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  • : PARLHOT
  • : Parlhot cherche à remettre l'art de l'interview au cœur de la critique rock. Parce que chroniquer des CD derrière son ordi, c'est cool, je le fais aussi, mais le faire en face du groupe en se permettant de parler d'autres choses, souvent c'est mieux, non ?
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4 mars 2009 3 04 /03 /mars /2009 17:48

Génération post
rock-lettré ?



Sorti le 19 septembre, Fantaisie Littéraire est un livre-disque initié par le festival littéraire Les Correspondances de Manosque. A l'occasion de leurs 10 ans, Olivier Chaudenson, leur directeur, a demandé à 17 des meilleurs auteurs compositeurs interprètes français de lire et de mettre en musique le texte d'un roman contemporain de leur choix. Qui a choisi quoi ? Pour quels résultats ? Qu'est-ce que tout cela dit du "rock littéraire" d'aujourd'hui ? Décryptage.


Je n'ai pu m'empêcher d'être content en recevant Fantaisie Littéraire. Avant même de l'écouter. Parce qu'indépendamment du contenu, il y a le contenant : un beau livre cartonné de 108 pages et un CD de 17 titres, édité par Le bec en l'air. A l'heure de la dématérialisation de la musique, ça fait peut-être réac' à dire, mais de voir, toucher et feuilleter un tel objet fait plaisir. On se sent comme face à un îlot de résistance, une conception de la beauté qui n'a pas dit son dernier mot : l'album comme pendant musical du roman. D'ailleurs, d'être tombé en désuétude commerciale depuis l'arrivée du MP3, il semble que le CD ait enfin acquis une certaine noblesse, celle d'être, en tant que disque, la dernière trace de "l'esprit vinyle". Ainsi revalorisé en "bunker artistique", ce format en voie de disparition a abrité ces dernières années quelques projets osés, pour ne pas dire, pour certains, kamikazes. Je pense au premier maxi de Nicolas Comment (Est-ce l'Est ? un recueil photographique accompagnant un CD 5 titres, et vice versa) ; à la défunte collection Saison de l'éditeur Filigranes contenant trois livres-disques (un de Patrick Bouvet, un de Bertrand Bonello, un de Rodolphe Burger et Pierre Alféri) ; aux deux livres-disques de Florent Marchet (Rio Baril et Frère Animal) ; au double album de Mendelson (Personne ne le fera pour nous), au triple album de Saez (Varsovie, L'Alhambra, Paris), etc.


Manifeste artistique




Le propos de Fantaisie Littéraire tient dans son titre. En détournant celui du disque phare de la "chanson rock" (Fantaisie Militaire, Bashung au chant, Jean Fauque au texte), il dit : "J'ai réuni les meilleurs descendants des deux premières générations de "rock lettrée", les enfants de Bashung et de Dominique A, et je leur ai proposer un jeu : s'autoriser à faire l'inverse de ce que firent leurs aînés : ne plus tordre notre langue aux drastiques contingences de la pop, mais lui redonner les pleins pouvoirs en mettant des textes de romans contemporains en musique." Et son hypothèse est que ces deux formes d'expressions ont des choses à se dire, voire mieux, qu'elles peuvent "coller". Car Bashung & co n'ont pas seulement permis l'émergence d'une nouvelle scène chanson, ils ont parallèlement contribué à l'avènement d'une nouvelle scène littéraire. C'est pourquoi ce livre-disque collectif se présente comme un "manifeste artistique" traduisant "les nouvelles relations entre musique et littérature". Mais le livre-disque est-il un au-delà pertinent au "rock lettré" ?


