grave car l'intensité est là. Et à la limite, si la fin est une masse sonore complètement brouillonne ça permet de véhiculer l'idée de colère par exemple, et c'est très bien comme ça. Donc effectivement, ça arrive parfois de vraiment s'oublier et c'est vraiment le but. Malheureusement parfois ce n'est pas le cas, on reste scotché sur ses petits problèmes techniques...
Ton univers semble fonctionner comme une bulle. N'a-t-il pas fini par trop t'obséder à force de t'immerger dedans concert après concert ?
Non, dès que j'arrête de jouer c'est fini. A la limite, je peux à nouveau m'y retrouver quand je suis chez moi et que je travaille sur des nouveaux morceaux, mais sinon dès que le concert est fini la petite bulle éclate. Je pense que c'est mieux pour tout le monde, enfin surtout pour ma santé mentale.
Sur scène les morceaux sont parfois bruitistes mais pas sur l'album...
Oui, j'ai l'impression que le côté excessif de la scène marche bien sur l'instant, et du fait qu'étant seul je dois pallier l'absence d'autres musiciens en grossissant un peu le trait pour que l'émotion passe. Mais sur disque je ne suis pas sûr qu'en grossissant le trait de la même sorte ce soit toujours très convaincant. Chercher ainsi à séduire ça peut vite devenir un peu pataud ou putassier, donc j'ai vraiment voulu faire quelque chose de beaucoup plus sobre, de plus dépouillé sur le disque qui permet de l'écouter un certain nombre de fois sans être écoeuré. En fait c'est ce que je reproche au premier album d'eNola : des morceaux peuvent se révéler assez percutant à la première écoute, mais au bout de 4-5 écoutes ils deviennent un peu écoeurant parce que ça fait un peu trop grandiloquent.
A l'inverse, ne t'es tu pas dit que tu pouvais lasser en épurant trop et en déclinant des climats sensiblement identiques du début à la fin de l'album ?
C'était un risque mais un risque assumé. Dès le départ, je me suis dit : "Je vais essayer de faire quelque chose qui me corresponde totalement" et donc musicalement ça se traduit comme ça, par un univers assez triste, mélancolique, calme et dépouillé. Il n'y a pas de morceaux vraiment enlevés, mais c'est ce que je voulais. Après je sais que ce n'est peut-être pas ce qu'il y a de plus séduisant, il y a peut-être des gens que ça va profondément ennuyer d'écouter ça, tant pis, ils écouteront autre chose, mais moi je voulais vraiment aller au fond de ma recherche.
Avec qui as-tu travaillé sur Néons Blancs et Asphaltine ?
Avec Antoine (Gaillet, nda), toujours. En fait, on a presque tout fait à deux. Après j'ai demandé à Loïc de faire les batteries. Il y a Cyann de Cyann & Ben qui vient chanter sur un morceau, mais globalement on l'a fait à deux avec Antoine et je me suis chargé d'à peu près tous les instruments, hormis la batterie, parce que je suis incapable de jouer de la batterie. Et en fait, on est quand même parti de la base des morceaux, c'est-à-dire des samples que je fais sur scène. Mais les morceaux que j'avais joué avant sur scène, là quand on les a eu sur bande, on a essayé de les triturer pour que ce soit à nouveau autre chose. Ce côté un peu tribal de la scène, petit à petit on l'a modifié, on la arrangé différemment. Donc il y a des morceaux où ce son est encore présent mais comme c'est un peu plus noyé dans le reste des arrangements, je pense que c'est peut-être moins évident. La structure de base de morceaux comme "Néons Blancs et Asphaltine" ou comme "Le Phare", si on l'écoute c'est vraiment ce qu'il y a sur scène, sauf qu'après on a un peu divagué.
(Suite.)