Parlhot cherche à remettre l'art de l'interview au cœur de la critique rock. Parce que chroniquer des CD derrière son ordi, c'est cool, je le fais aussi, mais le faire en face du groupe en se permettant de parler d'autres choses, souvent c'est mieux, non ?
Cet été au rayon pop de Brooklyn, il ne faudra pas seulement compter sur le trip "summer of love" de MGMT, mais aussi sur le trip "afro beat" des Vampire Weekend. Fin janvier avec leur premier album éponyme ils décrochaient le statut de "sensation pop 2008". Le 20 mai ils étaient au Trabendo. Avant le show j'en ai profité pour poser quelques questions à Rostam (claviers) et Christopher (batterie). Franche camaraderie entre nerds garantie.
Parfois les choses sont bien faites. Fin janvier quand sortait le premier album des jeunots de Vampire Weekend (24 ans de moyenne d'âge), je n'avais pas envie de l'écouter. Ces quatre-là, ça faisait des mois que la toile m'en rebattait les oreilles, louant la fraîcheur de leur pop ligne claire intégrant délires afrobeat à la Talking Heads (mais qui aujourd'hui ne sonne pas comme les Talking Heads ?). C'est à peine si dès novembre 2007 ces petits écoliers d'art school n'avait pas déjà été élu sensation pop 2008. Relou. Surtout qu'à l'époque, dans le genre afro pop on avait déjà vu débarquer Yeasayer et Dirty Projectors, eux aussi de Brooklyn. Tout ça, ça commençait donc un peu à faire délire consanguin, trop tendance et chicos pour être sincère. Et puis récemment, à la faveur d'un concert mortel de Portishead, un collègue m'a dit : "Sylvain, tu ne devrais pas bouder ton plaisir. Franchement, Vampire Weekend n'a pas pondu le chef d'œuvre du siècle (j'attendais qu'il ajoute : "contrairement à Portishead") mais leur disque est vraiment rafraîchissement ("de même que celui des Foals" s'est-il empressé de préciser). Mouais me dis-je (j'ai du mal avec l'injection sympatoche du "vas-y jouis", c'est mon côté "décroissance", c'est chicos, non ?). Mais quelques jours plus tard, la vie (une attachée de presse) en a décidé autrement. On m'a proposé de rencontrer le groupe. Je n'ai pas su dire non.
"Tu pourrais me prêter le nouveau Coldplay ?"
"On veut plaire autant à nos profs qu'à nos camarades de classe"
Votre album est sorti en février dernier. Comment vont les choses pour vous ?
Chris : Très bien. On n'arrête pas de tourner en ce moment et on rencontre toujours des publics très réactifs. C'est excitant. Même quand les gens ne comprennent pas forcément notre langue, comme en Allemagne, nos concerts prennent bien, les gens sont prêts à crier. Parfois ils sont même un peu trop fous.
Rostam : Oui, regarde, le bleu que tu vois-là, c'est parce que je me suis pris mon micro dans l'œil parce qu'un gars est venu chahuté sur scène !
Chris : La dernière fois qu'on a joué en France c'était en novembre, avant la sortie de l'album.
Ce n'est pas étonnant : à l'époque votre nom mettait déjà la blogosphère en émoi ...
Chris : A ce point ?
Rostam : Il y a beaucoup de blogs musicaux en France ?
Oui.
Rostam : Vraiment ? Mais la Blogothèque, ce sont les rois, non ?
Oui, un peu. Les internautes adorent leurs "concerts à emporter". D'ailleurs vous les connaissez parce que vous avez tourné un concert à emporter avec eux. A propos de concert, je me demande : comment vous faites pour tenir plus de 30 minutes sur scène ? Parce que votre album dure à peine plus d'une demie heure ?
Rostam : Et bien on a deux nouvelles chansons, dont une qu'on n'a pas mis sur le disque, mais ça ne nous permet pas de tenir des plombes non plus (rires) ! Sur scène on n'a pas pour habitude de rallonger la sauce à coups de jams endiablées, au contraire.
