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  • : PARLHOT
  • : Parlhot cherche à remettre l'art de l'interview au cœur de la critique rock. Parce que chroniquer des CD derrière son ordi, c'est cool, je le fais aussi, mais le faire en face du groupe en se permettant de parler d'autres choses, souvent c'est mieux, non ?
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23 avril 2008 3 23 /04 /avril /2008 21:51
Métaphysique des teubs





"la caméra me permet de sublimer la douleur"

"mon deuxième long métrage parlera de maternité"











Ton DVD s’appelle Mon vit, mes œuvres
. Tu te prends pour un artiste ?
Bah il n’y a pas de honte à se dire artiste. Si je prends la définition du dictionnaire je rentre dans la catégorie. Après bon ou pas, c’est autre chose. Mais il n’y a pas de honte à dire qu’on a une démarche artistique.

Parce que tu fais des sacrifices pour…
Non, moi je fais très peu de sacrifices. Mes tournages, en général, je les fais dans la joie et la bonne humeur…

Mais je me rappelle d’une scène avec LZA
où tu lui dis : "Il y a un prix à payer à être harder, tu devrais le savoir." Ça veut dire que toi-même tu reconnais que ça implique une notion de sacrifice, d’investissement. Que paradoxalement c’est un sacerdoce d’être harder...
Non, mais la caméra me permet de sublimer la douleur, voilà. Sans la caméra, je n’oserais pas tout faire et le fait de mettre en scène ma douleur l’atténue beaucoup. Si je n’ai pas beaucoup de vie privée, ce qu’on me reproche, c’est parce que je m’en sers pour lui donner une dimension tragi-comique qui m’éloigne un peu du réel. Je ne suis pas quelqu’un qui discute beaucoup dans la vie privée, mais ça m’intéresse quand c’est filmé. J’ai besoin de subterfuges pour me pousser dans mes retranchements. Et plus je vieillis plus j’ai besoin de subterfuges. C’est peut-être une période.

Tout à l’heure tu disais que tu allais arrêter de boire et te droguer, devant la caméra comme dans la vie privée et que tu allais te tourner vers d’autres thèmes, d’autres sujets. Lesquels ?

Là je suis en train de tourner mon deuxième long-métrage, qui devrait s’appeler Les mouvements du bassin. Le sujet, je ne te le donnerai pas parce qu’il est très tôt pour en parler, mais ce n’est pas du tout basé sur l’alcool, la drogue ni même le sexe, c’est plus tourné vers mon esprit, des choses que je ne voulais pas regarder avant. En gros, ça va parler de maternité, de désir d’avoir un enfant, mais à ma façon.

Ta crise de la quarantaine ?

Non, quand tu verras le film tu verras que ce n’est pas l’expression d’une crise de la quarantaine. D’ailleurs je ne joue même pas dans le film. Tu aimerais bien réagir toi derrière (il parle à sa copine, Gwen, Nda) ? Non, s’il te plait, ne dis pas la vérité ! Tiens tu peux fermer la fenêtre, s’il te plait Gwen ? Mais ne dis pas la vérité.

Elle : Il y a juste des choses avec lesquelles je ne suis pas d’accord. Comme d’habitude tu es en train de jouer ton personnage.

Lui : Le truc c’est que les gens s’évertuent à vouloir soit que j’aille voir un psy soit à croire que je joue un personnage…

Elle : Mais…

Lui : Oh, tais-toi, toi ! Laisse-moi faire mon speech ! Tu peux mettre l’incident de cette jeune femme dans l’interview.

Elle : Ce qu’il ne faut pas oublier, je fais juste une parenthèse, c’est que je partage sa vie depuis 1 an. D’ailleurs je suis dans le DVD, mais je suis différente de toutes ces personnes qu’il y a dans le DVD et qui participent au côté destroy de HPG. Moi je connais Hervé, je ne connais pas HPG. Tout à l’heure tu lui demandais s’il faisait ses courts-métrages pour quitter le porno et rejoindre le cinéma traditionnel. Aujourd’hui je te le dis, Hervé veut dissocier les deux univers. Et ça va tout à fait avec la voix-off que je fais sur le DVD, où j’explique justement que j’en ai ras-le-bol de certaines attitudes de HPG.

Lui : Tu peux dire que je suis dominé par Gwen, qui n’a que 21 ans.

Elle : Hervé, c’est aussi quelqu’un d’humain.

Lui : Mais-le ça, ça lui fera plaisir.

Quelque part, les gens qui rentrent dans ton trip légitiment ton personnage et font de toi une sorte de gourou.
Elle : Exactement.

Lui : Oui, peut-être, je ne sais pas.

C’est ce que je disais tout à l’heure : ces gens désir être galvanisé par quelqu’un qui fait ce qu’ils ne font pas.
Oui, c’est ça, ok, il y a une dimension christique.

Costes, tu connais ?
Oui.

Lui assume clairement de parler de la dimension christique de ses performances. Et je trouve que tu as pas mal de point commun avec lui, dans ton approche artistique du corps, de sa monstruosité, de sa bêtise…
Oui, vu que ce qu’il fait et ce que je fais, je serai mal placé pour dire qu’il n’y a pas de lien.

Tu connais bien ce qu’il fait ?

J’approuve, mais je ne connais pas assez sa dimension politique et les tenants et les aboutissants de son travail donc je ne peux pas me permettre de critiquer. D’ailleurs je ne connais pas l’évolution de son travail et c’est ça qui important chez quelqu’un : l’évolution de son travail.

Il y a d’autres artistes dont tu te sens proche, des artistes qui t’intéressent ?

Euh… Je ne sais pas, cite-moi en.

Dans le DVD on voit que chez toi tu écoutes les Stones.

Oui, je n’ai pas de goût précis, mais c’est vrai qu’en musique, je suis bien branché Stones. Sinon je t’avouerai que je suis pas mal centré sur moi-même et que je ne me cultive pas trop. Parfois on m’emmène voir des films, pas forcément ceux que j’irais voir, par à priori, mais je suis content de les voir. Et puis il y a vraiment un truc que je ne fais pas assez, c’est d’aller aux musées. Mais voilà, j’ai une boîte de prod et ça me prend beaucoup de temps. Ce que je te dis là ce n’est donc qu’une excuse. Et il n’y a pas d’excuse pour expliquer le fait de ne pas se cultiver. Si on m’aime, on n’a qu’à me conseiller un bouquin que j’essaierai de lire.

A propos de ta boîte, depuis quand existe-t-elle et comment marche-t-elle ?

Elle existe depuis 6-7 ans et elle marche difficilement parce que le DVD vit ses dernières années. Maintenant soit tu vends aux chaînes câblées soit tu vends sur Internet. Donc je suis en train d’essayer de m’adapter à cette évolution. Ce n’est pas évident. Ça implique une restructuration qui touche beaucoup d’entreprises dans la musique comme dans le cinéma. Même les magazines où tu bosses doivent être touché par la concurrence des magazines en ligne. On en est tous au même point. Peu vont rester, il faut bien se placer dès maintenant.

Combien de personnes emploies-tu ?

Je suis le seul employé. Les autres personnes, je les embauche pour des contrats à durée déterminée. Ça me permet d’être libre.

Qui a eu l’idée de son logo HPG qui forme une bite ?

Un très bon ami à moi, Louis-Felix Perraud. Il voulait d’ailleurs que je lui donne de l’argent pour ce logo, mais il est mort avant, le pauvre.

Tout à l’heure on parlait de ta "sortie du X". Que penses-tu des autres acteur porno qui ont essayé de "sortir du X" ?
Je n’en connais pas beaucoup.

Rocco Siffredi...

Dans Romance ? Il joue super mal. Parce que Rocco c’est un mec intelligent, un bon businessman et un excellent harder, mais ce n’est pas un bon acteur de traditionnel. C’est juste que Catherine Breillat a été attirée par son gros sexe, on ne sait pas pourquoi d’ailleurs, elle aurait pu prendre une bite française comme la mienne. Et ce n’est pas parce qu’on prend un acteur porno qui joue mal dans un film que ça signifie qu’il a voulu sortir du X.

Coralin Trin Thi...

Qu’est-ce qu’elle a fait ?

Elle : Elle a écrit des bouquins. C’est bien d’ailleurs.

Lui : Tu vois, elle est belle et elle va finir assise-là à répondre aux questions à ma place. Donne-moi des exemples de gens qui en dehors du porno ont fait autre chose que moi je puisse apprécier parce que pour l’instant ceux que tu me cites je n’en pense pas grand-chose, si ce n’est qu’ils ont du courage de faire ce qu’ils font et qu’humainement ce sont sans doute des gens bien. Sebastian Barrio a fait quelques films traditionnels, mais bon... J’aimerais te dire que je les apprécie parce que comme c’est un petit milieu je vais être amener à les recroiser mais non. De toute façon je ne voue pas un culte aux acteurs parce que très peu de gens jouent bien.

Elle : Nina Roberts joue bien dans ton film.

Lui : Oui, c’est vrai. Mais Gwen, s’il te plait, tais-toi ! Tu vas mettre Gwen dans l’interview ?

Pourquoi pas. Je verrais. Dans les films traditionnels qui incorporent aujourd’hui des scènes de sexe explicite, lesquels t’ont interpellé ?

Il y a le film de Chéreau.

Intimité ?

Oui, je le trouve remarquablement bien fait. Un peu trop intello pour moi mais très bien fait. Cite-moi des exemples.

Les films de
Brisseau ?
Je le connais, j’aime plutôt bien ce qu’il fait, d’ailleurs je vais sans doute être amené à travailler avec lui ou avec des personnes avec qui il travaille. Mais bon voilà, comme je veux intégrer le monde du cinéma traditionnel et qu’ils ont déjà assez de mal à m’accepter, je ne vais pas trop l’ouvrir parce que je préfère cracher dans la soupe une fois que je l’ai mangée, pas avant.

Les films de
Breillat ?
Nulle. J’ai été sur un de ses tournages. Elle a tenu à ce qu’on bosse sans préservatif. Elle nous a vraiment pris pour des cons. Elle a fait d’excellents films, mais là je ne comprends pas ce qu’elle fait. Je n’aime plus du tout. Je dis ça parce que je sais qu’elle ne m’embauchera jamais. Tu as d’autres exemples ?

Elle :
Wonderland. Un film américain sur l’histoire vraie d’un acteur porno

Lui : Oui, c’est très bien ça, mais Gwen, encore une fois, je t’en prie tais-toi. Quand tu auras tes interviews, moi je ne serai pas là.

Elle : Oui, mais vous cherchiez un film. Wonderland.


Ok, merci.

Je n’ai pas été trop court dans mes réponses ?

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21 avril 2008 1 21 /04 /avril /2008 20:17
Métaphysique des teubs






"je préférerais être rock-star qu'harder"

"oublier le côté porno comme dans
L'empire des sens"





Dans ton court-métrage Autobiographie, tu montres une affiche de tes débuts en tant que Condom Man. C’est comme ça que tu as commencé dans le X ?

Ça c’est le film le plus lamentable que j’ai fait. Je me pointais en tenue de super héro et c’est une des rares fois dans ma vie où j’ai eu une panne sur un tournage. J’étais en cape avec la bite molle. Donc autant te dire que si ça avait été mes débuts tu ne m’aurais jamais revu dans un deuxième film. Donc non ce n’était pas mes débuts. Ce film c’était une mauvaise idée parce que dans un film porno tu peux faire marrer les gens avant ou après l’acte mais surtout pas pendant car le mec ou la femme qui achètent ton film veut quand même pouvoir se masturber. Dans Condom Man, on a merdé à ce niveau-là. Mais j’aime bien c
e film parce qu’il est plus lamentable que ce que beaucoup de gens ne pourront jamais faire dans leur vie et quand tu atteins ce degré de lamentable ça en devient bon. En plus ce n’était pas voulu. Il y avait un peu d’insouciance.

Quels sont donc tes premiers pas dans le porno et pourquoi as-tu souhaité faire ça ? Est-ce liée à une rencontre ?

