Parlhot cherche à remettre l'art de l'interview au cœur de la critique rock. Parce que chroniquer des CD derrière son ordi, c'est cool, je le fais aussi, mais le faire en face du groupe en se permettant de parler d'autres choses, souvent c'est mieux, non ?
"Chapo Chapo, Tibidi... "
"Demain je mange mes amis"
C'est marrant, j'ai presque l'impression qu'il y a une certaine logique à ce que Bungalow soit réédité parce que cette seconde vie c'est comme un rebondissement qui accrédite son univers fictionnel. C'est comme si on avait la suite des aventures du personnage et de l'univers que tu y as développé.
Oui, et puis ce qui est marrant c'est que maintenant que Bungalow est accompagné de sa version acoustique c'est comme si on avait une sorte de couple Yin/Yang, rouge/bleu. Du coup, pour nommer cette version acoustique, on a enlevé le point d'exclamation au titre initial de Bungalow, parce que ce point d'exclamation représentait un peu son côté électrique, et on l'a baptisé Mellow Bungalow pour signifier que c'était un Bungalow plus cool, plus soft.
Je suis content que Bungalow ressorte car, contrairement à tes précédents disques, celui-là m'a vraiment plu. Je le trouve subtil, fun, attachant. D'ailleurs, avec un pote à un moment c'était même devenu notre album fétiche. Tiens, je me souviens même qu'au-delà de l'influence de Philippe Katerine on y avait aussi décelé celle de Richard Gotainer. Tu confirmes ?
Oui, je m'attendais à parler de ça parce qu'on m'a déjà fait la remarque ! Cette influence doit donc être vraiment présente dans ce que je fais. Je pense que c'est beaucoup dû à mon approche des chœurs dans certains morceaux comme "N'importe quoi" par exemple. Cette chanson-là fait beaucoup penser au "Sampa" avec ses chœurs qui font "Gnagnagnagna... " Mais oui, sans être un fan absolu parce que je ne connais que ses tubes, c'est sûr que Gotainer est une influence.
Question de génération : on a tous été exposé à ses ritournelles publicitaires...
Oui, c'est la société dans laquelle j'ai grandi.
D'ailleurs même le titre de Bungalow est très Gotainer car dans Bungalow y'a Banga et dans Bungalow y'a de l'eau !
Ah, c'est drôle ! Je n'y avais pas du tout pensé !
Comment ce titre t'est-il venu ?
Bah j'ai composé ce disque dans un bungalow. Et puis j'aime bien ce mot-là : il sonne.
Bref, l'influence de Gotainer, tu ne la revendiques pas mais tu l'assumes ?
Oui, évidemment, de même que celle de Souchon, que je connais beaucoup plus.
Et pour cause, tu as été un de ses musiciens de tournée...
Et il est même venu chanter en duo avec moi sur mon premier album. D'ailleurs, Souchon, je pourrais d'autant plus t'en parler qu'on me dit tout le temps que j'ai quelque chose de lui et ça a l'air irréfutable, alors je l'assume. Encore une fois, ce qui nous rapproche, je pense que c'est une histoire de voix. On a le même timbre. Mais ce que je fais est quand même différent. Il n'empêche, j'aimerais avoir son écriture, sa poésie...
Et sa longévité ?
Ah oui ! Parce que dans le milieu plein de gens connaissent des hauts et des bas. Par exemple Maxime Le Forestier a vécu 10 ans d'échecs atroces. Souchon, il n'a jamais vécu ça, il n'a pas cartonné d'un coup et du coup on ne l'a jamais traité comme de la merde, il n'a jamais été has been, c'est dingue. En fait, c'est comme s'il avait toujours été là. J'aimerais avoir sa courbe très longue et très lente de progression.
Il a toujours eu cette place de loser mignon qu'on cajole comme une part de soi. Mais au-delà de la voix, ce qui vous rapproche, je trouve, et c'est sûrement lié, c'est justement cette manière de véhiculer une grande mélancolie derrière des chansons d'apparence légères voire guillerettes.
Ça, tout le monde ne le voit pas.
Pourtant ça me semble assez palpable. A l'écoute de ces chansons si douces et douillettes qu'elles confinent parfois à la transparence on ne peut pas se dire que le mec qui les a faites va parfaitement bien !
Pourtant ça va plutôt pas mal (rires) ! Je ne suis pas dépressif du tout, mais oui, il y a de la noirceur. J'essaie juste de lui trouver une bonne place pour qu'elle soit utile.
Chez toi j'ai remarqué que la noirceur pouvait passer par des situations un peu loufoques, absurdes, comme c'est le cas dans "Le pull" qui, sous ses dehors fantasistes, laisse sourdre quelque chose de lugubre, un grand vide.
Oui, dans celui-là c'est vrai. C'est intéressant d'entendre des analyses comme ça parce que ce n'est pas des choses que je maîtrise. Je fais les chansons que j'ai envie de faire, que je finis par trouver bien et au bout d'un moment je les enregistre et après, à part les moments de concerts, je n'ai plus de rapport avec.
Cette sensation ou tout du moins ce thème du vide se retrouve aussi dans "Mythomane" qui raconte l'histoire d'un personnage de fiction un peu pirouette cacahuète qui, par définition, n'a jamais existé et n'a rien vécu. .
Oui, même en tant que personnage de fiction il n'a jamais rien vécu.
