Parlhot cherche à remettre l'art de l'interview au cœur de la critique rock. Parce que chroniquer des CD derrière son ordi, c'est cool, je le fais aussi, mais le faire en face du groupe en se permettant de parler d'autres choses, souvent c'est mieux, non ?
D'habitude je préfère parler de ce qui m'exalte plutôt que ce qui me déprime. Mais en ce moment, je ne sais pas ce qui m'arrive (les nerfs qui lâchent ? les chevilles qui enflent ?) tout le monde en prend pour son grade.
Celui-là, je devrais d'autant moins en parler que c'est de l'histoire ancienne. Son disque est déjà sorti depuis trois mois. Mais au risque de lui faire de la pub alors que tout le monde l'a déjà oublié, je m'y sens comme obligé. C'est qu'il nous a bien roulés dans la farine Decoster. En janvier dernier, pour peu que viviez en ville ou que la ville vienne à vous (par Internet, par exemple) vous n'avez pas pu le louper. Sortant Tucumcari, son premier album, le nouveau poulain de Barclay était partout, comme Alister il y a quelques mois. Dans les couloirs du métro, en devanture de Magic !, Lylo, dans Les Inrocks, l'Huma, en bannières web. Partout. Tapis rouge. Personne pour lever les yeux sur l'imposture. Quand j'ai vu qu'on parlait aussi de lui chez Gonzaï, j'ai cru au sauveur. Quelqu'un avait eu la bonne idée de ne pas être dupe et dégainait avant moi. Mais pas du tout. Même Gonzaï louait le mec. Dur monde.
Comment dire ? Decoster c'est tout ce qui ne devrait pas exister. La ténébreuse belle gueule sans ténèbres. Mais pour le savoir il ne faut pas s'arrêter aux ramassis de clichés. Il ne faut pas, comme ces médias l'ont fait, gober l'histoire, trop polie pour être honnête, du jeune garde forestier élevé aux paysages d'Auvergne et aux disques du King. Pour le savoir il suffit de sentir, d'écouter les chansons une à une, face contre cœur. Laissé venir. Mais finalement, je dirais même qu'il suffit de décrypter l'emballage. Car un disque, ce n'est parfois qu'une boîte de conserve, les ingrédients sont inscrits dessus, suffit de lire, et que voit-on sur cette pochette de disque ? Un mec qui se drape dans une débauche de signes censés asseoir sa folk credibility. Un nabot Napoleonesque sur son rocking chair de trône. A l'améwikaine
Comprenez-moi : ce n'est pas que ce disque soit à chier, musicalement il est même de "bonne facture", le problème c'est que l'image véhiculée (Vierge Marie sur le rétro, vierges espaces à fleur de pare brise, bagout de cow boy, bagouses aux pognes) est à mille lieux de ce que la musique donne. Ici à part "The Drive" qui me fait soudain chevalier d'une farouche Highway 66, à part ce grand galop qui m'étreint et me serre fort (peut-être parce qu'il chante enfin en anglais et plus en VO sous-titrée), rien ne m'évoque l'ivresse du grand ouest et blues d'un homme. Je n'entends ni amour ni fêlure ni foi, mais du paraître. Quelqu'un qui veut faire comme ses idoles : en jeter en surface alors qu'il n'a pas les bases. L'âme. A croire que Decoster ne veut que ça : aspirer avec son folk bling bling les âmes qu'il n'a pas.
Alors on va me dire qu'à dire tout ça je me prends moi aussi pour "L'homme que je ne suis pas" (un caïd de la critique rock) que mon discours n'est branlette de blog. Et pourquoi je m'emporte encore sur la platitude d'un disque alors que la dernière fois, incendiant les Elder, j'ai déjà fait le tour de la question du CD devenu carte de visite ? Oui, sauf que j'ai vu Decoster en concert et contrairement aux Elder il est sur disque comme sur scène. Sans le faire exprès, sur scène je l'y ai même vu deux fois. Et qu'il soit seul en première partie d'Eiffel (Maroquinerie, 2007) ou dans un bar avec son groupe Tornado (International, 2009), à chaque fois au départ j'y ai cru. Je me disais : "Merde, ce n'est pas si souvent qu'on a un type alliant charisme, voix crooneuse et folk rock entre Doors et Twin Peaks", ce genre de choses qu'à dû se dire le DA de Barclay. Oui, franchement, au départ, j'étais prêt à ce qu'on prenne mon cœur. Et au deuxième concert tout autant qu'au premier parce qu'au début j'ignorais que Decoster avait aussi un groupe du nom de Tornado.
"Le type c'est Sammy Decoster" ai-je glissé à mon pote qui lui aussi, trouvant tout cela prometteur, avait commencé à s'exciter. Genre : "Fais gaffe". J'ai eu raison. On a très vite déchanté. Les morceaux s'enchaînaient, aucune émotion ne nous gagnait et on s'est retrouvé piégé en surface face à une imitation de Bertrand Cantat et Jim Morrisson. Un Big Jim. Et là, alors qu'on pensait en quelque sorte avoir touché le fond (le bassiste avait rejoint une énième fois le public comme s'il voulait se frotter le manche), là, alors qu'on allait se reprendre un verre dépité de mesurer le gâchis, Decoster a fait un truc hallucinant. En plein morceau il s'est mis à balancer plusieurs "Ta gueule" mi-potache mi-crâneurs à ses fans. Fait-on ça quand on est vraiment (dans) ce qu'on chante ?
"Decoster, c'est l'Amérique de Cash aux portes de Paris. Le monde urbain vu de loin" dit je ne sais plus quel texte trouvé sur le net. Tout est là : Decoster est un Brice de Nice folk-rock. Toujours l'air cool, mèche rebelle, planche sous le bras mais la mer, connaît pas.