Parlhot cherche à remettre l'art de l'interview au cœur de la critique rock. Parce que chroniquer des CD derrière son ordi, c'est cool, je le fais aussi, mais le faire en face du groupe en se permettant de parler d'autres choses, souvent c'est mieux, non ?
Julien Doré c'est tellement déjà une star, que ce n'est pas son disque qui vient à moi, mais nous qui doit aller à son disque. Le 24 avril, je suis donc parti pour Clichy, direction Sony Music. Ici ça ne rigole pas. Après avoir montré patte blanche en sortant comme il se doit ma carte d'identité au standard, on m'a conduit au 4e étage de la tour où j'ai pu, dans une pièce d'un mètre sur deux, enfin écouter Ersatz, le premier album de Julien Doré.
J'avoue, j'ai pas mal d'appréhension quant à ce disque. Comme beaucoup, j'ai vraiment aimé ses reprises détournées d'Alizée comme des Doors au sein de la Nouvelle Star, mais je me demande comment il va sonner une fois rendu à lui-même, sans l'artifice de la dérision, ni l'aura de pop-songs illustres. Loin du rock déjanté de la période Baltard, les 4 compos qu'il avait présentées en solo le 28 janvier lors de la conférence de presse de la 6e édition de la Nouvelle Star ne m'avait pas particulièrement laissé sur le cul. Je me demande aussi s'il va réussir ce grand écart entre mainstream et branché qu'a réussi Christophe Willem. Parce que Julien n'est pas Christophe. Ce n'est pas une oie blanche. Il vient des Beaux Arts et de l'indie rock. Il a de réelles prétentions artistiques. Les gens vont-ils kiffer ce jeune lionceau schizo qui se revendique autant de Duchamp que de Jean d'Ormesson ou se dire : "En fait il nous saoule" ?
On me tend le disque alors je fais le vide, enfin j'essaie, et me concentre sur le tracklisting. Première constatation. C'est riche : 14 titres. Je remercie l'attachée de presse, englouti le café et enfourne le CD. Ça débute par "Acacia" (signé Cocoon), un drôle de morceau pour débuter un disque. En effet, cette pièce folk assez reposante évolue tout du long en intensité sans véritable couplet/refrain. Mais c'est classe. La montée s'effectue sur une nappe d'orgue et les chœurs pastel de Morgane du groupe Cocoon se marient bien à la voix de bellâtre éraillée de Julien. Ça parle de "déposer des fleurs en papiers". On pense à Cabrel. La suite s'intitule "Les bords de mer" (signé Edith Fambuena) est encore très folk, mais plus étoffé. Des violons viennent appuyer une mélancolie sombre, racée. Je pense au Bashung de "La nuit, je mens". Et toujours ce chant de crooner beau gosse genre Marc Lavoine, qui chante, amer : "Les bords de mer sont des posters où rien ne bronche. Les bords de mer me désespèrent sans ta tronche." Je découvre un Doré assez cafard, premier degré.
J'essaie de m'y faire mais "Les limites", premier single (signé Scrima), me tire le tapis sous le pied. En 2'15'', dégingandé par un banjo de galopin anti-folk, Julien fanfaronne sur sa condition d'électron libre momentanément infiltré dans le showbiz : "Je sais quand j'arrêterai, crâne-t-il, je quitterai Paris et je paierai pour ça." Derrière, "Bouche Pute" (signé Doré) me remet la tête dans l'intime, l'obscur. Dans cette ballade slow core où le Christophe des "Mots bleus" aux chœurs, Julien dit à sa mystérieuse bien-aimée "Un jour j'irai pisser sur tes hanches / Tester ton étanchéité". Je ne comprend pas mais sent confusément que Doré vise Bashung une fois de plus, celui de L'Imprudence chantant "Un jour j'irai vers l'irréel / Tester le matériel / Voir à quoi s'adonne / La madone". A la fin, lyrique, Julien sort son cri du cœur et les cuivres s'élèvent dans un trip funérailles western.
Poum-tchak. Poum-tchack. Retour au fun avec "Les figures imposées" (signé Cocoon). C'est pop, très eighties. On pense à Daho. "Dans tes rêves" (signé Scrima) est de nouveau une boutade anti-folk. Julien s'adresse encore au showbiz, mais cette fois de manière plus ambiguë. D'un côté il avoue jubiler de pouvoir dorénavant faire ami ami avec les artistes qu'il adore, de l'autre il enrage de devoir se farcir les has been qui en veulent à sa côte de nouvelle star. Avec "Pudding morphine" (signé Doré) on retourne à la noirceur et la mélancolie. L'atmosphère est tombale, plombée. Le piano la joue lyrique façon Muse et Julien donne de la voix en mode baryton. Dans une seconde partie le morceau s'irise sous l'effet de nappes de claviers rétro sépulcrales à la Virgin Suicide. C'est complexe, capiteux. "Piano lys" (signé Doré), qui suit, est métamorphosé par rapport à la version piano solo qu'on connaissait. Là, le morceau prend une tournure alambiquée électro nocturne. C'est enivrant comme du Sébastien Tellier.
"Soirées parisiennes" (signé BABX) s'attaque un nouvelle fois "aux petits soldats du show-bizness". Ça commence à faire beaucoup. Julien risque de passer pour un donneur de leçon. Mais le morceau est cool, bien pop avec ses cuivres jubilatoires et branleurs. Je pense au Daho de "Comme un igloo" et au Dutronc des "Playboys". "J''aime pas" (signé Salo) revient au folk mais se fait chahuter par des ambiances de fêtes foraines ; "First lady" (signé BABX) une pop-song néo-yéyé qui swingue tout cuivres dehors ; "SS in Uruguay" une reprise tout en déconne mambo d'une chanson méconnue de Gainsbourg ; " Los Angeles" (signé Doré) une folk-song aux poches trouées et, bouquet final, "De mots" est un hymne rock bastringue en duo avec Arno. Ce dernier morceau est le seul composé par les Dig Up Elvis, plus précisément par leur guitariste Guillaume de Molina.
Vous l'aurez compris, ce n'est donc pas avec son groupe nîmois que Julien a fait ce disque, mais avec des gâchettes indie rock elles-mêmes infiltrées dans le showbiz. Le but : tenter d'y glisser de la qualité, voire de la subversion. Produit par Renaud Létang, le Monsieur Propre responsable du son de Souchon, Katerine, Feist, Jane Birkin, pour ne citer qu'eux, Ersatz avance donc sous les traits d'une pop-varièt' policée pour refourguer en douce des oeillades critiques et des sentiments plus dark que ce qui se fait d'habitude dans le créneau chanson française. De ce point vu c'est assez réussi, mais le disque a de faux airs d'attaché-case rempli de chansons-gadgets. On ne sait jamais sur quoi on va tomber comme dans la proverbiale boîte de chocolat du film Forrest Gump. Doré ne cesse de courir, de zapper d'un style à l'autre sans prendre le temps de creuser un style, une identité. Sur ce je ne sais trop quoi penser. Ni sur quoi conclure. Si ce n'est qu'il y a ici de belle choses et d'autres irritantes qui nourrissent son côté "tête à claques". Pour s'en faire une juste idée il faudra peut-être réécouter ça des mois après, au calme et à l'abri de la hype.