Parlhot cherche à remettre l'art de l'interview au cœur de la critique rock. Parce que chroniquer des CD derrière son ordi, c'est cool, je le fais aussi, mais le faire en face du groupe en se permettant de parler d'autres choses, souvent c'est mieux, non ?
Bébête show ?
Le 27 avril sortira Glamour à Mort, premier album d'Arielle Dombasle, écrit et composé par Philippe Katerine. Je ne l'ai pas encore écouté, mais ça m'interroge. Après Peau de cochon et Robot après tout, le subversif trublion pop n'est-il plus qu'un vieux con courant après la branchitude et le décalage à tout prix ? En 2005, son dernier album a été celui de la consécration mainstream à coups de "100 % V.I.P" et de "Louxor J'adore". Couplé à la sortie quasi simultanée de son premier film, il a fait de lui un personnage médiatique, une icône pop post Gainsbourg, comme en fut, en 2008, le Sébastien Tellier de Sexuality. S'en remettra-t-il ?
Depuis, plus ou moins caché, il est partout comme une sorte de papa pervers de la variété française. Il a participé aux albums de Christophe Willem, d'Olivier Libaux, d'Héléna Noguerra, de Teki Latex, de Florent Marchet, a joué dans des films, en a parfois signé la BO (Peindre ou faire l'amour, Je suis un no man's land), en a aussi fait lui-même, des courts métrages (1 km à pied, Dans le ventre il y a un cactus), a également publié un journal graphique (Doublez votre mémoire), a accepté d'être le parrain du concours CQFD des Inrocks, a sorti son premier CD/DVD live (Studiolive/Borderlive), est entré dans la lucarne, "100% VIP" et "Louxor j'adore" devenant respectivement musique de l'émission Langue de VIP et d'une pub pour le Crédit Agricole, s'est séparé d'Héléna Noguerra, s'est mis avec Jeanne Balibar, a épousé le président de Groland, est devenu Président du festival du film grolandais de Quend-Plage-les-pins 2008, a fait un spectacle de danse avec Mathilde Monnier (Vallées 2008), a écrit et composé l'album d'une fausse troupe de majorettes pop, Les Vedettes, accusant là son premier flop. Bref, malgré tout le bien qu'on peut ou pouvait penser de l'artiste, tout ça fait beaucoup pour un seul homme. Et voilà que je viens d'apprendre que Katerine revient bientôt sous les traits d'Arielle Dombasle ! Oui, lui, Gonzales et Renaud Létang, autrement dit l'équipe de Robot après tout, a écrit et réalisé le premier album original de madame BHL. Ça s'appelle Glamour à Mort et ça sort le 27 avril. La goutte qui fait déborder le vase ?
En décembre 2006, enfin un peu au calme après deux années de "rock'n'roll animal" initiées par la sortie du disque post Gainsbarre-Gotainer-Bézut-Juvet qu'est Robot après tout et l'harassante promo et tournée qui s'en est suivit, j'arrivais à choper Katerine pour une longue interview hors actu, histoire de faire le point. L'entretien n'avait pas été facile à décrocher. Après un an de promo non stop sur tous les supports, l'attachée de presse faisait blocus. L'artiste n'était pas dispo, trop occupé. C'est surtout que d'un point de vue économique, le label n'avait plus intérêt à envoyer le soldat Katerine sur le front des journaleux. Ayant massivement mordu à l'hameçon, ceux-ci en avaient assez parlé au moment opportun, à la sortie du CD. Donc circulez journalistes, il n'y a plus rien à voir. Sauf que non ! La promo finie, le disque ayant fait sa vie, c'est là que ça devenait vraiment intéressant. Comment Katerine avait-il vécu tout ça ? Allais-je pouvoir arriver jusqu'à lui pour lui poser la question ?
C'était mal parti, mais c'était sans compter les petits miracles dont recèlent parfois la nuit parisienne. Quelques jours plus tard, par un heureux hasard, je croisais Katerine à une petite sauterie France 2 au Showcase à l'occasion de la 1000e de l'émission CD'aujourd'hui. Il était en train de taper goulument dans le buffet. Comme tout le monde. A ce moment-là je me suis dit que la vie me lançait clairement ce genre de défi où il s'agit de savoir si on est un homme ou pas. Alors j'ai hésité bien sûr, j'ai ma timidité et je respecte les stars (ce sont des hommes comme les autres et ils ont le droit de manger des petits fours sans qu'on vienne leur parler travail), mais je me suis juste dit que la vie me l'offrait sur un plateau et que je devais honorer le présent. Je l'ai donc diplomatiquement alpagué entre deux sushis et lui ai expliqué ce qui m'amenait, à savoir une interview bilan un peu philo sur le coté bébête show du phénomène Robot après tout. Ça a suscité son intérêt. On ne l'avait jamais questionné sur ce sujet. Mais, enfournant le sushi resté en suspend, il est quand même resté distant, méfiant. Il m'a dit oui, pourquoi pas, qu'il faudrait voir ça avec son manager, que là il était en vacances et que cette année il avait eu quelques mauvaises expériences avec des journalistes/groupies, le genre de choses qui avaient nourri sa parano, donc il faisait gaffe. Je l'ai laissé manger et je suis parti cuisiner le manager. La semaine d'après je retrouvais Katerine dans un bar du 18e, près de chez lui. Décontracté, il me lâchait d'emblée qu'il était saoulé de musique et de promo : "Là on se parle, mais l'interview je ne sais même plus ce que ça veut dire, ça me parait absurde qu'on me pose des questions à ce moment précis. Je suis en vacances pour quelques jours et j'ai envie de ne rien faire. Mais le problème c'est que depuis quelques temps, je n'arrive même pas à retrouver la paresse qui était ma qualité première." Tant mieux, c'était parti.
