Le sémiologue à la petite semaine que je suis dénoue le pacte sulfureux que signent Le Fil de Camille et la fibre textile dans la dernière campagne Kookaï (suite).
Beauté : arme de destruction massive
La beauté est l'atout pervers de la mangeuse d'hommes, d'une femme vue sous l'angle de l'amazone. Cet axe est le concept de communication cher à Kookaï depuis quelques années. Et il atteint là des sommets de subtilités. On n'a plus affaire aux torses scarifiés des pubs précédentes mais en substance, on y dit la même chose sur le pouvoir de la femme. Kookaï innove car il ne montre pas des femmes-objets victime de leur beauté, comme le font la plupart des pubs, mais des femmes qui ne sont pas seulement jolies parce que, derrière leur beauté qu'elle considère comme une arme, un appât, elles ont plan, une motivation profonde et clairement assumée qui est de manger du mec. De dévorer de la chair. De réduire l'autre en objet. La beauté est donc présentée comme carnivore, destructrice. Mais est-on tenté d'ajouté, pour continuer dans la cruauté, cette beauté est d'autant plus liée à la mort qu'elle est une arme périssable. "Pretty things are going to hell" comme disait Bowie. La beauté meure deux fois de faner avant de disparaître. En cela aussi, la beauté est divine et diabolique à la fois.
La femme amazone
Camille et son Fil incarnent à merveille cette image amazone de la femme défendue par Kookaï. Elle aurait pu être leur ambassadrice. Tout comme Claire Dit Terzi (avec Boucle) et Fiona Apple (avec Extraordinary Machine) qui sont elle-même très amazones. Mais pas Emilie Simon, trop femme-enfant avec son Végétale. Amazone, Camille l'est radicalement. Avec Le Fil, l’ange s'est fait tête de lard. Dans cet album, elle se met démesurément en avant et impose sa différence, sa volonté de fer et son coté barré, voire misanthrope. Elle se joue du beau et du laid, du corps et de l’esprit, du bien et du mal, du masculin et du féminin, du malaise et de la fascination, mêlés, qu’elle peut susciter. Elle joue les fées-sorcières. Fait son théâtre de la cruauté. Sa dynamite nietzschéenne. Son fil d'art, c'est la guillotine et le pic à glace d'une artiste qui revendique son sexe fort, mais aussi son supplément d'âme et de l'intelligence jusque dans ses excès d'idiotie. Son Fil c'est la pelote de laine d'une chamanique maniaque qui tisse sa toile pour nous prendre en son centre et nous faire siens. C'est une araignée, une mante religieuse, un animal, quoi.
La fibre textile et Le Fil de Camille sont donc étroitement liés. Ils sont les doubles hélices d’ADN finement torsadées d’une nouvelle forme de vie qui prend son indépendance, d'une vie carnivore qui se retourne contre elle-même, pour manger la vieille vie d’avant : homme avec un petit h et l'Homme avec un grand H. Et cette fibre et ce Fil, c'est enfin la déclinaison, l'ombre d'un autre fil, tendance, qui est tout aussi dévorant et destructeur : le fil nombrilaire des nouvelles technologies. Cette fibre et ce Fil sont l'ombre du cordon et du câble de téléchargement de l'ère numérique. De l'ego-casting des nouvelles technologies qui plongent dans les profondeurs de l'être, la peau et l'égo, pour le "customiser". Cette fibre et ce Fil sont le symptôme des nouvelles technologies portables, iPod en tête, devenues Moi de substitution auquel de plus en plus de monde se connecte. Pour s’isoler des autres. Et se fuir soi. iPod, Fil tentateur, serpent : toujours une histoire de pomme au centre...