Parlhot cherche à remettre l'art de l'interview au cœur de la critique rock. Parce que chroniquer des CD derrière son ordi, c'est cool, je le fais aussi, mais le faire en face du groupe en se permettant de parler d'autres choses, souvent c'est mieux, non ?
"moi et le cinéma... "
"Jeune et con, c'était bien..."
Une dernière question. La dernière fois que nous nous sommes entretenus c'était à la sortie d'Obok et vous m'aviez dit que vous étiez plus réceptif des yeux que des oreilles.
C'est vrai.
Du coup je me demandais si vous aviez déjà pensé faire un film.
Alors, d'abord je suis dans l'image depuis très longtemps, photos et images animées, parce que je suis de l'école colleuse, monteuse, chutier et tout ça, mais voilà je ne suis pas écrivain. Je suis partiellement écrivain parce que j'ai acquis une très belle langue fertile et que je maîtrise complètement au niveau du style, mais je n'ai pas cette maestria des Stendhal ou des Zola qui eux sont à fond dans le narratif et racontent de grandes sagas avec des personnages et tout. Les histoires me passionnent mais je n'ai pas cette composante pour en pondre. D'ailleurs tous les écrivains ne l'ont pas. Aragon, par exemple, écrivait très bien, et des textes assez longs, mais il ne se passe rien dans ses textes. Pareil pout Robbe-Grillet ! Il écrit très très bien, c'est très classique, très beau, mais bon, quid de ce qu'il y a à l'intérieur.
Et donc vous et le cinéma ?
Et donc moi et le cinéma. Oui, j'y ai souvent songé. Je suis un très bon cadreur, je saurais très bien diriger les comédiens, je sais exactement quels angles de vues je veux, le montage, j'ai tout dans la tête. J'ai tout sauf l'histoire. Voilà, de la même manière qu'aucune idée de roman ne me vient aucune idée de scénario ne me vient. Ce qui est un peu gênant. Et je ne lis pas vraiment des trucs qu'il m'intéresserait de tourner ou de mettre en scène, donc voilà. Mais là, récemment, je suis tombé sur un ouvrage, je ne vais pas dire le titre, mais c'est la première fois où je me suis dit : "C'est trop exactement ce qu'il faudrait que je mette en scène." Tiens, je vais d'ailleurs te donner cette l'info comme tu en auras une inédite : dans mes proches, dans les gens que j'aime bien et qui m'aiment bien il y a Enki Bilal.
Qui avait fait la pochette du tribute album Route Manset...
Exactement. D'ailleurs ça me rappelle qu'il faut que je lui envoie mon nouvel album, à moins qu'il ne l'ait déjà. Et quand je suis tombé sur ce roman qui est un texte très peu connu d'un auteur connu, je me suis vu le tourner. Je voyais où le tourner, pas dans la ville mythique dans laquelle l'histoire prend place mais dans une autre un peu moins mythique, un peu moins connue mais qui a je crois une configuration géographique similaire à ce qui est décrit dans le livre. Donc je me suis dit que j'allais peut-être parler de tout ça à Bilal. Je ferais bien ça avec lui pour obtenir un truc à la limite entre le dessin et le tournage. Tu vois ? Je ne vois pas trop quelle collaboration on pourrait avoir mais il est très proche de moi par certains côtés, par sa vision esthétique, son trait abrupte et peut-être aussi son côté slave, cette sorte de secret, de froideur. Donc voilà j'ai ça en tête. J'aurais 20 ans de moins, je serais déjà en train de le tourner. Mais faire un film c'est des années de travail, c'est débloquer des budgets auprès d'untel et d'untel... En même temps, ce texte est tellement beau, tellement inconnu ! Les scènes sont un tel nectar ! Les personnages m'émeuvent tellement et c'est tellement la démonstration de tout ce qui n'est plus enseigné, de tout ce qui va disparaître, que voilà.
J'allais oublier : connaissez-vous Saez ? Je vous parle de lui parce que dans son dernier album, Varsovie / L'Alhambra / Paris, est un triple album et qu'il y a dessus un morceau intitulé "Je suis le Christ". Donc voilà, ça m'a fait penser à vous et votre inaugural "Je suis Dieu" à l'époque d'Animal on est mal. Je me suis dit : peut-être que Saez œuvre dans une monstruosité qui était la votre à vos débuts, et que donc peut-être que cet auteur-compositeur-interprète vous intéresse. Tenez, voilà le disque en question.
Je n'ai pas écouté cet album-là mais je connais son premier truc. Mais oui, ce Saez, je pense que c'est un auteur qui a du matos. Et ce disque, c'est comment alors ?
Je ne dirai pas que je trouve ça fantastique mais comment dire, je ne dirai pas que c'est nul. Il y a indéniablement de la maladresse chez Saez, beaucoup même, mais je trouve qu'à certains moments, il y a des trouées, des fulgurances que peu atteignent, ce genre de trucs qui font que je n'arrive pas à ne pas m'intéresser à lui.
Musicalement c'est comment ?
Là, très folk acoustique, très nu.
Et les chansons sont bien ?
Il y en a quelques-unes 6-7, pas plus.
Ce n'est pas Murat, quoi.
Murat ?
Oui, parce que Murat a de bonnes chansons. Saez, il a quand même l'air d'avoir de l'inspiration. "Jeune et con" c'était beau. Là, c'est moins beau ?
Il y a du déchet. Et c'est moins rock que "Jeune et con".
En gros, il aurait dû faire un seul album avec ces trois-là.
Sans doute. Je ne sais pas.
Et la voix est bien ?
Très geignarde, affectée.
Ah bon ? C'est dommage. C'est ce qu'on m'a dit d'ailleurs.
L'album, je vous le laisse si vous voulez. Je l'ai en double.
Merci, je suis assez curieux. C'est un des rares auteurs qui me rend un peu curieux. Parce qu'il est atypique. "Jeune et con" c'était bien, ça rentrerait dedans et puis le mec ose faire un triple album, il faut le faire. En plus il avait déjà fait un double album avant, non ?
Oui. Vous vous avez travaillé comme parolier pour Raphaël. Et c'est marrant - je pense à ça, là - parce que Saez et lui ont débarqué en même temps avec le même genre d'univers pop-rock rebelle...
Oui, c'est vrai que c'est sorti en même temps que Raphaël.
Mais ensuite tous deux ont pris des voies différentes. Raphaël a rencontré le succès en virant plus folk, chanson, soft et Saez s'est marginalisé en virant plus rock, expérimental, mégalo. C'est un peu comme s'ils étaient devenus l'envers l'un de l'autre...
Ce qui me dérange chez Saez - je le vois là en regardant les photos de l'album que tu m'as donné - c'est son rapport à l'image. Autant la photo où il baisse les yeux ça va encore, autant celle où il regarde fixement l'objectif, non, ça ne va pas. Et toi sinon, tu arrives à t'en sortir ?