Oui, une rencontre avec mon sexe. Ado, j’étais timide, personne ne voulait de moi et comme j’arrivais à avoir de bonnes érections, je suis devenu gigolo. Je me faisais masturber par des vieux garçons-coiffeurs et la pseudo-tendresse qu’ils me donnaient me réconfortait parce que je ne l’avais pas auprès des femmes. Après je suis devenu acteur porno et ça a comblé tous mes souhaits. Parce que tu
as beau être timide, ne pas avoir un physique de play-boy ni une grande gueule, si tu as un sexe qui se durcit sur commande tu peux devenir acteur porno, c’est-à-dire te faire plein de nanas et être en plus payé pour le faire. Je voulais donc faire ça comme un enfant veut faire cosmonaute.

Cosmonaute ???

Oui, à la bas
e je voulais être cosmonaute mais pas pour aller sur la lune, pour le retour, parce qu’une foisce qu’on en fait. Pour eux on peut dire qu’on est des icônes parce qu’ils voient en nous le côté étalon, mais on joue tellement mal qu’on est plutôt tragi-comique. Et puis on est sexuellement performants devant une caméra, mais dans la vie privée c’est autre chose. Après c’est sûr qu’acteur porno fait plus rêver que la plupart des autres métiers. Mais quand tu es intelligent, tu préfères être rock-star que harder. Parce que dans le traditionnel les filles sont encore plus jolies que dans le porno. Franchement quand on voit la tête de nos actrices françaises, on ne peut pas dire qu’on soit vraiment gâté. Moi les 3/4 des scènes que je fais c’est avec des nanas dont on dit qu’elles ont des physiques disgracieux. Donc attention, mon métier n’est pas qu’un rêve. Les kilos superflus, je connais. C’est d’ailleurs pour ça qu’on va tourner à Prague. Donc voilà moi à choisir je préférais être rock-star que harder. Je fais ça faute de mieux. Parce que si j’étais rock-star j’aurais plus naturellement accès aux femmes, et à des femmes plus séduisantes.

Quelle réaction ont les gens quand ils te reconnaissent dans la vie de tous les jours ?

Ça les fait plutôt marrer de me voir parce qu’ils m’imaginent déshabillé. Si je prends une douche au Gymnase Club, ils se demandent si je ne suis pas en train de tourner un film porno.

A un moment dans le DVD tu parles de ce qui t’a poussé à devenir harder et tu dis que tes deux communions ont joué un rôle…

Oui, c’est-à-dire que petit je me suis tourné vers Jésus pour avoir des cadeaux et qu’on me laisse tranquille à faire du vélo. Et c’est sûr que pour un petit être très porté sur le sexe comme moi, être obligé de se trimballer en blouse blanche avec une croix, ça m’a marqué. Aujourd’hui je suis peut-être séduit par cl côté virginal que j’avais sur ces photos, quelque chose qui est maintenant loin de moi. Il y a un chemin parcouru.

La religion était très présente dans ta famille ?
Oui, j’ai été obligé de me tourner vers Jésus, je ne l’aurais pas fait moi-même. Je n’ai pas rencontré le diable en chemin, j’ai toujours eu une certaine part de noirceur et de sexualité.

Tu t’en es très tôt rendu compte ?

Oui, parce que petit quand je n’arrivais pas à éjaculer je me retenais de faire pipi et je me frottais le zizi sur des barres en fer. Ça me procurait une sensation érotique. Je suis quelqu’un d’assez solitaire donc je me suis tourné très tôt vers moi-même.

Hervé Pierre Gustave, ça sonne bourge. Tu es issu d’une famille bourgeoise ?

Pierre Gustave c’est le nom qu’on donnait aux esclaves affranchis, donc ce n’est pas un nom qui a des origines bourgeoises. Je suis plutôt issu d’une famille d’ouvriers aisés, j’habitais une maison à Noisy-le-Grand, une banlieue correcte près des bois. Je n’ai donc pas été élevé dans une banlieue dure genre HLM, j’ai été élevé avec de l’amour, une tendresse retenue, mais je n’ai jamais été battu. J’ai eu une enfance heureuse, solitaire mais heureuse.

Penses-tu que ton éducation religieuse joue un rôle dans ton "métier" de harder ?

Mon éducation religieuse n’a jamais interféré dans ma trajectoire parce que je n’en avais strictement rien à foutre. Je veux dire, je n’ai baigné dans une ferveur religieuse, ce n’est pas par révolte contre Jésus que je suis devenu acteur porno ! C’est plutôt la solitude dans laquelle je m’étais enfermé qui m’a poussé à me recentrer sur mon sexe.

Pourtant je trouve qu’il y a quelque chose de très christique dans la manière dont tu abordes ton « rôle » de harder parce que tu te donnes beaucoup au public…
Je te remercie. Euh… Fais gaffe tu vas t’attirer la foudre des organisations chrétiennes.

A un moment dans le court-métrage Mon vit, mes œuvres tu dis à une amie : "Moi je ne fais pas l’amour aux femmes, je fais l’amour au public." Faire l’amour au public c’est assez christique. Comme de dire : "C’est dans la plantade que je m’exprime."

Euh… Je ne sais pas quoi te répondre là. Ce n’est pas mon ambition mais peut-être qu’inconsciemment j’épouse une démarche christique en donnant mon sexe à autant de femmes…

A autant de spectateurs.
Oui, mais comme je suis assez égocentrique je ne pense pas beaucoup au public, surtout quand je suis en train de transpirer à faire une scène avec une nana qui me plait plus ou moins. Je pense plus à mon érection qu’à mon public. Je pense à ne pas passer pour un con auprès de mon public. Mais dire que je suis payé pour faire l’amour à une jeune femme et qu’en fait je me donne à mon public comme Patrick Bruel se donne à son public quand il chante au piano c’est peut-être porter le métier de harder un peu trop haut…

Oui mais dans tes propres films tu portes le métier de harder un peu plus haut…

Dans mes courts-métrages ?

Oui, là je pense plus à ton travail d’auteur.

Ok, oublions mon boulot de harder. Là mon but c’est de m’exprimer avec sincérité ou si je suis dans le calcul de faire en sorte que le spectateur comprenne que ce que je fais est calculé et que j’ai donc peur de me montrer. Parce que chercher à maîtriser son image et avoir peur de passer pour un con, je ne trouve pas ça bon du tout.

Dans tes courts-métrages, on a d’ailleurs parfois l’impression que tu fais tout ton possible pour avoir l’air con, que quelque part tu fais l’éloge de la connerie.

Je ne dirais pas ça, parce que la connerie ne m’intéresse pas. La connerie c’est la bêtise et la bêtise entraîne le racisme, des choses comme ça, donc ça ne m’intéresse pas.

Mais il peut y avoir une bonne bêtise parce que faire l’idiot ça fait du bien.

Oui, mais moi ce que je recherche avant tout c’est l’insouciance des enfants. Et que ce soit cette insouciance qui provoque la connerie, non pas une bêtise travaillée. Cette insouciance doit rendre la personne touchante par ses travers.

Dans tes courts-métrages, on voit que les gens disent souvent de toi : "Il est chiant mais qu’est-ce qu’il est touchant." D’ailleurs, globalement, on voit que les gens, qu’ils soient tes amis ou des acteurs, acceptent assez facilement de se faire filmer, ils partent facilement dans tes délires, malgré ta folie et ton égocentrisme. Comment expliques-tu ça ?

Sincérité, ça va être le mot du jour. Mais voilà à partir du moment où tu es sincère ça ne peut qu’entraîner une certaine forme d’adhésion. On n’est pas forcément d’accord avec ton message, ton scénario, ou ta façon de dialoguer avec les autres, mais au moins on t’accorde l’indulgence d’être mue par une certaine forme d’insouciance et de sincérité. C’est-à-dire que tu n’es pas dans calcul destiné à te glorifier. Ou alors tu es quelqu’un qui veut faire de lui une statue mais qui s’y prend mal et tombe en montant sur son socle. En plus parfois je peux être méchant avec les gens parce que j’ai une part de méchanceté que j’assume. Moi je ne fais pas un court-métrage en me faisant passer pour un mec bien. Mais voilà je montre également que tu récoltes ce que tu sèmes.

L’effet pervers lorsque tu embarques les gens dans ton univers c’est qu’ils ne savent plus très bien où se situe la frontière entre la fiction et le réel…

Parce que je suis un manipulateur, je manipule les gens. Mais je le montre et je ne tiens pas à ce que la fin soit moraliste, c’est comme ça.

Mais finalement les gens ne rentrent-ils pas ton jeu parce qu’au-delà de te trouver pathétique il te trouve monstrueux, fascinant et qu’ils consomment en toi ce monstre qu’ils ne se permettent pas d’être ?

Bien sûr, je sers parfois d’exemple. Comme je assez loin dans l’excès, une mère va pouvoir dire à son fils : "Ne deviens pas comme lui, il fait des bêtises." Mais je sers aussi à ça.

Mais là tu sers de contre-exemple. Ce que je veux dire c’est que des gens peuvent t’envier pour ce que tu te permets de faire et d’être.

Oui, je prends une certaine forme de liberté que les autres peuvent envier, et j’espère parce que ça sert à ça le cinéma : faire des choses qu’on ne se permettrait pas de faire dans la réalité. Sauf que moi, au bout d’un moment, je les fais aussi dans la réalité. Ces courts-métrages montrent quelqu’un qui certes a une libido qu’on peut qualifier de forcenée et il y a quelques scènes de nudité sexuellement explicites, mais ça ne traite pas de pornographie, ça traite plutôt de la vie d’un homme. Ou de celle des autres.

Dans ce DVD on se rend compte qu’au quotidien tu te trimballes tout le temps avec ta caméra. Et au bout d’un moment il en va de ta caméra comme de ton sexe : à tellement la voir on ne la voit plus.

Oui, j’ai un objectif qui fait corps avec mon corps. En fait, je provoque certaines scènes par la nudité, souvent la mienne, parfois celle des autres, et le but du jeu c’est qu’on en vienne à oublier le côté pornographique, comme dans L’empire des sens. Dans ce film, chaque scène s’ouvre sur un motif sexuel, mais après ça part ailleurs et tu oublies totalement que les gens sont nus. Pour moi ce film est un chef d’œuvre tout genre confondu. J’aimerais réussir à faire ça.


(Suite et fin.)

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17 avril 2008 4 17 /04 /avril /2008 01:26
Métaphysique des teubs

Il y a un côté Godard chez HPG. Un côté Van Damme. Un côté Costes même. Une dimension bigger than life mêlant portée philo et déluge d’absurde que l’acteur porno mégalo exorcise depuis près de 15 ans en réalisant ses propres films. Caméra subjective et bite dressée en mains, il s’y mon(s)tre auscultant le réel jusqu’à l’os, accouchant parfois de vrais morceaux de poésie. On voit tout ça dans les 10 courts-métrages que regroupe HPG, Mon vit, mes œuvres, double DVD sorti en mars aux éditions Les Films de l’Ange. Sur ce, Mireille Dumas dans l’âme, je suis allé confesser la bête.



"J’accepte ma part de monstruosité"

"Pour assurer il ne faut pas avoir peur de passer pour un con"






Bonjour Hervé. Je suis là pour faire une interview définitive de toi.

Définitive…

La totale. Comme si c’était la dernière.

Ok. Mais la réponse, il faut que je te la fasse courte, carrée ? Que je reprenne ta question ?

Non, on discute. Tu me réponds comme tu le sens.

Ok.

Je dis "définitif" parce que tu sors un DVD qui retrace en 10 courts-métrages une grande période de ta vie. Pour certains tous ces faits d’armes font aujourd’hui de toi une icône comme le dit Télérama cité en ces termes sur la pochette de l’objet. Que ce journal te reconnaisse le statut d’icône ça ne te fait pas bizarre ? Ça veut dire que tu es arrivé au bout d’un truc, non ?

Tu fais cette interview pour une rubrique qui s’appelle "définitive" ?

Non, il n’y a pas de rubrique précise, c’est une interview "classique", si je puis dire.

