Parlhot cherche à remettre l'art de l'interview au cœur de la critique rock. Parce que chroniquer des CD derrière son ordi, c'est cool, je le fais aussi, mais le faire en face du groupe en se permettant de parler d'autres choses, souvent c'est mieux, non ?
Lorsqu'on est pigiste, qui plus est musique, pour survivre on se doit de bouffer à tous les râteliers. Non pas forcément renier son éthique en parlant de semi-bouses, même si, je ne vous le cache pas, cela arrive, mais rentabiliser ses coups de coeur en déclinant sa prose dans le plus de magazines possibles. Et en ce moment, faute de me faire vivre, c'est le dernier Antony and the Johnsons qui m'inspire : The Crying Light.
Je l'ai découvert le 14 novembre à l'occasion d'une session d'écoute matinale chez Beggars. Ce jour-là, avec le recul, je me dis que j'ai bien fait de me lever et de bouger mon cul jusqu'au label. Cette session d'écoute, c'était Noël avant l'heure. Malgré l'inconvénient d'écouter le disque en open space, celui-ci m'a littéralement happé. D'ailleurs il a très vite happé tout le monde. A son contact le silence s'est fait et on s'est tous mis à planer, aux anges, comme en route pour Neverland. Un effet que ne fera jamais le dernier disque des rockers pète-couilles de TV and the Radio.
Mi décembre quand Gonzaï m'a demandé si j'avais une idée de disque branché sur lequel je me sentais d'écrire un truc cool et élogieux pour sa première édition papier, j'ai donc aussitôt pensé au nouvel Antony and the Johnsons. Le hic ? Ce n'est pas que Gonzaï paie peanuts ses Gonzaï boys, non ça je le sais, c'est le prix de l'indépendance. Le problème c'est que j'avais déjà écrit trois chroniques sur The Crying Light. Alors je me disais : ai-je encore la flamme ? Et est-ce bien raisonnable d'écrire autant sur un disque écouté une seule et unique fois ?
A propos de tout autre album, je vous aurais peut-être répondu oui. Oui, je n'ai plus la flamme. Oui, ce n'est pas raisonnable. Mais là on ne parle même pas d'album, mais d'une muse. On ne parle même pas d'amour mais de coup de foudre. Et les sentiments qu'une muse nous inspire s'usent-ils ? Cette musique, c'est bien simple, plus les jours passent, plus je perds sa trace et plus elle prend toute sa dimension à mesure que je pars en co-errance avec elle. Ah, quel bonheur de se découvrir une nouvelle muse !
Cette musique, c'est comme si je n'avais encore rien dit d'elle. Par exemple je n'ai pas dit que The Crying Light était un disque de crooner. C'en est un. "Les plus belles robes sont faites pour être retirées" disait Cocteau. Et sur son troisième album avec les Johnsons, Antony Hegarty a suivi l'adage. Il tombe la tenue de diva d'I Am a Bird Now pour se révéler crooner. Voilà, outre le côté star à la voix d'ange et bête de foire aux aspirations transgenres, Antony a pondu un album ultra classieux qui peut plaire de 7 à 77 ans. C'est pour ça que cette fois les newsmag ont trustré toutes ses possibilités d'interviews, frustrant ainsi des bataillons de journalistes spécialisés qui désiraient, comme moi, poursuivre le dialogue amorcé trois ans plus tôt.
En 2005, interrogé par mes soins, Antony démentait que son approche du chant lyrique exprime sa quête de féminité. "En fait comme dirait Nina Simone, je chante juste pour me sentir vivant". Mais quelques minutes tard, il me confiait : "Si j'étais Candy Darling, il est probable que je ne chanterais pas." Il s'était donc mis à parler chiffon : "Les thèmes que j'aborde sont comme des robes qui m'habillent, et la question transgenre n'est qu'un thèmes parmi d'autres. C'est pour ça que c'est une erreur, je pense, d'appréhender ce disque à travers ce seul thème, tout comme de penser qu'il est entièrement autobiographique."
Ce jour-là, contrairement à son éponyme premier opus, très théâtral, Antony me disait aussi d'I Am A Bird Now qu'il l'avait fait "aussi nu que possible pour que tout le monde puisse s'y recueillir". Aujourd'hui, après plusieurs millions d'acheteurs à travers le monde et un Mercury Prize du meilleur album de l'année décroché à la barbe des tâcherons de Kaiser Chiefs, cet album est devenu culte. Son auteur star. Mais fin 2008, à l'écoute de The Crying Light, force est de constater que tout ceci n'était qu'une étape.
Oui, être oiseau n'était qu'une étape. Restait à devenir l'envol. L'envol pur. Et là, de sa voix duveteuse sur d'idoines orchestrations, l'androgyne-génie y parvient. Fini les thèmes, les robes, le baroque. En dix ballades toute de noblesse less is more, tel le Nick Cave piano-voix de The Boatman's Call voire de No More Shall We Part, il se fait friable, crooner. The Crying Light, n'est-ce pas d'ailleurs la plus belle définition qu'on puisse donner de la voix d'un crooner : pleurer lumineusement par compassion pour la Nature et les Hommes. Réduire en frissons l'inconvénient d'être né.
Ainsi, de sa voix d'ange, Antony célèbre le miracle d'avoir une peau sur les os pour sentir, des mots dans le cerveau pour dire, une flèche dans le coeur pour s'ouvrir. Sur "Another World" ça donne : "I'm gonna miss the sea / I'm gonna miss the snow / I'm gonna miss the bees / I miss the things that grow". Spleendide. Cette aura, ce manteau neigeux, comment ne pas s'y sentir chez soi ? Ne pas en faire l'éloge ? Ne pas vouloir qu'un maximum d'entre vous s'y love ?
Bientôt les épisodes précédents, mes 3 autres chroniques de The Crying Light
Mon interview d'Antony and the Johnsons à l'époque d'I Am a Bird Now