Télérama-Inrocks connection


Les couples musicien/écrivain de Fantaisie Littéraire sont : Bertrand Belin/Eric Reinhardt, Arman Méliès/Eric Meunié, Valérie Leulliot/Brigitte Giraud, Dominique A/François Vergne, Barbara Carlotti/Mathieu Riboulet, Serge Tessot-Gay/Georges Hyvernaud, Joseph D'Anvers/Olivier Adam, Doriand/Richard Morgiève, Claire Diterzi/Arnaud Cathrine, Erik Arnaud/Mehdi Belhaj Kacem, Florent Marchet/Edouard Levé, Thomas Fersen/J.D Salinger, Theo Hakola/Kaye Gibbons, Rodolphe Burger/Eugène Savitzkaya, Lola Lafon/Yannick Haenel, BABX/Paul Celan, Mendelson/Olivia Rosenthal. La moitié de ces noms ne vous dit rien ? Vous trouvez que ça sonne intello genre Télérama-Inrocks connection ? Moi aussi. Ma première impression fut : "Wouah, ça ne va pas être fondamentalement chiant d'écouter des mecs essayer de faire des chansons avec des bouts de romans ? L'exercice n'est-il pas un peu vain ? En plus on retrouve les mêmes auteurs-compositeurs-interprètes que d'habitude. Ceux qui ont tous fait philo-khâgne-Sorbonne."


Ecrivains dans l'âme



Comme je n'étais pas pressé de passer le disque je suis allé lire les "speech" que chaque musicien avait pris soin d'écrire pour expliquer son rapport à la littérature et au texte retenu. Ça, oui, ça me faisait envie. Je me disais que j'allais pouvoir voir qui assure en " écriture pure" (des écrivains dans l'âme ?) et éventuellement glaner quelques chouettes confidences sur leur personne et leur art, comme j'en ai lus sur Bertrand Betsch, Dominique A et Arman Méliès dans les petits livres qu'ils ont écrits pour la collection Carré de La machine à cailloux. Si le Méliès, trop vert, file au ras des pâquerettes, il faut lire Un bon chanteur mort de Dominique A, superbe. Bref Fantaisie Littéraire, le disque, je l'ai écouté trois fois. Ça n'a l'air de rien, mais par là j'ai eu l'impression d'accomplir un exploit à la Gérard d'Aboville. 17 titres c'est long quand il n'y en a que 7 de bon. On y distingue deux approches du texte littéraire : ceux qui ont choisi un texte court pour en faire une chanson et d'autres un texte long pour faire une "lecture ambiancée". Côté "court", 4 tentatives sur 6 font mouche. S'appropriant le texte, chacun joue dans sa cours. Bertrand Belin fait du Bertrand Belin (jolie ballade violonnée), Barbara Carlotti du Barbara Carlotti (belle ritournelle méditerranéenne), Doriand du Doriand (chiant), Rodolphe Burger du Rodolphe Burger (dialogue homme femme sur fond de musique ambiante), Lola Lafon du Lola Lafon (chiant). Mention spéciale à Erik Arnaud : avec sa science physique du découpage, de deux pauvres bouts de texte, il accouche d'une vraie chanson avec un milieu, un début, une fin. Et c'est presque magique de voir ce truc pop-folk prendre vie sous nos yeux.


Dominique A déçoit


Côté "long", 3 réussites sur 11, c'est maigre. A cheval sur la chanson et la lecture ambiancée, Méliès déçoit (encore). Si la première partie de son travail avec Eric Meunié accroche parce que la voix terreuse et dédaigneuse de l'écrivain se marie bien à ses accords tristes et aériens, la seconde lasse, son chant à lui étant trop mou, complaisant. Valérie Leulliot est, elle, tout simplement divine. La diction de sa voix blanche est parfaite, presque sensuelle même, et sa mélodie de guitare, légèrement mélancolique, caresse comme un ange passe. Tout ça donne un morceau qu'on a envie de réécouter. Ce n'est pas le cas de la prestation de Dominique A. Ce n'est pas que sa lecture atone posée sur le discret tapis d'une mélopée indus soit mauvaise, c'est juste que ce n'est pas transcendant plus. Passable. Toujours la tête dans La peau et les os de George Hyvernaud, Serge Tessot-Gay farcit d'une musique guitaristique anxiogène un texte anxiogène : chiant. Tout comme la lecture ambiancée D'Anvers d'un texte d'Olivier Adam. Trop salement triste, miséreuse, réaliste. Tout comme celle de Claire Diterzi : trop nue, spectrale, vide. Mais bon, je ne suis pas sensible au style de l'écrivain qu'elle a repris (Arnaud Cathrine), c'est peut-être là que ça coince, parce que normalement Diterzi, je suis client. Théo Hakola c'est comme Lola Lafon : mélodie pas mal mais voix calamiteuse. Enfin moi, je ne peux pas. Et BABX, sa lecture glauque et martiale d'un texte sur la Shoa, c'est... Comment dire ? Chiant. A côté le truc de Tessot-Gay c'est "Le petit bonhomme en mousse". Même Pascal Bouaziz m'a déçu, et pourtant j'aime ce qu'il fait sous le nom de Mendelson, comme en témoigne le long entretien que je lui ai déjà consacré. Mais ses 14 minutes de lecture cafardeuse sur l'histoire d'un type qui "se sent disparaître à lui-même", argh. Trop lugubre.


