Parlhot cherche à remettre l'art de l'interview au cœur de la critique rock. Parce que chroniquer des CD derrière son ordi, c'est cool, je le fais aussi, mais le faire en face du groupe en se permettant de parler d'autres choses, souvent c'est mieux, non ?
Joignant l'utile à l'agréable, je suis parti à Aulnoye-Aymeries pour couvrir la 7e édition des Nuits Secrètes qui attendait 50 000 festivaliers et tenter simultanément de m'offrir 3 jours de vacances bien méritées. Mission accomplie ? Récit.
Aulnoye-Aymeries est un bled de 10 000 âmes situé au sud est du Nord-Pas-de-Calais. Le trou du cul du monde. Mais banco ai-je dit à mon pote lorsqu'il m'a proposé d'y aller le 8, 9 et 10 août à l'occasion du festival des Nuits Secrètes. L'affiche était belle et le cadre rêvé pour se désintoxiquer de Paris, alors il s'est improvisé photographe, je me suis improvisé journaliste (ce que je fais depuis 6 ans) et on a sauté dans le train.
Deux heures après, le dépaysement était gagné : une fête foraine s'étendait entre la Grande Scène (gratuite) et le Jardin (9 euros) ; situé près d'un Super U l'espace pro était totalement dépourvu de PC et, au camping (et oui, parce qu'au tarif où l'on nous paie, on ne peut pas s'offrir l'hôtel) dès la tente montée la pluie s'est mise à tomber. Cloîtrés à trois dans ce refuge une place, on se demandait déjà ce qu'on faisait là, surtout que les concerts commençaient à 19h et qu'il n'était que 14h. Mais vite la pluie a cessé, le reste du temps, le ciel fut même assez clément pour quelques coups de soleil, et la majorité des concerts nous a rappelé pourquoi on était venu.
8 août : Bashung, chirurgien du réel
La belgitude des Bikinians a fait plaisir à voir, performant avec brio des hymnes rock perchés entre surf, Pixies et Kinks. Portés par des tracteurs sillonnant la ville, Bob & Lisa des Bellrays ont charmé en réinterprétant le soul-rock survolté de leur formation d'origine en version blues tambourin-guitare-voix et les lillois de Curry and Coco ont mis le feu en nous faisant découvrir leur électro-rock synthé batterie furieusement catchy. Avec sa blondeur angélique et sa pop ouatée, Peter Von Poehl a fait croire aux filles qu'il existe des mecs qui aiment avec leur cœur et pas avec leur bite. Et comment ne pas craquer à l'écoute de "The Story Of The Impossible" et "Going Where The Trees Are" ? De son côté, French Cowboy a montré qu'il n'était pas du Little Rabbits au rabais, mais un vrai projet, corps et âmes. Mention spéciale à leur poignante reprise du "Back To Black" d'Amy Winehouse.
Bien qu'affaibli par la maladie que chacun sait, Bashung fut princier. Il a débarqué sous les vivas comme si son apparition relevait d'un tour de magie. Il a prononcé une connerie du genre : "Parfois la vie est dure, des gens se perdent de vue" et l'a aussitôt rejetée comme s'il en regrettait l'impudeur. Alors quand il a déroulé le long texte de "Comme un lego", un des rares bons de son dernier album, c'en était déjà trop. Sa relecture de "La nuit, je mens" aussi nous a cueilli. Toute de velours. Il sublimait des appuis mélodiques de plus en plus improbables, chirurgisait le réel en petits gestes d'aveugle, c'était si beau. On aurait voulu rester. Surtout que c'était peut-être la dernière fois qu'on le verrait, mais sur l'autre scène les Hushpuppies avaient commencé et les connaissant un peu on ne voulait pas les louper.
On a bien fait de croire en eux. Son, look, lumières, énergie, gestuelle : ce soir les perpignanais ont tout simplement paru énormes. On aurait dit les Hives. Quand a retenti "Bad Taste And Gold On The Doors" et son big beat fracassant,on n'a pas pu s'empêcher de crier comme pris dans le grand huit. Tout le monde a remué au rythme de leurs hymnes psyché-garage étirés en trip trance. Après ça, les jeunes bordelais d'Adam Kesher ont eu du mal à relever la barre malgré un rock d'envergure lui aussi international. La faute à leur côté Interpol version fluokids et un chant emo à la The Rapture assez vite casse-pieds.
Ensuite, comme chaque soir, entre une heure du mat' et l'aube, la Bonaventure proposait le défouloir électro (6 euros). On y a dansé aux sets de Jahcoozi, Housemeister et Kiko et vu qu'on en est ressorti comme on était rentré (entre couilles), en zigzaguant sur le chemin du retour, on a eu tout le loisir de jouer les bons samaritains. On a sauvé un festivalier qui avait eu la mauvaise idée de prendre trois gars du coin pour des dealers et un autre de s'endormir sur la route. Après ça, sommeil des braves dans la tente une place.