Chris : Nos concerts doivent durer 50 minutes, maxi 1 heure, pas plus. Mais ce n'est pas grave parce que les gens ne viennent pas nous voir pour assister à un show à la Bruce Springsteen.
Rostam : Et puis toutes nos chansons sont bonnes. Combien de groupes pourraient en dire autant (rires) !
Beaucoup.
Chris : C'est vrai.
Rostam : Oui, mais combien le penseraient sincèrement ?
Chris : Beaucoup aussi !
Même Coldplay.
Chris : Ouh ! Attention, tu tiens là des propos hautement compromettants.
J'ai écouté leur dernier album et ce n'est pas terrible.
Rostam : Tu l'as ?! Tu l'as là, avec toi ?!
Non, vu les temps qui courent et le statut du groupe tu imagines bien qu'on a pu l'écouter que lors d'une session écoute organisée par la maison de disques.
Rostam : Ok, et alors leurs nouvelles chansons, elles sont bonnes ? Brian Eno les a aidé ?
Bof...
Rostam (me coupant) : Tu connais « Hounds of Love » de Kate Bush ?
Pas vraiment...
Rostam : Ah, tant pis.
Ce morceau a un rapport avec Coldplay ?
Rostam : Oui, mais comme tu ne l'as pas en tête je ne veux pas t'embêter avec ça.
Ok. Le dernier Coldplay, je ne l'ai peut-être pas encore assez écouté pour pouvoir vraiment me prononcer mais je trouve que leur son s'est trop complexifié et que ça ne semble pas naturel, pas sincère...
Rostam : C'est trop touffu, bordélique ?
Chris : Tu penses qu'ils se forcent à sonner complexe ?
Oui, on sent que Brian Eno a été appelé à la rescousse pour truffer leurs morceaux de tout un tas de rythmes et les empêcher de sonner "soporifique". Et puis sur ce disque on entend de gros échos de son travail ambient sur The Unforgettable Fire et The Joshua Tree. En écoutant ce Coldplay on ne peut pas ne pas penser à U2.
Chris : Nous on a juste pu en écouter 2-3 grâce à des fuites.
Rostam : On a entendu qu'une de leur nouvelle chanson sonnait "africain".
Tu veux dire qu'ils ont pompé votre style afro-pop ?
Rostam : Dans une interview pour Rollingstone Chris Martin a mentionné Vampire Weekend.
Chris : Non, il a juste dit qu'il avait entendu parler du groupe qui jouait le morceau "A Punk", mais il ne connaissait pas vraiment notre nom.
Rostam : Si, il le savait !
Les pop stars comme Chris Martin, Bono et Bowie adorent dire qu'ils écoutent et soutiennent tel jeune groupe qui cartonne. Par là ils agissent un peu comme des vampires en quête de sang neuf. De ce point de vu Madonna incarne l'ultime vampire. Quand elle embrasse Britney Spears ou prend Justin Timberlake dans son dernier clip c'est pour rester éternelle, l'éternelle Queen of Pop.
Chris : Ça lui réussit. "4 Minutes", son dernier single, est incroyablement accrocheur.
Rostam : Tu as vu le clip ? Aucun des deux ne sait danser (rires) ! Ils pourraient danser mais ils ne dansent pas vraiment. Ça craint.
Votre clip pour "A Punk" est plus tripant avec mille fois moins de moyen !
Chris : On l'a fait en quelques prises juste après notre concert parisien en novembre dernier. Là on vient de faire le clip de "Oxford Coma". Il sera bientôt visible sur la toile.
Dites-moi, plus sérieusement, comment vous avez réagi en début d'année lorsque les médias vous ont désigné "révélation pop de 2008" ?
Rostam : On était d'accord avec eux (rires) !
Vous ne craignez pas le retour de bâton : que les médias vous oublient aussi vite qu'ils vous ont porté aux nues ?
