Parlhot cherche à remettre l'art de l'interview au cœur de la critique rock. Parce que chroniquer des CD derrière son ordi, c'est cool, je le fais aussi, mais le faire en face du groupe en se permettant de parler d'autres choses, souvent c'est mieux, non ?
Il y a des soirées où l'on ne fait que boire et fumer. Rien ne se dit. Rien ne se passe. Et je ne parle même pas d'amour, d'attraction des corps, de tendresse. On rentre chez soi, penaud, avec une peine immense. Et parfois je ne sais pas, un alignement de planètes ou les bonnes personnes, la connexion se fait. Tout semble à nouveau possible. Rentré chez soi, on se dit qu'on a bien fait de sortir, de risquer foie et poumons pour ce moment passé hors de l'ordi(naire). Récemment, je me rappelle avoir vécu trois moments pareils.
Il y a eu cette soirée d'anniversaire où cette fille m'a parlé de sa passion pour Adorno, cette soirée chez mon frère où ce mec m'a parlé de la sensualité chez Portishead, et cette soirée avec un couple d'amis adorateurs de Manset. Durant cette dernière j'ai même pu parler d'un thème qui m'est cher : la chronique musicale comme acte poétique. Vous me trouvez prétentieux ? Je pense juste qu'un disque peut tellement plaire, tellement le transporter et épouser un cœur, qu'il cesse sur le champ d'être un disque pour devenir comme une toile, un émanation, une muse. Alors vous n'êtes plus dans l'info, dans l'actu, mais dans l'amour, l'intemporel, l'émotion pure. Bref, il y a des mois que je veux vous parler d'Idaho. Plus précisément de son Forbidden EP & Alas (Special Edition), deux albums "non distribués en France à leurs sorties en 97 et 98" et "aujourd'hui remasterisés sur un seul disque". Pour moi le meilleur Idaho. Pour la même raison que le troisième Sigur Ros est pour moi le meilleur Sigur Ros : parce que c'est celui que j'ai découvert en premier.
Idaho, c'est Jeff Martin, un adonis "californien rescapé du slowsadcore". Il paraît qu'il n'en a pas toujours été ainsi, qu'à la base Idaho était un duo, qu'un temps ce fut même un vrai groupe. Mais sa musique sonne tellement comme la musique d'un type seul au monde que j'ai peine à croire qu'Idaho ait pu être autre chose qu'un projet solo. Mais qu'importe. Qu'importe pourquoi les autres sont partis (sans doute parce qu'une "poignée de fans transis" n'a jamais nourrit son homme et que tout le monde n'a pas l'art chevillé au corps), moi un homme ça me va. Un homme c'est parfait pour m'identifier. Surtout s'il est du style "cavalier seul", un pied dans ce monde, un pied dans l'autre. Jeff Martin, quand j'écoute cet EP "interdit", je l'imagine beau gosse au pied d'argile. Je le vois, oui. Sa Cathy l'a quitté. Un truc du genre. Il a le cœur las. Le derme en grève. Les plus belles femmes pourraient se jeter à ses pieds. Rien à foutre. Criblé de kryptonite, il fixe une courge, ses pieds. Quelle tranquillité.
Il y a du shoegaze chez Idaho, le grondement d'un Veder dans le coton d'un Slowdive. Voire Sigur Ros dont je parlais plus haut. Et c'est peut-être ça le slowsadcore. Une sorte de grunge sous morphine. Un grunge où c'est moins le jean que l'âme qui tombe en lambeaux. "Hold Everything", "Bass Crawl", "Scrawny", quelles vanités, quelles splendeurs, quelle vue d'ici. Une musique "inégalable de stupeur vaincue et d'abattement superbe" a dit Bayon. Et c'est ça. "Like a sunrise in the desert, Idaho's music exists in its own cinematic, if unnerving, universe" a dit le mystérieux CMJ au dos de l'objet. Et c'est ça. Torpeur vénéneuse, réverbération, mirage, cette musique c'est de l'air chaud qui vous passe dans les cheveux, les yeux, les narines, qui vous enveloppe (charnel) et vous échappe. Idaho m'a toujours évoqué le nom d'un paradis perdu. La vie a fait que j'ai perdu ce disque chez une fille que je ne reverrai pas. Ce n'était juste pas la bonne. Je lui souhaite quand même d'écouter cet album.