9 août : Tellier, entre Gainsbourg et Gainsbarre
Au réveil, les babos criaient toujours "Apéro !". Bronzette. Pèt'. Petit dèj'. On a filé en cellule de dégrisement (douche froide) et c'était reparti. Etait-il trop tôt pour pareille musique ? N'étions-nous pas assez défoncé ? La synth-pop euphorique des norvégiens de Casiokids a cruellement manqué de profondeur. Ce ne fut pas le cas d'Arman Méliès. De la profondeur, son folk-rock en a abusé. D'ailleurs n'est-ce pas ça qui a gâté le dernier Bashung ? Que ce soit des jeunes comme lui qui s'y soient collés ? Des types trop biberonnés au spleen de Fantaisie Militaire ? En tout cas le public n'a pas boudé son plaisir et s'est emmitouflé dans l'"inespéré repli" de ses accords mineurs. Il n'a pas eu tort : il y a là de vraies chansons. En beau français en plus. Mention spéciale à sa reprise d'"Amoureux solitaires" : son souffle Arcade Firesque rendant toute sa noirceur au texte d'Elli Medeiros. Avec sa guitare et sa voix de grande dame, Alela Diane, 24 ans, a dégagé la sagesse qui a magnifié un folk que tout destinait à tomber à plat. Mention spéciale à son chignon, ses boucles d'oreilles et sa robe à fleurs.
Sur leur tracteur, alors que Bob & Lisa s'essoufflaient comme des Bidochons, les "80's kids" de Curry and Coco continuaient de péter le feu. A ce moment-là,. Sébastien Tellier est arrivé et lui aussi, comme Bashung la veille mais dans un style tout autre, fut princier. Avec ses blagues graveleuses style "Vous aimez les saucisses de volailles ?" ou "Faudrait que j'aille me laver la bite", il a prêté le flanc à ceux qui voulaient se gargariser de la branchitude de son personnage. Ils ont paru cons. Avec ses morceaux de génie comme "La Ritournelle" et "L'Amour et La Violence", il a forcé les plus pète-couilles à réclamer le silence. Ils ont paru cons. Mais lui, non, même lorsqu'il se touchait les parties. En mariant tous ces aspects dans un grand écart permanent entre Gainsbourg et Gainsbarre, il a juste paru sublime, insaisissable, bigger than life. Mention spéciale à sa prestation de guitar hero.
Vitalic nous a fait danser. Camille nous a saoulé avec son beat box Mimi Cracra mâtiné de gospel Disneylandisé. On a préféré filer au bar du PC boire des demis en écoutant de l'accordéon. Puis transhumance vers le dancefloor de la Bonaventure où l'on a fait l'effort de danser aux sets de Teki Latex et de Don Rimini. Pour tenter de serrer. En vain.
10 août : Birdy Nam Nam, artillerie électro hip hop
Peu de concerts nous ont emballé. On a aimé le rock festif de Nervous Cabaret. On a été surpris par le post-rock d'Health.Le genre de truc noise inécoutable chez soi mais taillé pour la scène. Tout l'inverse de la pop psyché de Caribou, qui n'a pas survécu aux mauvaises conditions sonores de la Grande Scène. On attendait quelque chose de sympathiquement groovy de l'allemande Nneka, mais elle nous a fait du sous Neneh Cherry, du trop lisse et trop propre qui a mérité les "A poil !" entendu dans le public. Après nous être bien dosé en ti-punch, et avoir multiplié les allers-retours aux pissotières en forme de vagin renversé, la sensation du jour est donc venu de Birdy Nam Nam. Les quatre DJ scratcheurs ont fait se frotter tout le monde en sortant l'artillerie electro hip hop.
A la Bonaventure, on a pris pleine poire le rock guitare-batterie du duo californien No Age. Après, Crookers et Brodinski ont sonné l'heure de la grande mascarade électro où tout le monde essaie de chopper en faisant plus ou moins mine d'être là pour autre chose (l'alcool et la danse). On a essayé de chopper en faisant mine de protéger les filles du danger des pogots, parce que dernier jour oblige, tout le monde lâchait ses dernières forces dans la bataille, mais on est rentré bredouille avec l'ultime envie de rentrer à Paris pour consulter notre boîte mail truffée de spams enlarge your penis. Et de dormir dans un lit. Et de boire de l'eau aussi. En trois jours, pas une goutte d'eau n'avait franchi notre gosier. Mais Dieu que d'houblon !
Alors dans la foulée, on a plié bagage, pris le train, retrouvé nos pénates et Paname. A l'arrivée, cata : un mail d'engueulade avec l'un de nos plus gros employeurs. Une stupide histoire de rapport de force hiérarchique. Le genre de trucs qui vous donne envie de tout plaquer sur le champ, d'arrêter cette quête parisienne un peu vaine du métier-passion, d'arrêter de croire que vous pourrez un jour faire votre trou dans cette ville, d'arrêter de croire que tout ça, Paris et sa pression culturelle, c'est pour vous.
Alors tous les souvenirs de ce week-end ont reflué. La musique ici décrite bien sûr, qui a ravi 53 000 festivaliers. Mais surtout les délires de potaches : fesser en douce les peluches du stand de tir à la carabine ; chanter "A la queue leu leu" avant le concert de Bashung ; chanter le "Short Dick Man" de 20 Fingers passant dans la sono avant que l'auteur de L'imprudence n'arrive sur scène ; chanter "Ma main sur ton petit cul cherche le chemin", le refrain scotchant du tube de l'été ; twister sur tout et n'importe quoi ; se demander si les babos du camping chantent tout le temps des trucs joyeux parce qu'ils sont joyeux ou parce qu'ils veulent se montrer et nous montrer qu'ils sont joyeux ; se demander si ça se voit qu'on est parisien, nous qui sommes un peu venu là pour nous décrasser de notre condition de parigot (non sans quelques moqueries, on ne se refait pas). Tout ça a reflué. Finie les vacances. Retour au boulot.
Photos par Antoine Salvi