Parlhot cherche à remettre l'art de l'interview au cœur de la critique rock. Parce que chroniquer des CD derrière son ordi, c'est cool, je le fais aussi, mais le faire en face du groupe en se permettant de parler d'autres choses, souvent c'est mieux, non ?
Ainsi parlait le mythe, l'écrivain en chanteurMalgré mon jeune âge (26 ans), j'ai rencontré Gérard Manset (61 ans), parent terrible de la chanson française, par deux fois. La première à l'occasion de son dix-septième album, Le Langage Oublié (2004), la deuxième à l’occasion de l’album qui a suivi juste après, Obok (2006), dernier en date. Tout le monde ne peut pas en dire autant. Manset est rare. Manset se terre. C’est un mythe. Art muré de chansons mélancoliques en diable, sur le monde, les hommes. Un Sphinx que d’aucuns aimeraient faire parler. Sur ses morceaux aux voies impénétrables. Sa vie qu’il tient secrète. Portrait et entretiens.
En finir avec le mythe ?
Obok, c’est l’album blues que Johnny ne fera jamais. Manset cette liberté que Johnny n'aura jamais. Liberté de ne pas monter sur scène. Jamais. Selon son bon vouloir. Même s'il laisse encore planer le doute. L’envie d’avoir envie. Et ce serait bien.
Le mot-nu-ment. Aux mots il faut la chair des concerts pour peser. Refusant de s'exposer, Manset se désincarne dans sa légende de poète. J’allais dire maudit. Erreur : l’homme est maudit, jamais le poète qui recycle tout, malheur en tête, pour faire graine.
"Branlette" dit le fan Thiéfaine. Mais Manset s'entête. Cultive son jardin (de délices) à l’abri du temps, retenu dans ses disques, qu'il aligne comme les tomes d’un roman. Les pierres d'une église. Mène vie de château confit dans son mythe, teinté d’inquiétude.
Sur Obok, léger retournement de veste, il deale avec son mythe. Via un petit livre vendu avec l’album contenant secrets d’alcôves, humanise l'image ténébreuse de divin créateur qu'il a un peu contribué à créer. Le voyageur solitaire parle aux "fidèles d’entre les fidèles".
Cet album est moins éthéré, opéra. Plus "country, terrestre", cul-terreux, si j'ose dire. Cela parle terre, toujours. Airs d'enterrement d'où sa voix émane, plante grimpante, croque mots, rappelant les duretés de la vie. Les paradis perdus à jamais. Difficile d'accès.
Avec tout cela en tête on arrive devant Manset. Fort d’une première rencontre nickel à l’époque du Langage Oublié. D’où ce deuxième round, si j’ose dire (bis). Pour tenter d’en savoir plus sur le mystère Manset. Faire parler l’oracle. Sur l'envers des choses.
20 avril 2006. 11h. Rencard dans une boulangerie salon de thé du 16e arrondissement. A deux pas de chez lui. Lieu étrange pour une interview "musique", mais pas pour Manset, qu’on imagine à son aise dans ce lieu au parfum d’enfance. Loin du monde, loin du bruit.
Le voilà qui arrive, lunettes noires, mèche poivre-sel, blue jean, veste beige. Un peu papy Lou Reed. Il s’inquiète de voir que ladite boulangerie est fermée aujourd’hui. Soit. C’est donc à la terrasse bruyante d'un bistro qu’on devise de la matière d’Obok, et plus encore.