Thomas Fersen assure grave




Heureusement pour eux, l'équipe des verbeux compte Florent Marchet. Florent je n'aime pas trop ce qu'il fait depuis Gargilesse, mais là chapeau. Ce joyeux luron a opté pour un passage du livre posthume d'Edouard Levé : Suicide. Et son morceau a donc beau parler de suicide, son architecture musicale est tellement grandiose, à mon humble avis dans la veine du "Bal de Laze" de Polnareff, qu'on en ressort comme lustré, grandi. Et puis il y a Thomas Fersen ! Ah, celui-là, je n'en attendais rien (je n'ai jamais aimé sa musique), mais là, respect. Parce qu'il a choisi un texte superbe, attachant, pas prise de tête (L'Attrape-cœurs), qu'il le lit d'une voix de garnement mâchonnant (tout à fait la voix d'Holden Caulfield, se dit-on, alors qu'on n'a bien sûr jamais entendu Holden Caulfield parler ailleurs que dans notre tête) et qu'il lit ça sans musique. Il a tout compris Fersen ! Avec un texte pareil, il fallait mettre un coup de canif dans le contrat du projet. Taire la musique des instruments pour faire pleinement parler la musicalité du texte.


Un vrai club échangiste


Dans Fantaisie Littéraire, le livre, ils sont nombreux à faire part de leur méfiance à l'idée de confronter littérature et chanson. Là-dessus Pascal Bouaziz fait office de véritable bullshit detector. Les risques, il les voit tous, notamment ceux du pathos et de la consanguinité. Et il raison : à force de s'entre admirer et de collaborer ensemble, ces artistes-là finissent par se ressembler. Je pense à Arnaud Cathrine, Dominique A, Arman Méliès, Joseph D'Anvers, Florent Marchet, Olivier Adam. Leurs noms reviennent plusieurs fois dans la bouche d'un tel et d'un tel. Un vrai club échangiste. Pascal Bouaziz fuit ça comme la peste. Mais il est un point qu'il ne remet pas en cause, et c'est pour ça qu'à mon sens, il se gaufre, ce point c'est la possibilité de pouvoir décemment mixer littérature et chanson. En bon prof, Dominique A rappelle les fondamentaux de ces "liaisons dangereuses" entre littérature et chanson en disant, en gros, qu'une chanson doit y aller mollo dans les mots pour "ne pas couper l'herbe sous le pied de la musique". Dans cette voie, Rodolphe Burger va plus loin. L'ex chanteur de Kat Onoma dit qu'il y a pour lui "transgression d'un interdit" à mettre la littérature en musique car elle est ce qui "se passe de tout, surtout de musique". Il appuie son propos d'une citation de Kafka : "J'ai une force en moi, c'est mon être non musical". Et c'est ce que dit, sans le dire, Thomas Fersen. Fersen qui n'a d'ailleurs même pas écrit ne serait-ce qu'une seule ligne dans Fantaisie Littéraire pour parler de son rapport à la littérature et de son choix du célèbre roman de JD Salinger. Tout ça se passe de commentaires.