Tu te projettes dans ce Mythomane qui a des problèmes d'existence ? On en revient à l'histoire des jeans de tout à l'heure ?!
Aha ! Bah oui, on en revient à tout ce qu'on n'est pas et tout ce qu'on ne sera jamais. Oui, c'est très bien vu et très intéressant pour moi d'entendre ça.
On a évoqué Gotainer à propos des chœurs féminins gnangan qui rythment Bungalow. Finalement je me disais qu'ils étaient tout simplement très eighties car, par exemple, moi ils m'ont aussi fait penser aux voix du générique de Chapi Chapo que je regardais quand j'étais môme.
Ah, je revois la musique : "Chapo Chapo, Tibidi, Chapi Chapo, Tibida..." J'avais pensé à Gotainer et François de Roubaix, notamment sa musique pour Le chef d'orchestre avec Louis de Funès, un truc qui fait : "Chibidibida...". Mais je n'avais pas pensé à Chapi Chapo.
La musique de Chapi Chapo c'est aussi du François de Roubaix !
Ah ok. Je me rappelle que je pensais aussi à Gainsbourg, à sa manière de mettre des chœurs anglais sur certains de ses morceaux.
Genre "Shebam ! Pow ! Blop ! Wizz !" ?
Oui.
A propos de Gainsbourg, ton morceau "J'avais chaud" a une humeur proche de son "New York USA"...
Faudrait que je le réécoute. Je connais une histoire sur cette chanson-là.
Ah oui ?
En fait il parait qu'il l'a entièrement pompé sur des musiques traditionnelles africaines, notamment le refrain. Il a entendu un truc qui sonnait comme "C'est haut, c'est haut, c'est haut" et il l'a traduit phonétiquement en français.
Gainsbourg est suspecté d'avoir pompé tellement de choses !
Oui, mais on marche souvent comme ça, par sonorités. Sur la version concert acoustique de Bungalow une chanson s'appelle "Mes amis" et le refrain c'est : "Demain je mange mes amis". Le sens est complètement délirant parce qu'à la base cette phrase était une sorte de yaourt mais voilà finalement je n'ai pas réussi à trouver mieux que le flow de ces mots et du coup j'ai construit une chanson autour de ça. Ça change ! Au lieu de partir d'une idée tu pars d'un son, ce qui fait que ça vient moins de ton cerveau. C'est comme changer d'instrument de musique. Je suis pianiste, donc si je prends une guitare, je ne vais pas du tout avoir les mêmes idées que d'habitude. Après mon cerveau reprendra le relais mais ce sera trop tard.
La chanson aura été façonnée instinctivement comme une petite pâte à modeler et honoré comme l' "art mineur" qu'y voyait Gainsbourg.
Oui, comme un bonbon.
Je trouve que tes textes de chansons sont chouettes, les mots bien choisis, le tout ciselé. Un vrai style s'exprime. Tu écris beaucoup ?
J'adore ça mais j'écris peu. J'écris parfois de longs textes que je publie sur mon site. C'est comme des petites nouvelles. J'y parle souvent de choses qui me sont arrivées, comme de ce jour où je me suis tiré un plomb dans la tête quand j'avais 12 ans, par erreur. Mais j'écris peu dans la mesure où tout ce que j'écris est publié sur mon site où figure dans les chansons que je grave sur disque. Je m'autocensure trop pour écrire un truc que je ne publierais pas. Par exemple, là récemment une chanteuse québécoise m'a commandé une chanson, une nana très chouette qui s‘appelle Stéphanie Lapointe et qui sort bientôt son prochain disque. Je lui ai envoyé deux chansons, musique et texte, et elle en a pris une qui est un duo avec moi, on a donc enregistré ce duo, encore un duo avec une fille, et voilà, la chanson qu'elle n'a pas prise est devenue la première chanson de la version acoustique de Bungalow. Comme je l'aime bien et que j'écris trop peu, je l'ai tout de suite recyclée !
Tu comptes développer cette activité de parolier ?
J'adorerais, mais l'occasion ne s'est jamais vraiment présentée. C'est-à-dire que jusque-là, au dernier moment les trucs auxquels j'avais participé été tombé à l'eau. Là c'est la première fois que ça concrétise. J'ai vu la pochette du disque et tout donc je suis quasiment sûr que ça va sortir. Peut-être que je vais enfin commencer à réussir à écrire pour d'autres.
Question con : as-tu une chanson préférée sur Bungalow ?
Au niveau de la mise en forme je ne saurais pas te dire, mais en terme de paroles et de musique je pense que c'est "J'aime lire". J'aime bien cette chanson parce qu'on ne sait pas de quoi elle parle. Je dis que j'aime lire des tas de choses mais je finis par dire qu'il y a une lettre que je ne le lirai pas car j'ai trop peur de savoir ce qu'elle renferme. Une chanson qui parle d'un point d'interrogation, ça m'intéresse.
Le vide, encore !
Oui et en même temps elle peut évoquer plein de choses à plein de gens. On peut tous être touché par ça. Quand je fais ça j'ai vraiment l'impression de faire une chanson populaire.
A part la réédition de Bungalow quels sont tes projets du moment ?
Je suis en train de travailler sur un projet très lourd, très chouette et très conceptuel que je monte tout seul autour du cinéma et de la musique de film.
Un retour au jazz ?
Non, mais un retour à l'instrumental. Ça comprendra peut-être une expo, un livre, je ne sais pas encore. Tout est possible.
Photo par David Zacharias