Ok. Alors, est-ce que je suis arrivé au bout de quelque chose ? En tout cas j’aimerais que ma vie change par rapport à ce qui en est montré dans ce DVD. Parce que là-dedans je prends pas mal de drogues et d’alcool comme le montre notamment les 52 minutes de Mon vit, mes œuvres qui est une compilation de certains états paroxystiques que j’ai pu avoir durant une année. Mais c’est une compilation. Des fois des mecs s’amènent chez moi avec une bouteille croyant que je vais boire comme dans mes films mais non, je ne bois que le week-end, comme les beaufs, et ce n’est pas par plaisir, c’est pour lutter contre ma timidité. J’aimerais arrêter d’être dépendant de ça pour communiquer avec les autres. Alors actuellement je travaille sur moi pour y mettre un terme. Donc oui, on peut parler de quelque chose de définitif dans le sens où je n’ai pas envie de m’améliorer ni de devenir moins con mais de faire des conneries d’une manière différente.

Ton but, ça reste de faire des conneries ?

Des conneries non, c’est juste que j’ai une part de monstruosité ou de sauvagerie que j’accepte, qui fait de moi ce que je suis et que j’ai envie de garder. Parce que sinon après je vais faire quoi : des films sur les bons sentiments avec des fins heureuses ? Je vais donner des conseils aux autres ? J’ai déjà tellement de mal à me conseiller moi-même. Les films plein de bons sentiments, je laisse ça aux autres.

En même temps, attention, les extrêmes se rejoignent…

Oui, mais je peux aussi être con sans me droguer.

Ça te fait quoi d’être perçu comme une icône ?

Ça c’est quelqu’un de Télérama qui le dit parce que peut-être qu’on a couché ensemble, je ne sais pas. Ou peut-être que si on avait couché ensemble il ou elle dirait justement tout le contraire. Ce n’est pas parce que quelqu’un dit ça que je suis une icône. Si tu me demandes de réagir par rapport à un compliment qu’on m’a fait je peux être intarissable parce que je m’aime déjà beaucoup et j’aime qu’on me flatte. Aujourd’hui je vais donc m’abstenir de tout commentaire par rapport à une flatterie. Je laisse à cette personne le soin de ses propos.

Concrètement, les courts-métrages rassemblés dans ce DVD couvrent combien d’années de ta vie ?
15, je crois. Parce que pour le premier court-métrage que j’ai fait, j’avais encore le tour du sexe poilu et des cheveux, donc ça fait un sacré bout de temps. Aujourd’hui j’ai 41 ans.

Ton premier court-métrage c’est Acteur X pour vous servir. Il paraît que tu dis que c’est le court-métrage qui t’a fait sortir du X.
Oui et non parce que je ne fais pas le distinguo entre film X et film traditionnel dans la mesure où une merde dans le X et une merde dans le traditionnel ont les mêmes défauts scénaristiques. Ce qui les différencie c’est juste que l’acte sexuel est explicite dans l’un et pas dans l’autre, même si maintenant les réalisateurs du traditionnel sont fascinés par cette sexualité frontale et essaient d’en mettre dans leurs films. Mais voilà, il y a autant de cons dans le cinéma porno que dans le cinéma traditionnel. Avant j’étais dur à l’encontre du milieu du X, mais maintenant que j’ai un pied dans les deux univers, je trouve ces gens plus touchant que ceux du traditionnel parce qu’ils ont au moins la décence de ne pas avoir pris de cours de théâtre pour mal jouer. Et puis en général, ils ont quand même beaucoup d’humanité. Les acteurs pornos c’est des gens assez spéciaux que j’aime bien. Pour moi ils sont une plus grande source d’inspiration scénaristique que les abrutis dopés au cours Florent.

Tu parles précisément de ça dans le court-métrage Hypergolique.

Oui mais je n’ai rien contre ceux qui prennent des cours de théâtre. En prendre ou ne pas en prendre, là n’est pas la question, le tout c’est de bien jouer. D’ailleurs à un moment il vaut mieux prendre des cours, parce que déjà ça aide pour apprendre à gérer sa mémoire, donc voilà je vais sans doute m’y mettre, mais ce n’est pas ça qui fait un bon comédien.

C’est le vécu ?
Non, ce n’est pas forcément le vécu, tu peux n’avoir rien vécu mais te jeter avec une grande insouciance et une grande sincérité devant une caméra et ça fera de toi quelqu’un de bon si le metteur en scène sait t’accueillir et mettre en valeur ton vécu ou ton innocence. Mais heureusement que ce n’est pas forcément une question de vécu… En général ceux qui jouent le mieux ce sont les enfants entre 2 et 12 ans. Leur qualité d’interprétation est excellente. Quand tu es comédien tu as donc intérêt à ne pas trop te flatter parce que voilà ce que tu fais un enfant peut le faire. Pour assurer il te faut donc soit retrouver son insouciance soit ne pas avoir peur de passer pour un con. Ça, c’est très important.

Avec tes courts-métrages, tu ne cherches donc pas à sortir du X ?

Non, même quand j’ai fait mon premier long-métrage On ne devrait pas exister ce n’était pas pour me sortir du X, parce que je ne réfléchis pas en terme de ghetto mais en terme de qualité et de sincérité. Alors maintenant comme j’ai fait ce film les gens s’évertuent à me dire que je devrais m’en sortir comme si c’était misérable ou indécent d’être dans le X, mais non.

Mais si tu t’es mis à faire tes propres films j’imagine que c’est pour apporter une qualité et une sincérité que tu ne trouvais pas dans les films porno où tu étais simplement acteur.

Non ce n’est pas ça. Je trouve mon compte dans plein de films X et traditionnels. C’est juste qu’à partir d’un certain âge tu as besoin que l’acte créatif vienne de toi et moi voilà, j’avais envie de personnaliser des envies.

Envies que tu avais depuis longtemps ?

Euh… j’aimerais bien te la jouer acteur maudit en te disant que ça fait longtemps que j’ai envie de passer certains messages mais non, parce que je suis d’assez instinctif, je le suis d’ailleurs de moins en moins donc il faut que je fasse attention, mais voilà je n’ai jamais eu de plans prémédités. Là, je suis en train de faire un deuxième long-métrage donc c’est prémédité parce que ça dure des années et qu’il y a du budget, mais sinon non ce n’est pas forcément des envies qui me tiennent à cœur depuis longtemps. Mais attention, là je te la joue humble parce que quelqu’un me regarde. Une jeune femme que j’aime beaucoup. Et je te dis ça parce que pour moi qu’elle soit là a une incidence sur moi. D’ailleurs, si je faisais un film, je me servirais de l’incidence qu’a cette jeune femme sur mon discours. Peut-être qu’à un moment, je vais peut-être dire un truc qui va la faire gueuler et je vais être obligé de lui demander de se taire parce que c’est mon interview, pas la sienne. Voilà le genre de situations sur lesquelles j’aime travailler. J’aimerais qu’elle ne soit pas là, mais le fait qu’elle soit là va sans doute m’apporter plus que si elle n’était pas là et il faut que j’essaie de trouver pourquoi. Et à partir du moment où je trouve pourquoi, si je fais preuve de créativité et si j’ai su l’insérer dans notre discussion alors la discussion sera mieux que si elle ne s’était déroulée qu’entre toi et moi.

Ce qui t’intéresse le plus c’est ce qui se passe dans les coulisses…

Oui, parce que par exemple les coulisses de cette interview sont intéressantes : je réponds à tes questions en me servant de ton corps pour ne pas voir Gwen (sa nouvelle compagne, Nda). Si elle n’avait pas été là j’aurais pu me vanter de mes prouesses sexuelles lors de certaines questions que tu m’as posées, si tu avais été une belle nana je me serais même arrangé pour qu’elle ne soit pas là, mais comme elle est là je vais devoir essayer d’être un peu plus intelligent. Mais ça va être dur. Biaiser avec elle, c’est dur. Mais voilà comment je fonctionne et c’est ça que tu dois dire de moi parce que ce que je viens de te dire répond sans doute à pas mal de questions que les gens se posent ou ne se posent pas à mon sujet. Mais je ne sais pas si tu as compris ce que je viens de dire. Moi c’est l’incidence extérieure qui m’intéresse, tout ce qui fait que rien ne se passe jamais comme prévu. C’est pour ça que j’aime le cinéma, parce que tu as toujours des problèmes qui t’obligent à modifier ta scène. Tu es toujours rattrapé par la réalité.

(Suite.)

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3 septembre 2007 1 03 /09 /septembre /2007 00:11
Trop bon, trop con

"Moi, je suis un peu comme un épicier. Si quelqu’un entre dans mon magasin, je suis content. Le tout, c’est échapper à la routine", déclarait Costes aux Inrocks en 95. Le 20 décembre dernier on y était dans son "magasin" à Saint Denis et on s’y est senti si bien à l’écouter parler et lui à nous écouter relancer sa pensée que voilà, on en remet une couche. Il est ici question de philo, d’écriture, de religion, de politique et, plus que jamais, de connerie.



"Je suis à mort contre l’art engagé"

"Je suis du côté du n’importe quoi"



Faisons le point : depuis 1997, on t’a collé quatre procès aux fesses. Où en es-tu de tout ça ?
Les mecs sont super tenaces, ils savent très bien que je ne suis pas raciste. Et ils savent que je sais ça. La Licra, tu crois que c’est quoi ? C’est des spécialistes, ils ont des dossiers sur les nazis, ils savent où sont les milieux extrémistes en France. Ils font beaucoup de procès. La plupart des procès d’opinion en France, c’est eux qui les font.

Et ils savent que tu n’es pas raciste ?!
Bien sûr. Bon, peut-être que pendant cinq minutes un des mecs a cru ça, c’est possible, après tout il ne me connaît pas. Mais bien sûr qu’ils le savent, ils l’ont dit, ça a même été enregistré dans une émission de télé locale…

Quel est donc leur intérêt de t’attaquer en justice ?
Ah, ça, il faudra leur demander ! En fait, il y a un intérêt qui fait partie d’une stratégie globale qui consiste à s’attaquer aux faibles pour faire jurisprudence. Parce que sous prétexte que je dis pipi caca, ils pensaient que je ne savais pas aligner deux mots et que j’étais complètement débile. Donc ils se sont dits que j’étais une bonne cible et ils se sont mis à me matraquer pour faire jurisprudence. D’appels en appels, l’affaire est partie en couille, ça a duré dix ans, j’ai perdu quelque chose comme 150 000 francs et au bout du compte mon avocat n’avait même plus envie de me défendre. Et le problème quand tu es désigné comme un méchant, c’est que des mecs qui veulent jouer les justiciers se mettent à te suivre dans la rue pour te casser la gueule. Je me suis retrouvé dans une histoire de fous à cause d’une affaire d’extrémisme dont je n’ai rien à foutre ! Je ne sais pas qui a raison et je ne veux pas le savoir ! Ça ne me concerne pas leurs problèmes. Moi je fais mon truc et ça m’occupe déjà bien.

Ton image évolue-t-elle en bien et ces gens-là commencent-ils à te laisser tranquille ?
Mon image, je ne sais pas mais eux s’intéressent maintenant à des artistes plus engagés politiquement comme Alain Soral et Dieudonné. Parce que eux c’est des artistes. Quoique pour Dieudonné, je ne sais pas. Mais dans ses sketchs il tient des discours engagés et en interview il n’hésite pas à dire que son œuvre est une manière d’exprimer sa vision du monde. Moi, ce n’est pas mon cas ! Je ne suis pas un artiste engagé, je suis à mort contre l’art engagé, même si je peux comprendre que des gens aient un engagement et qu’ils veuillent l’affirmer quand bien même ce serait scandaleux. Chacun peut croire et penser ce qu’il veut, pour moi ça ne pose pas de problème. Mais avoir un discours politique, une vision du monde ou une esthétique préalable à une œuvre, là je suis contre. Ça revient à se brider. Moi, c’est en faisant le truc moi-même que j’apprends quelque chose sur moi-même, au niveau esthétique et au niveau du sens. C’est en disant des conneries. Forcément. Pour ne pas dire de conneries il faut dire des trucs déjà établis comme bien. Dès que tu rentres dans des territoires inconnus, c’est une jungle ténébreuse, c’est louche et c’est caca, en gros. Tout est caca. C’est le chaos ! C’est du mauvais côté, c’est le démon ! Tout ce qui n’est pas carré et déclaré est considéré comme démoniaque. Moi-même quand je fais mes trucs, je pense que c’est de la merde. Je ne suis pas plus éclairé que quiconque. Je suis tout aussi conservateur que n’importe qui, mais j’arrive un peu à me laisser aller.