Détournement de majeurs




Gainsbourg parlait d'art mineur. On en revient toujours à cette formule : la chanson comme concept pop par excellence, crac boum hue de 2 minutes 30, n'en parlons plus. Un jour dans Rock&Folk, le critique rock Pacôme Thiellement a eu cette belle phrase : "Tout Gainsbourg tient dans une acceptation particulièrement sèche de l'expression détournement de mineur." Voilà, une bonne chanson c'est ça, du sexe, un larcin. Une pulsion dans l'air. Dans Un bon chanteur mort, Dominique A dit ceci : "Lorsque j'écris des chansons, c'est la musique que je vise (...) J'accorde cependant la primeur aux mots. Ce sont eux qui vont la légitimer, lui donner en quelque sorte le droit à l'existence. J'imagine que j'ai besoin de ce paradoxe pour susciter une tension à l'intérieur de la chanson, de manière que, même au diapason du texte, navigant dans les mêmes eaux, la musique puisse toujours faire reproche à celui-ci d'avoir sur elle droit de vie ou de mort ; et qu'elle instrumentalise, à tous les sens du terme, ce reproche pour reprendre l'ascendant." Toujours cette idée de combat, de sexe et de frottements. Idée qu'on retrouve aussi chez Rodolphe Burger lorsqu'il dit que ce sont des "histoires d'amitiés", donc d'amour, qui le font céder à tremper lui aussi dans ces histoires de "trafics musicaux avec des textes littéraires". L'auteur de La Fossette reprend : "Quand elle la musique est livrée à elle-même, lorsque aucun texte, même anodin, ne la porte, lorsqu'elle n'a pas à défendre sa place, sa solitude l'intimide. C'est comme un couple qui passe sa vie à se déchirer, mais dont on voit l'un totalement démuni quand l'autre s'en va." Et ce qu'il dit là, c'est un peu ce qu'on ressent face aux deux tiers de Fantaisie Littéraire : l'impression d'être en phase de quelque chose de bancal parce qu'il n'y a pas le fight club nécessaire, ce rock'n'roll frottement du corps et l'esprit qui innerve le "rock littéraire" proprement dit. Parce qu'il n'y a plus cette tentative de fusion entre le duo cartésien texte-musique et le trio, un peu Terminator, du guitare-basse-batterie.


Mais le débat n'est pas clos. Ne serait-ce qu'en vertu de ces 7 tentatives concluantes qu'on trouve là. Et puis le jeu en vaut la chandelle nous lance Rodolphe Burger. C'est une histoire de quête, de croyance. Quelque part existe "un point non euclidien où se croisent les parallèles" et "se dissout enfin la "sublime jalousie" dont parle Mallarmé pour qualifier la relation entre musique et littérature". C'est aussi l'avis de Florent Marchet, avec lequel je me suis longtemps entretenu sur le sujet. Interview à venir. Sur le thème du "détournement de majeurs". Affaire à suivre.



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commentaires

J
Point du tout, dussé-je d'ailleurs vous rappeler que nous étions en de nombreux points d'accord ?
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S
<br /> C'est bien ce que je dis donc, ça me rappelle une discussion qu'on a déjà eu et sur laquelle on se rejoignait !<br /> <br /> <br />
J
Toujours ces prétentions littéreuses de nos chers chanteurs "sérieux"!M'a l'air bien complaisant tout ça quand même.Et chiant aussi, mais bon, ça c'est normal, on est dans l'Art et pas dans l'entertainment (beurk!).
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S
<br /> Ca me rappelle une certaine discussion qu'on a déjà eu, me trompe-je ? ;-)<br /> <br /> <br />
D
je trouve l'idée originale et vraiment intéressante et ça me donne même envie d'en écouter quelques titres.
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S
<br /> N'hésite pas à me dire ce que tu auras pensé/ressenti des quelques titres que tu auras écouté.<br /> <br /> <br />