Rostam : Non, parce que dans notre prochain album il y aura d'autres bonnes chansons. (Silence.) Tu sais quoi, j'ai parlé avec Quentin du groupe The Teenagers, un groupe que personne ne semble aimer en France, et il m'a dit que pour le deuxième album tu es foutu quoique tu fasses parce que si tu continues dans la même veine que le premier les gens vont te reprocher de ne pas évoluer et si tu changes de formule ils ne vont te reprocher de ne plus retrouver ce qu'ils avaient aimé chez toi. J'ai donc commencé à m'inquiéter lorsqu'il m'a fait part de cette théorie que je connaissais pas, mais je lui ai dit : "Elle se vérifiera peut-être pour vous, mais pas pour nous" (rires) !
Chris : Oui, on n'est pas dans l'impasse. On a plein de cordes à notre arc. Par exemple, on ne s'est jamais considéré comme un groupe d'afro pop.
Rostam : On est juste un groupe qui a été inspiré par l'afro pop au même titre que d'autres choses comme, par exemple, le son Motown.
Chris : Et la musique classique, Elvis Costello, The Kinks, toute cette bonne merde (rires) !
Vous sonnez d'ailleurs très "pop anglaise" pour des jeunes gens de Brooklyn...
Rostam : Tu sais quoi ? C'est marrant parce qu'il n'y a que les français qui nous disent ça ! En France vous devez trop cataloguer ce que doit être la pop anglaise et la pop américaine. Regarde The Kooks, ils sont anglais et ils jouent de solos de guitares distordus qui sonnent plus américains que tout ce qu'il peut y avoir dans notre musique. A part peut-être The Futurheads, tous les groupes anglais veulent sonner américain. Après "sonnons-nous comme un groupe anglais ?" Probablement, oui.
Je pense que les français envisagent le son américain comme quelque chose de plus sale et vicieux que le son anglais.
Chris : Tu penses par exemple au Velvet Underground ?
Par exemple.
Chris : C'est vrai qu'il y a beaucoup de commerçants ambulants dans les rues de New York, beaucoup de déchets. Ils devraient nettoyer plus souvent. Mais en même temps le New York d'aujourd'hui n'a plus grand-chose à voir avec le New York d'il y a 40 ans.
Rostam : J'ai des amis qui ont des groupes à New York et je leur ai toujours demandé à quoi ressemblait Time Square dans les années 90 car des gens disaient qu'il y avait des prostituées. Mais maintenant il n'y en a plus. Des prostitués sur Time Square en 2008, tu imagines ?
Chris : Ce New York-là ce n'est plus que de la mythologie et ça ne nous intéresse pas.
Rostam : Oui et puis tu vois nous on est un groupe qui s'est créé à la fac, on a donc une culture et certaines valeurs... On a toujours voulu faire un groupe qui fasse danser et plaise autant à nos profs comme à nos camarades de classe.
Vous n'avez jamais voulu vous adresser aux seuls fans d'indie rock ?
Chris : Non, on veut être un groupe qui intéresse tous les fans de pop en général, et qui intègre donc des choses qui n'existe pas vraiment dans l'indie rock comme le jazz...
Rostam : Tu aimes le jazz ?
Chris : Oui, j'aime le jazz !
Rostam : Il change tout le temps d'avis (rires) !
Chris : Enfin je ne dirai pas que j'aime le jazz mais j'apprécie le jazz.
Rostam : Tu as peur de dire que tu aimes le jazz parce que tu ne veux pas passer pour quelqu'un de prétentieux !
Le 14 juin vous allez donner un concert gratuit à Central Park...
Rostam : Oui et Chris en profitera sûrement pour remettre le T-shirt sans manches qu'il avait porté quand on avait joué au festival de Coachella (rires) !
Ce sera un brin plus rock'n'roll que le polo Lacoste !
Chris : J'aime le jaaazz !!!
Photo par Robert Gil