Ça veut dire que tu te choques toi-même ?
Non, ça veut dire que je me trouve surtout très con. On ne peut pas se choquer. Demain en sortant dehors je peux me faire éclater la tête sur le béton par un taré. Le choc, c’est ma voisine que j’ai vue se faire écraser la tête par un mec qui l’a ensuite violé. Il lui a dit : "Crie, crie, personne ne t’aidera, moi je te tabasse, je te tabasse." Enfin, ça ce n’est rien ! C’est une petite anecdote par rapport à tout ce qui se passe sur terre. Alors après si c’est pour dire que c’est l’art qui choque… L’art ça ne choque que deux ou trois malades mentaux. Ma fille a deux ans et demi et rien ne la choque dans ce que je fais.

Parce que les enfants sont super ouverts et réceptifs à la bêtise.
Oui, et puis les enfants comme les chats savent très bien quand ça craint, quand ils n’ont pas à manger ou qu’on veut les tuer. Dans ce cas-là, ça ne passe pas par des mots, au pire ça passe par du bruit parce que le contenu ça n’en a rien à cirer. Donc rien ne choque en art et moi je ne cherche pas à choquer par l’art.

Au fait, comment définis-tu la connerie ?
Bah c'est quand tu te sens con ! Pour moi la connerie c'est une sensation. J'ai un juge en moi, c’est le juge qui bloque tout le monde. Genre un mec est en train d'écrire son bouquin et globalement il se dit : "Je vais avoir l'air con, si je marque cette phrase." Moi je le sens ça, CARREMENT, à chaque fois ! J’ai beau maîtriser le français, qui est ma culture, j'ai l'air con. Et avoir l’air con, c'est pire que d'avoir l'air violent, sadique, assassin ou nazi. Avoir l'air con, ça ne pardonne pas. Se sentir bête, c'est dur, mais moi je le pose quand même sur la page.

Je pense que pas mal d’artistes et d’écrivains éprouvent ce problème de la bêtise.
Oui, sûrement, mais eux ils biffent ou ils bifurquent à ce moment-là. Mais moi j'ai remarqué que lorsque je m’arrêtais sur une phrase conne que je venais d’écrire je créais une rupture dans le raisonnement de mon cerveau. Or il ne faut pas parce que mon cerveau ne raisonne pas mais fait des associations des idées donc si je continue sur ma lancée je libère d’autres idées. Il ne faut pas rompre l'association qui t'est venue, il faut laisser aller le flux des idées.

Pour toi les conneries que tu peux écrire sont des étapes, des tremplins vers autre chose ?
Voilà, c'est ça ! Il ne faut pas sans cesse casser le lien en faisant intervenir des trucs intelligents. L'ordinateur m'a bien aidé à ce niveau-là. L’ordinateur c’est un élément qui aide la connerie. Parce que tu peux garder tous ces passages cons qui te permettent de déboucher sur autre chose. Quelque chose qui peut même être considéré comme génial d’un point de vue académique ! Mais ce niveau de génie-là, tu ne l'atteins qu'en passant par la connerie !

Par le mélange des passages cons et intelligents ?
Oui, c'est ça. Si tu es en train de dériver vers les idées les plus connes ou les types de situations les plus débiles de la terre d'un coup tu peux aboutir à un truc qui est philosophiquement super dingue et alors là c'est la super force, tu décroches la timbale ! Parce que ça crée un contraste qui fait que tu domines tout. Ta page suivante elle domine tout. Parce qu'elle a accepté de passer dans le mauvais tu arrives enfin sur un putain de plateau au soleil que tu n'aurais pas atteins si tu n'avais pas grimpé parmi les cailloux. Si tu avais voulu que tout soit clean de A à Z, tu aurais pris le risque de ne jamais aboutir à ce genre de choses, ce qui est dommage. Après, ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas enlever des choses, il se peut que dans le tas tu ais gardé des trucs que tu trouves chiants quand tu les relis. Ça, il faut le retirer. Pour moi c'est simple finalement : celui qui te lit doit prendre du plaisir au point de pouvoir se faire son propre film dans sa tête. Moi quand je lis un livre mon problème ce n'est pas que les idées soient cons, je n'en ai rien à foutre, mon premier problème c'est de trouver des idées que j'aime et que j’ai jamais entendues. C'est rare que ça arrive, mais ça, ça me fait plaisir, aussi insensées et immorales qu’elles soient. S’il y a ça, déjà je dis : "Merci".

Tu lis beaucoup de livres ?
Non, mais tu peux trouver des idées dans n'importe quoi. Parfois sur un coup d’humour les gens te sortent un truc super paradoxal et ça te fait marrer, c'est une détente, un plaisir, mais ton intellect y trouve aussi quelque chose à manger. Voilà, ça se joue souvent dans une combinaison un tout petit peu décalée et dans ce décalage tu captes un champ qu'on ne peut pas dire avec des mots. Entre deux conneries tu chopes un truc intelligent qui ne pouvait pas s'exprimer autrement. En faisant percuter deux trucs débiles ou un truc intelligent avec un truc débile ou le truc le plus sacré avec le plus gros pet et toc ça naître une étincelle à l’interstice de ces deux conneries. Dans la brèche formée par ces deux choses antagonistes, ton cerveau voit quelque chose qui n’est pas dans la phrase. Le choc du mot con et du mot intelligent a fait un trou dans la feuille et quelque chose s'est passé dans ta tête. Alors que si tout est intelligent et rationnel de A à Z, à la limite il ne reste que le texte.

Et là, il n'y a plus de flash.
Non, plus de flash. Mais ça c’est une autre méthode. Evidemment, en philosophie, il y a des mecs hyper forts en raisonnement, mais là c'est justifié, ce n'est pas le même domaine.

A ce propos, j'ai appris que Kant s'était lancé dans la philo parce qu'il s’était rendu compte qu’il n'avait aucun talent littéraire. Pas de style. Comme il ne voulait pas se coltiner cette connerie du style, il s'est donc mis à la philo qui accepte l’absence de style.
Il y a deux méthodes d'appréhension du monde : soit tu fonctionnes dans l’instantané par association d’idées, ce que font les religions, les gens en transe, l'art ; soit tu fonctionnes à petits pas par la réflexion pour voir comment les maillons sont enchaînés, ça c'est la philosophie, la science et c'est une autre manière d'appréhender le réel. Les deux méthodes sont utiles.

Le philosophe part du principe qu'il y a un sens au réel et que donc il y a un savoir à dénicher pour comprendre le réel. Or l'artiste peut se passer de ce postulat, parce que le réel justement il le réinvente à sa guise. Il se crée son réel. On n'est donc pas dans le même monde. D'un côté il y a un réel donné et sensé et de l'autre un réel insaisissable et en perpétuelle construction.
Oui, tu es face à une matière mouvante que tu n’arriveras jamais à appréhender totalement et dans ce cas il faut juste comprendre que c'est un chaos. Mais en même temps, ces deux visions peuvent se recouper. Les scientifiques et les philosophes les plus méthodiques qui soit ont aussi des bonds. J'en suis certain. Il y a des moments où ils sont rationnels mais il y en a d’autres où ils sautent carrément. Leurs raisonnements alternent entre des moments de raison et des sauts instinctifs à la lisière de l’art. Après ils doivent travailler là-dessus par zone.

Toi, tu cumules ces deux approches du réel ?
Moi je suis plutôt du côté du n'importe quoi, de la création d’un conflit miraculeux. Certaines musiques me viennent vraiment dans l’immédiat. Improviser des paroles dessus implique donc un truc tellement immédiat que tu parles plus vite que tu ne réfléchis. Sur le coup tu n'as donc pas le temps de savoir ce que tu as dit. Tu réalises après que tu as commencé par un thème et fini sur un autre. Mais ça, ça arrive aussi en science. Un mec peut chercher à mettre au point un médoc pour faire bander et se rendre compte qu’il a crée de la dynamite (rires) ! C’est bien qu’il a fait un saut de ouf ! Donc tu vois, ce genre de choses no
us arrive à tout instant. Mais l'art n'exploite plus cet aspect-là. Tout art qui introduit trop de rationalité et trop de discours préalable sur lui-même, pour moi non seulement c'est nul mais en plus c'est dangereux parce qu’on se retrouve avec un truc complètement totalitaire qui ferme la seule case qu’on a peut-être encore le droit d'ouvrir dans nos têtes.

Considères-tu ton art et ta bêtise comme une sorte de soupape ?
Oui, une soupape, une manière d'explorer la réalité, d'avancer politiquement, socialement, dans tous les domaines. C'est une méthode instinctive. Je tâtonne. C'est comme si j’étais dans une situation de danger et qu’il fallait que je trouve une solution. D'un coup c’est comme si tu vois des taillis du haut de ton mur et tu sautes dans les taillis, et tu sautes dans l'eau sans savoir si tu sais nager ! Mais tu tentes et ça marche ! Ça marche. Tu as gagné. C'est une méthode où tu y vas, quoi. C'est un peu comme si tu allais crever. Moi je fais tout comme si j'allais mourir tout de suite. Je crois tout le temps que je vais crever. Donc je suis dans une urgence pas possible !

 

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29 août 2007 3 29 /08 /août /2007 12:01
Trop bon, trop con

Costes : un nom coup de poing qui a fini par émasculer le prénom de celui qui le porte (Jean-Louis) pour devenir une marque de fabrique. Celle d’un acteur culte de l’underground pour ses "opéras porno-sociaux", des comédies musicales trash qui feraient presque oublier que Costes est avant tout un fan de rock. Mais ce n’est pas vraiment de ça dont il s’agit ici. Interview.



"Je suis devenu une machine"


"Un académisme du chaos"




Tu cherches et pratiques de nouvelles approches "artistiques" ?

Oui, c’est ça qui est excitant. Et une nouvelle approche, c’est forcément non académique et donc bête parce non réglementé. Donc tout est perçu comme chaos à partir de ce moment-là. C’est comme le mec qui me voit en spectacle : il croit que je fais n’importe quoi. Alors que c’est hyper répété (rires) ! Mais le mec voit du n’importe quoi parce qu’il ne perçoit pas la forme. Mais un mec qui connaît ce que je fais va capter que c’est devenu un académisme. Un académisme du chaos et de la bêtise. Moi, j’ai une méthode pour me lancer dans ce chaos et une fois que j’ai ouvert ce truc-là, je peux faire cinquante CD dans la journée.

C’est quoi ta méthode ?
En fait, je crois que tout ce qu’on qualifie de con correspond à la production du cerveau instinctif, auquel s’oppose le cerveau logique. Et en art, si tu emploies le cerveau logique c’est de la merde (au sens figuré, c’est-à-dire que c’est aseptisé, sans aucune valeur, Nda). Tout l’art conceptuel c’est de la merde. Non seulement, cet art est à éliminer mais ces artistes aussi. Il faut leur supprimer leurs subventions et les faire crever la dalle ! Je déteste tous ces gens. Moi, je suis comme le vaudou, j’ai une méthode de laisser aller qui me permet d’éviter la merde du cerveau logique, une méthode qui me permet de mettre en marche mon délire. A un moment donné mon cerveau reptilien part et lui c’est une machine super
cohérente qui te sort des fulgurances qui s’apparentent à des bêtises. En fait, c’est comme les mecs qui parlent en langues, les évangélistes quand ils baragouinent : "Oublablablabla !" et qu’il y a un autre type à côté de lui qui traduit le délire. Parce qu’en fait, le mec fait des associations d’idées totalement dingues qui peuvent témoigner d’un problème personnel ou d’une tension dans la communauté. Il sent la situation, mais ce qu’il sent va plus vite que son cerveau, d’où les : "Oublablablabla !". Cela signifie qu’il est en connexion instinctive avec le réel qui est super complexe et chaotique. Ce cerveau reptilien c’est le meilleur qu’on ait. C’est notre cerveau de base.