"Avant je cachais mon corps avec mes chansons"
"A la télévision, comment me coiffer, m'habiller ?
Es-tu dépassé par ton succès actuel ?
On est toujours dépassé. On fait avec ce qui arrive. Là, c'est pareil, je fais avec ce qui m'arrive. Ce n'est pas trop, c'est bien. Mais il y a eu un moment où, oui, j'ai été tout d'un coup trop demandé. Quand tu fais dix interviews de suite, à un moment tu satures, tu ne peux plus supporter ta gueule, ta voix, ta vie, tout ce que tu racontes. Car en plus j'essaie de ne pas répondre les mêmes choses à chaque interview et de m'amuser aussi avec ça. Parce que ça peut être très amusant une interview. Mais au bout d'un moment tu te dis : "Quel est le connard qui habite en moi ? Quels sont tous ces connards ?", car ils sont plusieurs.
La célébrité que tu as acquise avec Robot après tout t'a rendu un peu schizo ?
Ce n'est pas la célébrité, c'est le fait de parler énormément.
As-tu aimé pouvoir passer sur des médias que tu n'avais jamais pratiqués, en premier lieu la télé ?
Oui, ça c'est le bon côté : ne pas faire les mêmes émissions, ne pas rencontrer les mêmes gens, c'est vachement agréable. Moi ça fait quinze ans que je fais des disques tranquillement et j'en avais un peu marre de me taper toujours les mêmes journalistes.
Ce qu'il y a d'étrange avec Robot après tout c'est qu'on a le sentiment que son impact médiatique fait totalement partie de l'œuvre. As-tu appréhendé ce champ médiatique comme une nouvelle cour de récré ?
Oui, assez vite je me suis rendu compte que je côtoyais d'autres médias et d'autres chanteurs que je n'aime pas forcément. Et au fur et à mesure j'y ai pris goût, parce que je trouve ça super de s'amuser avec ça. Mais comme je ne m'y attendais pas, j'ai dû improviser. Avant j'allais sur scène comme j'allais à Monoprix. Là pour la première fois, j'ai du penser à la manière dont j'apparais. Comment m'habiller ? Comment me coiffer ? C'est des questions que tu te poses quand tu fais une émission de télé grand public. Et comme dans le groupe avec lequel je tourne, ils adorent se déguiser et qu'on est copain, on a fait un peu les cons et on s'est vite retrouvé à se mettre de la peinture sur le corps, à se déguiser en femme, etc. J'y ai vite pris goût, c'est passionnant.
Tu t'es soudainement livré à un côté performeur qui était tout à fait nouveau pour toi...
Oui, j'ai joué à être un autre, ce qui me permettait de ne plus avoir de retenue. Et je pense qu'instinctivement j'ai dû me grimer pour me protéger parce que j'ai senti que si j'apparaissais à la télé comme je suis à Monoprix j'aurais été trop vulnérable.
Les deux singles extraits de Robot après tout, "Louxor J'adore" et "100% VIP", ne sont pas vraiment représentatifs du reste l'album, moins accrocheur. Est-ce toi qui a décidé de les mettre en raison de leur potentiel tubesque ?
Ah oui, j'y ai même pensé en les faisant. Il ne faut pas se voiler la face, quand tu fais un morceau, tu vois bien en le faisant écouter s'il va déclencher un truc ou pas. Quand j'ai fait écouter "100% VIP" à ma fille, elle a réagit tout de suite, plus que sur un morceau comme "Titanic" où elle se faisait chier. Avant je planquais un peu mes trucs, mais sur ce disque, j'ai vite faite écouter les morceaux à des gens, comme ça, le plus simplement du monde. Avant c'était moi qui produisais. Là, que ce soit produit Gonzales et Renaud Létang qui produisent m'a peut-être aidé à partager mes morceaux.
A propos de "performance", il y a quelques années, dans le cadre de sa carrière solo, Gonzales a lui aussi joué les performers en se créant une sorte de personnage pop. Tu en as parlé avec lui ?
Un peu, parce que lui il a des théories profondes sur ce sujet. Là-dessus, moi je suis peut-être plus instinctif, mon théorique. On a surtout parlé d'Andy Kaufman. Parce que ce n'est pas anodin si je suis fan de ce que fait Gonzales : on a des obsessions communes et un mec comme Kaufman nous relie dans le fait de se grimer, de passer par l'absurde ou la nullité.
Peux-tu décrire qui était Andy Kaufman à ceux qui ne le connaîtraient pas ?
C'est un mec qui travaillait à la télé dans les années 70 aux Etats-Unis et qui maniait une sorte d'humour provoc en se déguisant en personnages obscènes voire carrément hideux. Il a participé à des matchs de catch, mais contre des filles. Il a fait des chansons nulles qui créaient du malaise, il a fait aussi beaucoup de performances où il lisait par exemple Shakespeare devant un public d'étudiants alors qu'ils attendaient un personnage marrant. Moi je l'ai découvert à travers Man on the Moon, un film de Milos Forman qui raconte sa vie. D'ailleurs, rien que ce film ça a provoqué des choses profondes chez moi.