Comment as-tu fais connaissance avec ton cerveau reptilien et comment le sollicites-tu ?
J’ai tout simplement entendu une connerie là-dessus à la radio. Ça parlait de stress et du cerveau. D’ailleurs c’est con de dire d’arrêter de stresser à quelqu’un, parce que la machine qui te fait stresser coupe ton cerveau rationnel ! Donc tu ne peux pas faire autrement que stresser. C’est l’instinct. Ça veut dire qu’il y a danger, que ton corps réagit à une situation inattendue ! Alors ton cerveau instinctif coupe la raison et fout plein de sang dans tes intestins, tes muscles et moins dans ta tête parce que tu n’as pas de temps à perdre à réfléchir, il te faut de l’agressivité. Il faut que tu sois prêt à courir, taper, etc. Et pour moi, l’art ça doit être pareil : servir à tout sauf à réfléchir. J’ai donc mis au point une méthode pour entrer en connexion avec mon cerveau instinctif. Chez moi, je clean la pièce, je prépare les micros, je mets assez de cassette vidéos dans la pièce, et je m’enregistre en train de laisser parler mon cerveau reptilien. Je ne bois jamais avant de faire ça, parce qu’il faut que je sois assez rationnel pour pouvoir appuyer sur le magnéto. Parfois je le fais en descendant une bouteille de Gin : un truc de malade, je pars, je crois que je vais crever. Je ne bois pas à l’état normal donc au quart de la bouteille je suis déjà parti. Une fois on m’a retrouvé endormi comme ça. Donc je n’utilise pas systématiquement l’alcool, mais quand c’est le cas je vide un tiers de la bouteille dans l’évier. Après, quand je suis revenu de mon délire, je deviens spectateur de moi-même et je juge à froid ce que j’ai fait, je garde les parties que je trouve toujours bien et je jette la plupart des choses qui ne me parlent plus une fois hors de l’émotion de mon délire.

A l’époque où tu as inauguré cette méthode vaudou des artistes t’inspiraient-ils un tel passage à l’acte ?
Non, parce que j'ai fait ça par hasard. La première fois, c’était en 1984, à l’occasion d’une chanson pop bruitiste sur laquelle j’avais décidé de ne pas mettre des paroles dures comme tout le monde faisait. Parce qu’à l’époque, tu avais soit du rock bruitiste couvert de cris et autres hurlements, soit de la pop à la McCartney avec de gentilles paroles et gentils accords. Les mecs n’arrivaient pas à écrire des paroles sur le bruit. Moi non plus d'ailleurs… Tu connais le disque Pierre et le Loup, pour les enfants ?

Pas vraiment.
Eh bien dans ce disque chaque instrument évoque un animal et ça fait que chaque son t’évoque une image. Moi je fonctionne complètement comme ça. De manière très conne. D'ailleurs ma fille, qui a deux ans, est pareille : tu lui mets un morceau en accords mineurs, elle te dit direct : "C'est triste." Elle interprète tout, bien pas bien, directement ! Moi je suis à resté à fond dans cette interprétation en bande dessinée du son. Et voilà, en 1984, j'avais fait un morceau avec des collages de sons et, je ne sais pas ce qui m'a pris, j'ai parlé dessus. Et ce n'était pas du tout un texte trash, c'était l'histoire d'un mec qui lisait des bouquins dans une bibliothèque, un truc très con, et à chaque rupture de son l'histoire changeait, car je l'avais improvisée par-dessus. J'ai trouvé ce morceau dingue, mais je n’arrivais pas à le refaire. J'ai d’ailleurs cru que je ne le referai jamais de ma vie. A cette époque, je continue donc à faire de la musique expérimentale, des trucs de rock, mais sans y penser. Et hop en 1986, un soir de fatigue où j’étais peut-être plus réceptif, le truc m’est revenu et j'ai donc fait 5-6 morceaux dans la foulée donc j'ai sorti un album. Ce n’est qu’après que je suis devenu une machine. Maintenant, tu me mets n'importe quel bruit et ça y est je te ponds un truc. C’est de la folie bureaucratique ! Je te fais ça au kilomètre tous les jours, à tel point que ça peut être tout aussi nul et académique que le reste. Enfin, pour moi ! Mais bon, on ne peut pas inventer deux trucs dans sa vie. Un c'est déjà pas mal. C'est pour ça que ça m’a attiré lorsque tu m'as parlé du thème de la connerie au téléphone l’autre jour. Je t'ai dit : "Ça tombe trop bien car j'ai justement remarqué que plus je jouais dans la zone de la connerie plus c'était intelligent, tout simplement." Dès qu'il y a marqué "interdit" il faut y aller. En art évidemment. Pas dans la rue. Parce que si tu fais ça dans la rue tu vas te prendre un camion dans la gueule.

Considères-tu que ton art soit moralisateur ?
Non, parce que je sais que je suis super fort. Enfin, je m'excuse de le dire mais en même temps je m'en fous. Je le sais, mais je ne le dis pas, genre je ricane. Mais moi je sais que ce que je fais est tellement puissant qu’il n’y a personne au-dessus de moi en ce moment. C'est tout ce que je pense. Qu'on me trouve le mec au-dessus ! Que ce soit texte ou autres. Personne ne me battra en chanson. Je ne parle pas arrangement et mélodie mais brutalité tripale. Vas-y, sors le moi ce mec qui fait mieux que moi ! Déjà j'en vois plein qui m’imitent et qui n’y arrivent pas. Par rapport à certains trucs que j'ai faits, ce n'est même pas la peine, il n’y a personne de l'époque, en France, qui s'aligne. Ailleurs, c’est possible, je ne sais pas.

Qui sont les gens qui t'imitent ?
Aujourd’hui il y a tout un pan de musique noise avec des paroles alors évidemment, pour eux, Costes et ses vieilles cassettes, c’est devenu une référence. Même aux Etats-Unis. Surtout là-bas parce que pour eux c’est presque normal de mélanger chaos et sens. Ce que je fais ce n’est pas juste des bruits à la con, genre l’Ircam. On peut faire du bruit et exprimer des sentiments joyeux, tristes, toute la palette des sentiments dans le chaos musical. Et des fois ça peut devenir harmonieux parce que c’est aussi une des composantes de l’art et je ne la rejette pas. Au milieu de ton bruit, tu as le droit de faire une chanson pop. Sauf qu’il y a des connards qui n’osent pas ! Parce que la chanson pop pour eux c’est de la connerie. Et puis d’un autre côté, tu as les mecs qui critiquent ton bruit et si tu leurs fait une chanson simple et pop, ils se permettent encore de te cracher dessus sous prétexte que maintenant tu es excessivement ringard. Alors va comprendre !

Ils trouvent louche que d’un coup tu te jettes dans la gueule du bon goût ?
Oui, c’est comme si j’étais maintenant dans un excès de sûreté. En fait, pour ces mecs il faut être dans un milieu tendance, ça autorise 0,0001% de caca dans les œuvres. Alors par exemple ça va donner une pièce de théâtre qui va te faire dire : "Oh ! On s’emmerde" et dans le même temps "Ohohohohoho !", genre un truc t’a un peu choqué, mais limite tu en rigoles. C’est une question de dose, ce qu’ils appellent la charge subversive, toutes ces connerie ! S’il y en a qui sont cons c’est les mecs qui se croient intelligents. Pour ceux-là c’est chaud.

En ayant recours au cerveau reptilien, toi tu pioches dans ce que tout le monde renie ?
Oui, parce que personne n’emploie ce moteur-là. Comme tout le monde a peur de passer pour un con, tout le monde emploie un moteur rationnel avec quatre diplômes derrière comme on nous le conseille vivement. Moi quand le mec de chez Fayard (l’éditeur qui a sorti en 2006 son deuxième livre intitulé Grand-père, Nda) a pris un de mes CD, il a dit : "Ah ! Mais vous n’êtes pas signé sur un label." Voilà, en France il te faut une preuve comme quoi tu es raccordé à une institution, c’est comme un diplôme ça veut dire que ton délire est intelligent, que tu es en règle, que tu peux circuler. Par contre, si tu te lances tout seul dans ton chaos chez toi en braillant au fond d’une cave dans une banlieue sordide, ça coince. Là tu vas avoir l’air con et on te dira que tu fais de la merde. Alors autant emballer des paquets de merde et leur lancer dessus.

Donc ta motivation c’est de donner une image de l’homme dans sa…
Non, ma motivation de base pour la musique c’est je suis frustré et que j’ai envie de faire chier les gens pour me venger et me faire remarquer des filles ! Moi je n’ai pas envie d’améliorer quoique ce soit. Mais il se trouve qu’avant, comme j’étais frustré et que j’avais beaucoup de temps à perdre à faire mes trucs de haine et de branleur, je suis tombé sur une mine à force de travailler : une mine de caca qui n’avait jamais été exploitée avant (fou rire) ! Une mine de connerie sans fond. Sans fin. Et super bonne à exploiter.

Les gens comprennent ce que tu fais ?
Je crois que n’importe qui pourrait comprendre !

Beaucoup ne voient que ton côté trash, non ?
Oui, mais plein de gens ne s’arrêtent pas à ça. Certains ne prennent que le côté subversif à deux balles, mais maintenant il y a aussi des gens plus jeunes qui trouvent carrément romantique ce que je fais. Des nanas de 18 ans trouvent que je fais juste de la beauté alors que lorsque j’ai commencé plein de filles pensaient que c’était un truc de mec bourré au service militaire qui monte sur la table pour montrer sa bite. Mais à cette époque, il y avait déjà des Japonaises qui trouvaient ça romantique. Moi-même ça m’avait étonné. Parce que moi-même je ne savais pas que j’étais romantique, moi-même je me jugeais mal.

Tu t’es plus vite fait connaître et apprécier au Japon qu’en France ?
Non, c’est juste qu’à l’époque j’ai trouvé plus vite des dates à New York et à Tokyo qu’en France. En France, je ne pouvais pas jouer à moins de louer moi-même la salle. Aux Etats-Unis, c’est différent, ils n’attendent pas que d’autres se mouillent, ils font les choses et c’est pour ça qu’ils créent la mode mondiale. En France, on attend de voir si on a le droit d’aimer, parce qu’on est colonisé. On regarde : "Ah ! Ce petit bruitisme-là a l’air branché en Angleterre et aux Etats-Unis !" et hop tout le monde va aimer la même musique. Mais ce même petit bruitisme, quinze jours avant on n’avait pas le droit de l’écouter. Je ne sais pas si les Etats-Unis vont rester encore longtemps le leader culturel mondial, mais pour l’instant ils tiennent ce rôle car c’est un pays où ils cherchent dans la merde des gens pour faire quelque chose. Là-bas, des gens sont au sommet de la société et regardent les trucs underground les plus nuls et disent : "Toi, mets du pognon et lance tel truc dans le monde entier." C’est comme ça que ça se passe. Hé ! Il n’y a pas de secret, il faut bien les faire sortir de quelque part les Michael Jackson et consorts. Et c’est des poubelles qu’ils sortent, de la pauvreté forcément, sinon on ne les prendrait pas. Aux Etats-Unis si tu n’es pas connu et que ton style est inclassable, tu peux donc toujours faire une tournée. Au début j’ai fait une date, puis deux et ainsi de suite. Et une fois que je suis revenu des Etats-Unis, ça y est j’avais des dates en France. Parce que j’avais l’AURA USA. Il faut jouer à fond là-dessus. Ça permet d’alimenter le mythe. Enfin, le côté aventurier. Et ça le fait, quoi.

Comment te sens-tu en France avec l’originalité de ton art... et ton aura USA… ?
Moi je suis le mec le plus riche et le plus moderne en ce moment. Parce que je suis le mec qui arrive à se passer d’un maximum de choses sans tomber dans la misère. Je domine la situation avec un minimum de matière. Au lieu de nous parler d’économie d’énergie, on ferait mieux de nous parler de baisse de consommation pour qu’on s’éclate plus avec l’imaginaire. Aujourd’hui on découvre encore des gens qui font plein de choses super dans les milieux musicaux indépendants. Avec de très petits moyens ils inventent une forme de société vraiment cool. Et c’est peut-être un modèle à suivre, qui sait ? Si j’avais eu beaucoup de moyens à ma disposition, je n’aurais pas compris et fais ce que je fais aujourd’hui. Les cons ce sont ceux qui croient qu’on va avoir des nouvelles solutions si on a plus de giga, plus de ci, plus de ça !

On va vers une grosse paralysie ?
Oui et on ne va pas s’arrêter. On va crever de cette confiance dans une fausse intelligence.


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27 août 2007 1 27 /08 /août /2007 20:58
Trop bon, trop con


Costes : un nom coup de poing qui a fini par émasculer le prénom de celui qui le porte (Jean-Louis) pour devenir une marque de fabrique. Celle d’un acteur culte de l’underground pour ses "opéras porno-sociaux", des comédies musicales trash qui feraient presque oublier que Costes est avant tout un fan de rock. Mais ce n’est pas vraiment de ça dont il s’agit ici. Interview.


Oui, à ce stade-là, on ne peut plus dire punk, mais trash. Ses chansons sont trash. Il y a peu, les profanes comme moi qui ne l’ont toujours pas vu sur scène pouvaient encore s’en rendre compte en allant surfer sur son site qui archivait en streaming la quasi-totalité des chansons qu’il a "composé", mais allez savoir pourquoi, ces derniers temps son site est devenu introuvable. Reste Myspace. (Correction : je viens de retrouver son site officiel ici.) Depuis quelques mois le fan responsable d’un site non-officiel sur l’artiste a crée un Myspace Costes. On y trouve 4 morceaux. (Mention spéciale à "Bâtard du showbiz", extrait de Miam miam la music dont la pochette détournement judicieusement la séminale banane du premier Velvet.) Et c’est déjà suffisant pour basculer dans la quatrième dimension. Se prendre une vraie leçon de fulgurance. Et se rendre compte combien Costes est énorme. Enorme et sidérant comme une grosse connerie. Comme la vie ?

Des chansons, Costes en pond depuis le milieu des années 80. Aussi alors qu’on le rencontre, c’est de cela qu’on essaie de parler. De musique. Mais pas que. Parce que Costes est une jungle où tout s’entremêle (pour rester poli) et qu’on aime partir en vrille en s’approchant du cœur des choses, il n’est pas rare qu’on parle du reste. C’est-à-dire de performance, d’écriture, de bêtise, de merde, de Dieu... La rencontre s’est faite du jour au lendemain. Sur un simple coup de fil. Costes l’artiste a beau être "hardcore", Costes l’homme est lui super accessible. On se dit d’ailleurs qu’il en est souvent ainsi des artistes dits cultes. Au fond ils sont simples. Humains. Trop humain. Il nous a d’autant plus proposé de faire ça vite que dès le lendemain il s’envolait pour le Canada afin d’inaugurer le lancement de son nouveau spectacle intitulé "Les petits oiseaux chient". A cette date, signe que son œuvre a un impact aussi bien présent, passé que futur, les éditions Hermaphrodites rééditaient son mythique livre paru en 2003, Viva la Merda.

20 décembre 2006. 19h15. Ça y est, on est dans le 9-3. A Saint Denis. Après avoir tourné en rond à proximité du square, du canal et du Leader Price indiqués comme points de repères, on trouve enfin sa maison. Il habite vraiment au bord de l’eau. Ambiance. Bucolique malgré la zone latente. Banlieue nord oblige. Bonnet sur le crâne il vient nous ouvrir son portail rouillé et nous invite dans son antre. C’est dans ce 30m2 qu’un mur sépare du domicile "familial" (sa femme et sa fille vivent derrière le mur) qu’il crée et cohabite en toute liberté avec ses démons. Enfin, ses démons c’est plutôt au sous-sol qu’il les libère, dans la cave par laquelle on accède via une petite trappe et un escalier de bois. C’est dans ces sombres soubassements à peine aménagés qu’il joue et s’enregistre à l’aide d’un synthé Casio et d’un magnétophone 4 pistes. C’est ici qu’il lâche, grâce à sa "chaos technique", ce qu’il appelle son "cerveau reptilien", sa part d’irrationnel. La plupart du temps il est cette personne "normale" qui nous reçoit au rez-de-chaussée, domicile de son "cerveau logique".

Il y a peu de choses ici – un mélange d’ascétisme et de taudis – mais assez pour s’asseoir sur un bout de canapé, poser un dictaphone et se faire offrir un verre. Il pousse son Mac de la table basse, nous toucher deux-trois mots à propos de sa nouvelle acquisition ("Je l’ai acheté 400 euros en occase, ça va ?") et nous sert un thé bien chaud. Il nous explique aussi qu’il a racheté cette maison pas chère à un proprio qui possédait toutes les baraques longeant le canal. Accueillant et captivé d’avance par la discussion qui s’annonce Costes ne prend rien. Il a des choses à dire. C’est pour ça qu’il a accepté aussi prestement notre envie de l’interviewer à propos de ce qu’on a appelé sans fard sa connerie. Parce qu’il trouve lui-même qu’il fait ni plus ni moins des conneries. On est là pour en parler – et Dieu qu’il parle ! Sa voix s’emballe et suit des heurts. On a parfois l’impression d’entendre Albert Dupontel. Un autre punk. C’est d’ailleurs l’occasion de parler musique, la passion première de celui qui "voulait jouer du Deep Purple à la base."




"Je suis pas un génie, je suis un mec très con"

"les trucs les plus cons sont les meilleurs"





Comment parvient-on, comme toi, à accepter de faire des choses qu’on juge connes ?

Mon problème c’est que je trouve mauvais tout ce que je fais. Surtout je me trouve nul et con de base. Je me regarde dans un miroir, c’est mauvais, j’enregistre ma voix sur magnétophone, c’est moche, et je me suis aperçu que j’avais tendance à effacer tout ce que je faisais. Ce que font beaucoup d’artistes. Je me suis donc dit : "Il faut bien que tu avances quand même, alors laisse-toi aller, garde un peu tes conneries, tu les trieras plus tard. Car trois ans plus tard, ce ne sera plus vraiment toi dont la chanson parlera, donc tu réagiras un peu comme n’importe qui d’extérieur et elle pourra même te toucher." Et c’est comme ça que je me suis aperçu que les trucs les plus cons étaient les meilleurs.

Mais en général c’est l’inverse qui se produit : sur le coup on croit qu’on fait quelque de chose de génial et quand le regarde quelques années plus tard on trouve que c’était de la merde parce qu’on a grandi et qu’avec le temps on a réussi à affiner son style…
Bah voilà, moi je ne fais pas ça, je ne travaille pas mon style. La seule manière que j’ai vu pour avancer et conjurer le sort qui est le mien c’est de foncer dans le tas ! Je me laisse aller à faire quelque chose qui me parait mauvais. Mais je le fais à fond, j’avance avec une certaine peur et un certain dégoût du truc. Mais maintenant, avec l’expérience que j’ai, je suis de plus en plus sûr de faire un truc bien. Je ne peux pas te dire qu’elle sera la prochaine mauvaise direction où je vais aller – parce qu’il y a des milliards de cases dans le cerveau, donc des milliards de manière d’aborder le réel – mais je sais que cette direction sera la bonne. Plus c’est con, plus c’est intéressant : c’est là qu’il faut aller. Par exemple quand je fais une chanson sur les oxyures qui s’appelle "Miam, miam les oxyures", pour moi c’est la chanson la plus con que j’ai jamais fait, il n’y a sûrement pas de quoi en faire un disque complet sur un sujet aussi con que les vers intestinaux, mais si tu rentres là-dedans, dans le système intestinal, tu découvres un sujet passionnant que personne n’a jamais abordé. Pareil pour la merde. Je ne fais pas que des trucs sur la merde, mais il suffit de faire 1% de ton œuvre sur la merde et ça y est, pour les journalistes tu ne parles que de ça. Mais, très bizarrement, non seulement ils ne te parlent que de merde, mais en fait dans le même temps ils n’abordent pas vraiment le sujet. C’est un truc de fou : ils se contentent de ricaner sur le côté pipi caca ! Ils n’abordent pas ça comme un vrai thème. Mais bon, le caca ce n’est qu’1% de ma production. Dans le tas il y a aussi une chanson d’amour, 2-3 chansons sur le meurtre, une chanson sur le racisme, une sur la gauche la droite, il y a de tout en fait ! Tout et rien. Je parle même de la cuisine japonaise !


La merde pose problème parce que c’est à la fois original, régressif et ultra spectaculaire en soi…

Oui, au bout d’un moment j’ai effectivement compris que c’était un élément spectaculaire que je pouvais utiliser dramatiquement dans un spectacle. Parce qu’aussi mauvais que je sois ce jour-là, la merde fera toujours son effet. Le caca c’est le caca, tu n’as pas besoin de t’agiter, tu le sors, c’est bon, ça ne te demande pas d'énergie.


A quel moment as-tu réalisé que tu n’avais pas de talent ?

J’ai toujours pensé ça moi. Je ne sais pas d’où ça vient. A l’école, je ne pouvais pas sortir avec une fille, car j’avais peur de ne pas bander et ça faisait tout foirer ! Aujourd’hui ça continue. Je pense toujours que je n’arriverai pas à faire un autre disque, un autre livre…

Pourtant, on le voit sur ton site, des disques et des livres tu en as sorti un paquet !
Oui, c’est à vomir ! Ma production me dépasse tellement que je n'arrive plus à suivre et à sortir des disques, c'est de la folie, de la diarrhée ! Mais comme en même temps c’est une drogue, si j'arrête j’ai envie de me suicider, car je dépéris directement. Je rajeunis si je fais une tournée, alors que je ne devrais plus faire ça depuis longtemps. Mais voilà, la connerie c’est mon bain de jouvence ! Peut-être parce je rentre dans des éléments primordiaux, merdiques et ça me détend. Ça me fait rire et ça me fait plaisir. Quand tu te vautres dans la merde, après tu es propre. Physiquement et mentalement. C’est comme un mec plein de sueur qui se prend une bonne douche, après une bonne fatigue, il se sent bien après, il se sent lavé, alors qu'il était couvert de boue. Quand tu te couvres avec de la vraie merde, sur le coup tu te dégoûtes mais après t’être douché tu te sens VRAIMENT propre. PROPRE. Tu sais ce que ça veut dire que d'être bien propre, bien savonné. C'est vraiment un plaisir. Tu te sens purifié ! Je pense que ce serait bien que tout le monde passe une heure à se vautrer dans sa vraie merde. J’irais même jusqu’à dire que c'est bon pour la santé. Moi c’est un peu pour ça que j’ai construit une philosophie complète autour de l’apologie de la merde !

Viva la merda parle-t-il de ça ?
Non, ça parle du contraire parce que c'est l’histoire d’un mec, typiquement moi, qui veut bien chier sur sa copine quand il bande, mais que ça dégoûte quand il a débandé. C’est l’histoire d’un couple anormal qui dérive totalement. Un jour, ils sont au bord de l'autoroute, il n’y a pas d'air d'autoroute, la nana s'arrête pour pisser et lui ça le fait bander donc il la saute. Le mec rentre donc à fond dans ces obsessions, mais la fille s'en fout, elle accepte juste pour lui faire plaisir. Le problème c’est que le mec s’enfonce là-dedans et comme moralement il n’assume pas ses obsessions, dès que des gens le voient faire, il se sent grillé et il commence par taper sa copine tellement il se sent mal puis il se met à tuer ces gens. Finalement, plus il chie plus il tue. Mais tout ça arrive uniquement parce qu’il croit qu'il a fait une chose immorale en chiant sur sa copine. Il croit que c'est un crime. Ce que sous-entend plus ou moins tout le monde. Moi je suis pareil que ce mec-là. Hors de mes délires, je suis super moraliste et réactionnaire.

Comment en es-tu venu à te confronter physiquement à la merde ? C’est un thème qui a déjà été abondamment traité en littérature, mais peu concrètement comme tu le fais…
Le truc qui se passe c’est que quoi je fasse les gens me disent que c’est de la merde. C’est de là que c’est venu. Parce que t’en vient à te dire : "Ah ouais, moi je fais de la merde ? Hé bien je vais te faire un show complet sur la merde, avec des chiottes et tout !" C’est comme les vers, c’est super intéressant ! Tu pourrais passer ta vie entière à parler de la merde non figurée, ce que je ne fais pas, contrairement à ce qu’on dit. Comme je suis assez éclectique, je n’insiste pas là-dessus, mais j’ai bien vu qu’il y avait là une niche commercial de malade ! Et puis la merde, comme tout le monde, c’est un sujet que je trouve moi aussi très con. Je ne suis pas un génie, je suis un mec très con. Je veux dire : je n’ai pas d’intuition et je n’ai pas révolutionner la musique à douze ans et demi. Moi je voulais jouer du Deep Purple à la base, tu vois le genre ? J’ai dérivé par manque de talent. Mais c’est ça qui m’a permis d’être meilleur. C’est très con ce que je dis, mais c’est ça. C’est par manque de talent que j’ai trouvé du champ, par la saturation du son. Assez vite j’ai compris qu’il y avait des trucs à faire là-dedans, que je pouvais me servir d’une certaine maladresse. Parfois c'est une fausse note qui te permet de faire un truc génial et bien, pour moi, la merde c’est pareil, c'est tout ce qui est chaotique, imprévu et qui fait le plaisir dans le cerveau. Tout ce qui est violent et qu’on n’a pas le droit de dire me fait plaisir.

(La suite.)

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25 juillet 2007 3 25 /07 /juillet /2007 01:37

Les junkies et la musique


Suite à un petit dialogue orienté drogue et rock’n’roll entre le réalisateur-scénariste Romain Novarina et l'écrivain rock Pierre Mikaïloff, collaborateur du rockzine Gonzaï, à propos du nouvel album des Happy Mondays, j’ai fouillé mes archives. En effet, en 2005, dans le cadre d'un article sur le Down in Albion de Pete Doherty et de ses Babyshambles j’ai interviewé deux psychiatres spécialisés sur la question pour le compte de Technikart. Le but ? Savoir si les junkies peuvent faire de bons disques ? Pour conclure j'ai aussi posé la question à Elisabeth Rossé, psychologue au centre médical Marmottan à Paris. Va-t-elle être aussi loquace et inspiré que son collègue Mario Blaise sur le sujet ?







"une fois qu'un mouvement musical est reconnu, l'association drogue-zik devient moins prégnante"

"un junky peut faire autant de bons disques que de mauvais"









Vous avez déjà travaillé sur le thème "drogue et musique", quelles formes prennent ces travaux, et à quelles thèses et conclusions avez-vous abouti ?

La problématique de ma thèse de doctorat en psychologie sociale consistait à s’interroger sur les liens entre musiques et drogues durant l’adolescence. Mon propos ne concerne donc pas les cas extrêmes, mais un phénomène actuel : l’usage "récréatif" de drogues en festival par les festivaliers. Dans le premier chapitre, la musique et la drogue sont présentées dans leurs spécificités, l’hétérogénéité de leurs expressions et pratiques, modelées par les contextes anthropologiques par et dans lesquels elles émergent. Il s'agit de savoir où et comment
musique et drogue se croisent ? Par la suite, dans le cadre théorique, il est question de l’adolescent. L’objectif de ce travail est de montrer que ces comportements constituent, pour la majorité des adolescents et jeunes adultes qui s’y adonnent, une médiation palliative à leur désir de reconnaissance. Une enquête, composée de trois études (exploratoire, par questionnaire et entretiens non directifs) a été effectuée. Trois réflexions explicatives découlent de la dialectique entre éléments théoriques et empiriques. Musiques et drogues proposent des modèles identificatoires, au sein de "tribus", qui correspondent, le temps de leur opérabilité, aux exigences paradoxales de l’adolescent et aux contraintes des sociétés actuelles. Pour échapper à l’ennui de l’attente adolescente et accéder au sentiment de continuité de Soi, les jeunes se construisent en narrant leurs vécus musicaux et psychotropes. Enfin, l’incarnation existentielle du désir de reconnaissance (le corps, le plus bel objet de consommation) trouve à s’exprimer dans ces entre-deux drogues-musiques où se négocie la distance accordée à chacun par rapport à Soi, avec Soi et avec l’Autre, les Autres.

Votre avis sur la médiatisation "glamour" de Pete Doherty et de Kate Moss ?
Rien. Pete Doherty est avant tout l’ancien leader des Libertines, habillé par Hedi Slimane qui
vient de sortir un livre sur lui. Mais ça, je pense que vous le savez déjà.



Recevez-vous en ce moment de plus en plus de patients toxicomanes, notamment des jeunes et des musiciens ?

L’officialisation des consultations "jeunes consommateurs" qui a comme premier objectif la problématisation de l’usage nocif de cannabis a engendré la venue de personnes plus jeunes mais aussi de " routards du joint". De même, les prises en charge, récemment proposées, en lien avec les nouvelles formes d’addiction (jeux vidéo, Internet mais aussi jeux d’argent), fait que nous recevons des populations toujours plus diversifiées, sans profil figé. Dans ma recherche, je me suis plus précisément interrogé sur les mouvements actuels et donc sur la techno. De plus, j’ai été bénévole à la mission rave de Médecins du Monde. Ce qui est manifeste concernant ce courant musical, c’est le nombre croissant de jeunes qui y adhèrent mais ce qui est plus curieux, c’est l’inflation de musiciens !
C’est-à-dire des jeunes qui vont être DJ pendant quelques heures lors d’un teknival, adoptant ainsi la position de celui que l’on vient écouter de manière éphémère. Ce phénomène peut s’expliquer par la condition de non interruption musicale posée dans les fêtes techno et plus particulièrement en teknival.

En quoi la drogue aide-t-elle, comme on le dit souvent, le processus créatif ?
S'il suffisait de se droguer pour être un artiste, cela se saurait ! La drogue désinhibe et peut
en cela participer au premier passage à l’acte sans jamais en être l’aboutissement. La stabilité historique du lien entre innovations musicales et consommations de psychotropes appuie cette idée. Mais par la suite, une fois que le mouvement artistique est reconnu, cette association est moins prégnante. Là encore le rôle des médias est capital : amplifiant l’étrangeté de la nouveauté par des stigmatisations hâtives.

Pourquoi selon vous la musique et le rock sont-il si souvent associé ?
On se répète souvent les mêmes histoires… pour ne pas les oublier ? Se rassurer ? Se (l’a) raconter ?

Comment se déroule une cure de désintox ?
Au quotidien, sur des années. On parle avant tout de vies humaines, de parcours. Concernant les traitements, il y en a autant que des drogues… Sans jamais oublier l’importance du biologique, il faut souligner que les prises en charge sont des "supports psychologiques" : des espace-temps d’écoute, de (re)création de liens. L’aliénation se situe aussi au niveau psychique : les difficultés existentielles ne peuvent être affrontées sans adjuvants chimiques. La parole doit être valorisée, réapprivoisée au cours d’entretiens réguliers.

Alors, les junky peuvent-ils faire de bons disques ?
Sérieusement, cette question a peu de sens : il est évident qu’un "junky" peut faire
autant de bons disques  que de mauvais… de même pour un "non junky".


Photo détournant la première pub iPod issue du site inanoblog.fr
qui précise que "l’organisation de lutte contre la Drogue allemande" à décliné ce célèbre symbol occidental en y apposant un slogan "qui signifie qu’aucune drogue n’est aussi inoffensive que la musique."

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23 juillet 2007 1 23 /07 /juillet /2007 13:40

Les junkies et la musique



Suite à un petit dialogue orienté drogue et rock’n’roll entre le réalisateur Romain Novarina et Pierre Mikaïloff collaborateur du rockzine Gonzaï à propos du nouvel album des Happy Mondays, j’ai fouillé mes archives. En effet, en 2005, dans le cadre d'un article sur le Down in Albion de Pete Doherty et de ses Babyshambles j’ai interviewé deux psychiatres spécialisés sur la question pour le compte de Technikart. Le but ? Savoir si les junkies peuvent faire de bons disques ? J'ai commencé par poser la question au docteur Mario Blaise, psychiatre au centre médical Marmottan à Paris.






"La drogue joue un rôle dans la construction de la figure de la rock star"

 


"Les junkies sont plutôt connus pour faire de mauvais disques"










Vous avez déjà travaillé sur le thème "drogue et musique", quelles formes prennent ces travaux, et à quelles thèses et conclusions avez-vous abouti ?

J’ai travaillé sur le thème "drogue et musique" car je souhaitais en faire ma thèse de médecine mais le sujet n’a pas été jugé assez médical pour cet exercice. De ces travaux, tout de même bien avancés, j’ai rédigé un résumé d’une douzaine de pages pour l’entrée "musique" du Dictionnaire des drogues et des dépendances paru chez Larousse en 2004. La forme de ce travail est plutôt une petite histoire des drogues et de la musique, organisée chronologiquement autour de trois grandes périodes : l’ère du jazz, l’ère du rock et l’ère des musiques électroniques. Ceci permet d’aborder les questions des liens entre drogue et musique au fur et à mesure que ces liens se sont construits. La plupart des questions sont transversales et retrouvées à toutes les époques. Exemple : figure de l’artiste maudit, initiation et diffusion de drogue dans le milieu musical, législation anti-drogue, prévention et diabolisation, drogue et créativité, sociabilité voire identification politique, prise de risque et sacré… Néanmoins, les liens entre drogue et musique prennent particulièrement sens à certaines époques. La drogue et la musique contribuent par exemple aux questions ethniques de l’ère du jazz, à l’identification générationnelle de l’ère du rock (naissance de l’adolescence), ou aux questions de territoires dans l’ère des musiques électroniques.

Votre avis sur la médiatisation "glamour" de Pete Doherty et de Kate Moss ?
La belle et le mauvais garçon : sans être fan, difficile d’y échapper. Médias et public sont friands de révélations scandaleuses. Il est particulièrement étonnant de voir combien le rapport aux drogues reste ambigu dans notre société. Elle ne valorise par clairement les excès de drogues dans certains groupes sociaux (artistes, musiciens, sportifs), mais il existe une certaine tolérance oscillant entre fascination et répulsion. C’est accepté au nom du spectacle, de la valeur artistique… Mais cela devient curieux pour un artiste quand on s’intéresse plus à son mode de vie qu’à sa musique. Il est savoureux de voir qu’au moment où Kate Moss s’affiche dans Paris pour Opium, elle fait scandale pour des photos révélant sa consommation de cocaïne.

Recevez-vous en ce moment de plus en plus de patients toxicomanes, notamment des jeunes et des musiciens ?

Nous recevons dans les centres de soins spécialisés en toxicomanie les gens pour qui, à un moment de leur vie, la consommation de drogues est devenue un problème et qui cherchent de manière volontaire à être aidés. Cela concerne beaucoup de gens d’horizons différents. Nous recevons des gens qui se considèrent en quelque sorte "en échec" dans leur consommation et qui sont demandeurs d'aide, et non pas les usagers occasionnels et ceux qui ne considèrent pas encore avoir de problèmes. Notre vision du centre spécialisé est forcément biaisée. La démocratisation de la consommation de drogues semble avoir eu lieu depuis les années 70, 80. Elle semble avoir pris depuis plusieurs années le tournant de la précarisation et concerner des jeunes en errance dans des situations sociales très précaires. D'autres lieux d'intervention, comme Médecin du monde, lors des teknivals, permettent de rencontrer d'autres types de consommateurs qui ne viendraient pas forcément consulter à Marmottan.

En quoi la drogue aide-t-elle, comme on le dit souvent, le processus créatif ?
La drogue est avant tout une expérience et comme toute expérience elle peut amener un processus de création fécond chez quelqu’un dont l’imaginaire permet de le nourrir. Mais bien plus souvent, la consommation de drogue s’apparente à du dopage. Véritables "working drugs", celles-ci permettent aux musiciens de gérer leur stress ou de se stimuler lors de tournées, interviews… Beaucoup plus de musiciens ont évoqué leur utilisation de drogues comme gestion du stress, du manque, de la fatigue, des émotions que comme moyen de défonce. Beaucoup ont aussi parler des effets négatifs de la drogue sur leur travail. Mais je précise : "working drug" n'est pas une "appellation contrôlée". Toute drogue peut jouer cette fonction d'aide à l'élaboration d'une tache. Si dans le cadre d'une compétition sportive on parle de dopage, pour un travail on peut parler de "working drug".

Pourquoi selon vous la musique et la drogue sont-il si souvent associé ?
La drogue trouve des liens avec tous les styles de musique populaire : jazz, rock, reggae, hip hop, techno…Mais c’est certainement avec la construction de la figure de la "rock star" que ses liens sont les plus mis en scène. Pour certains, c’est l’affaire Redlands en Angleterre en 1967 qui marqua le début de la médiatisation des histoires de drogues, comme si les Stones avaient inventé les drogues. Mais ce n'est pas la drogue qui construit la rock star, ce sont les médias et l'engouement du public. La drogue n'est souvent qu'un élément dans la construction du mythe de la star.

Comment se déroule une cure de désintox ?
On entend souvent parler de la célèbre cure de désintoxication de Keith Richards des Rolling Stones qui se serait fait changer le sang dans une clinique en Suisse. Il aurait dit par la suite que c’était juste une histoire inventée pour répondre à l’empressement des journalistes à sa sortie d’une énième cure. Cette anecdote ouvre la porte à tous les fantasmes : technicité médicale, contamination, incursion dans la vie privée... Dès que l’on parle de toxicomanie, vient la mythique cure de désintoxication. Comme si le problème de
dépendance aux drogues, habitude de vie souvent installée de manière progressive sur des années, pouvait disparaître en une à deux semaines de cure par élimination de je ne sais quelles toxines. Il est certes nécessaire d’avoir recours à des hospitalisations à certains moments de la trajectoire dans la toxicomanie, mais elles ne permettent souvent pas à elles seules de se déshabituer d’une dépendance. L’accompagnement au long cours, notamment avec des traitements de substitution pour la dépendance aux opiacés, est souvent nécessaire.

Pete Doherty a déclaré qu'on lui avait prescrit des patchs de drogue, cela existe-t-il ? Il existe effectivement des patchs contenant des opiacés, notamment du Fentanyl en patch, agoniste morphinique puissant utilisé dans le traitement des douleurs en chirurgie, anesthésie ou cancérologie. Il n’existe pas, en France du moins, d’utilisation comme traitement de substitution aux opiacés.

Alors, les junky peuvent-ils faire de bons disques ?
Pas besoin d’être un junkie pour faire de bon disque non plus, il y a d’ailleurs certains musicien qui revendiquent leur côté "straight". Les musiciens "junkies" sont plutôt connus pour faire des mauvais concerts que de mauvais disques.


(Suite et fin.)


la photo de Kate Moss issu du site les iconoblastes qui
réfléchit sur le sens et la construction des image de la psychiatrie et promouvoit de nouvelles images issues notamment de l'art contemporain, de la bande dessinée.....


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18 juillet 2007 3 18 /07 /juillet /2007 10:45
Sous l’emprise de l’hype ode

Question con : qui est le Lester Bangs du XXIe siècle ? Hypothèse réfléchie : Markus Giesler. Un professeur de marketing ? Un chercheur en nouvelles technologies ? Oui sans doute, car à l’heure où le rock est partout et la musique dématérialisée, la seule culture qui divise (un essai vient d’ailleurs de sortie sur la question, il s’intitule La tyrannie technologique), défriche et drive l’époque n’est plus la pop-culture mais la techno-culture et les joujoux high-tech c’est précisément le dada de cet éminent membre de l’Université d’York (Toronto). Interview.



"l’iPod véhicule une promesse de libération de notre enveloppe charnelle"

"Aujourd’hui Warhol peindrait des iPod"







Dans son livre intitulé Le théâtre des opérations, Maurice Dantec dit que les pyramides sont des outils technologiques au même titre que nos ordinateurs dans la mesure où le but de toute Technologie est, pour lui, de libérer notre esprit de la tyrannie de la chair pour lui faire atteindre la vie éternelle. L’iPod serait-il donc lui aussi une petite pyramide nous faisant miroiter la réincarnation des dieux pharaons ?

Si on se réfère à la doctrine des gnostiques, on peut dire que c’est le cas, oui. Erik Davis, un de mes auteurs de techno-culture favori, a décrit la dimension gnostique des outils technologiques dans son fascinant livre Techgnosis. Pour ma part, j’ai employé la notion de techno-transcendance dans mes études sur l’iPod pour exprimer comment l’iPod véhicule des promesses mythiques de libération de notre enveloppe charnelle. Mais il y a aussi des gens plus romantiques qui voient l’iPod comme un objet destructeur de lien social. Ces mythes sont profondément ancrés dans notre culture de consommateurs et surgissent pleinement quand il est question de l’utilisation des nouvelles technologies. La technologie entre en jeu un peu partout sous différents visages.

Revenons au design. Warhol a dit : "Si vous voulez tout savoir sur Andy Warhol, il vous suffit de regarder la surface de mes peintures, de mes films et de ma personne, c’est là que je suis. Il n’y a rien derrière." Cette phrase peut-elle s’appliquer à l’iPod ?
L’iPod a une esthétique très pure, très limpide, mais elle n’explique pas à elle seule son succès. Doug Holt, un autre de mes collègues, a une bonne théorie à ce sujet. Pour lui, la citation que vous faites incarne la mythique promesse de Warhol : être le produit star de son temps. Donc, oui, Warhol fait l’éloge de la superficialité mais la promesse mythique qu’il y a derrière est loin d’être superficielle. Warhol a également affirmé qu’il n’y avait aucune différence entre un musée et un supermarché. S’il était vivant aujourd’hui, Warhol peindrait probablement des iPod et non des boîtes de conserves de soupe Campbell. Là où Warhol et l’iPod innovent c’est qu’ils ont tous deux transcendé comme personne deux façon de voir apparemment opposées : l’authenticité culturelle et l’industrialisation de masse.

Vous vous intéressez aussi aux ordinateurs portables, aux PDA et téléphones mobiles. Quels nouveaux comportements l’utilisation de ces outils met-elle en évidence ?
Les comportements dont il s’agit ici ne sont pas nouveaux ! Néanmoins, mon approche des technologies consiste à proposer un discours alternatif au discours habituel sur les nouvelles technologies. Un exemple de ce discours dominant qui m’exaspère encore aujourd’hui et qui motive mes recherches est l’enthousiasme aveugle qu’a suscité l’avènement d’Internet, du cyberespace et des nouvelles technologies comme s’il s’agissait de quelque chose de sans précédent dans l’histoire de l’homme. Toutes les cultures sont immenses et sans précédent mais pour cela même elles sont toutes similaires et comparables. Si l’on veut vraiment s’avancer sur ce terrain, je peux d’ailleurs dire que la nouveauté prétendue du cyberespace est en fait un artifice de l’hyper modernité et une tentative de réimposer le discours dominant de la modernité en sanctifiant une nouvelle forme de technologie. La technophilie est une des doctrines clés de la modernité, l’idéologie de la modernité faire désespérément l’éloge d’Internet et des ordinateurs pour montrer qu’elle est encore vivante et aux avants postes de la société.

Quels étaient vos héros quand vous étiez jeune ? Des artistes, des sportifs ? Papa, maman ?
Malheureusement mon père est mort quand j’avais 8 ans, ce qui a presque automatiquement fait de lui un héro. Ma mère est une héroïne parce qu’elle m’a élevé toute seule. Ils étaient tous deux dans l’administration. Quand j’étais jeune, je voulais à tout prix faire de la musique donc je me suis mis très tôt au piano et j’ai monté mon propre label à 17 ans. Travailler dans les industries culturelles a été une bonne expérience parce que ça m’a sensibilisé au lien ténu qu’il y a entre culture et économie.


Vos théories sur l’iPod sont attractives. Apple vous a-t-il proposé de vous embaucher ou avez-vous vous-même pensé proposer vos services à Apple ?
Mon travail fonctionne de toute évidence sur un apprentissage mutuel entre moi et Apple et il recèle de nombreuses implications pour la pratique du marketing, la création de marque, la communication, etc. Aussi pour un chercheur il y a une responsabilité fondamentale qui consiste à servir les entreprises avec lesquelles on travaille, aussi bien les consommateurs que les décideurs, parce que in fine le système ne peut seulement fonctionner que si tous les acteurs qui le constituent profitent également du fruit de nos recherches.

Vos théories proposent tout de même une dimension critique sur ces "nouvelles" technologies. Dites-vous, entre les lignes, que des objets comme l’iPod sont dangereux car aliénants ?
Non. Je montre plutôt comment un discours si négatif peut prendre forme et quelles idées romantiques et issues de notre culture gnostique participent à sa création. Et je montre comment les consommateurs, les communicants et les décideurs prennent en compte ces penchants dans leurs stratégies marketing.

Mais ce n’est pas être romantique que de dire que les nouvelles technologies séparent les gens physiquement et géographiquement, de même qu’elles les déconnectent de la réalité en les mettant en face d’écrans, c’est un constat qu’on peut faire chaque jour en marchant dans la rue !
Non. C’est juste une interprétation idéologique et particulièrement dystopique (l'inverse de l'utopie, Nda) de la manière dont les technologies peuvent trouver un point d’accroche avec l’individualisme de chacun. En général cette interprétation sert d’ailleurs de tremplin à d’autres interprétations, plus utopiques, qui clameront leur fidélité à d’autres idéaux culturels et individuels, des interprétations qui, par exemple, souligneront comment l’iPod aide les étudiants à apprendre tout en marchant avec leurs écouteurs dans les oreilles, ou comment l’iPod crée une nouvelle communauté.

Ces nouvelles technologies séparent aussi les gens d’un point de vue sexuel. Love Labs, une société qui a le sens de l’humour et des affaires, a démontré inconsciemment ça en lançant l’iBuzz, la version sextoyisée de l’iPod. Qu’en pensez-vous ?
C’est un très bon exemple de ce que nous disons ou essayons de dire. Vous faites allusion à un nœud de croyance assez puritain dans le cadre duquel l’utilisation de sex toys est considérée comme une pratique sexuelle déviante parce qu’elle nous éloigne des motivations biologiques du rapport sexuel ou, d’un point de vue romantique, ils nous éloignent de l’union typique d’un homme et d’une femme. Ce discours n’est pas sans relation avec le discours freudien selon lequel les sex toys sont une sorte de compensation artificielle de la vraie Chose qui n’est autrement pas accessible. Cela se nourri en plus de valeurs modernes telles que la fidélité, la carence affective, la solitude, l’aliénation, l’égoïsme, l’isolement social, la honte, etc. Soudain, avec tout ce contexte historique et culturel, les technologies sont responsables d’agrandir encore plus le fossé qui sépare habituellement les gens. Mais les technologies ne séparent pas les gens par nature, c’est la façon dont nous les utilisons et dont l’utilisation des technologies a été historiquement définie dans notre culture. Ce background culturel nous forge des à priori tenaces alors que d’un point de vue biologique, rien ne déconseille une utilisation sociale des sex toys. Ce qui fait de l’iPod un objet fort c’est qu’il dispose du type d’interface propre à susciter la projection de tels discours sur lui et qu’il fait donc débat.

Si ces objets technologiques préfigurent les objets de consommation courante du futur, la société du futur ne s’annonce-t-elle pas quelque peu Orwellienne ?
L’hypothèse Orwellienne est intéressante parce qu’elle convoque de nombreuses anxiétés humaines. Depuis le temps qu’il y a ces technologies, il y a toujours eu des gens pour se lamenter des aspects sinistres et menaçants de cette perspective Orwellienne. Mais il y a aussi l’autre camp, plus optimiste. Et au final l’utilisation qu’on a des technologies sera toujours une combinaison ténue de ces deux camps. Pour moi, 2001 : L’odyssée de l’espace de Kubrick décrit exactement la façon dont nous programmons culturellement nos technologies et comment celles-ci se retournent contre nous si nous échouons à maintenir l’équilibre de ce processus. C’est une vision un peu agnostique des choses mais elle ouvre le débat culturel sur la manière dont nous devrions considérer nos technologies, afin d’en minimiser les conséquences négatives – quelles qu’elles soient.


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16 juillet 2007 1 16 /07 /juillet /2007 19:27
Sous l’emprise de l’hype ode ?

Question con : qui est le Lester Bangs du XXIe siècle ? Hypothèse réfléchie : Markus Giesler. Un professeur de marketing ? Un chercheur en nouvelles technologies ? Oui sans doute, car à l’heure où le rock est partout et la musique dématérialisée, la seule culture qui divise (un essai vient d’ailleurs de sortie sur la question, il s’intitule La tyrannie technologique), défriche et drive l’époque n’est plus la pop-culture mais la techno-culture et les joujoux high-tech c’est précisément le dada de cet éminent membre de l’Université d’York (Toronto). Interview.

"Les deux pôles de notre civilisation sont H&M et iPod. Pour un ado, la notion de durabilité comme celle de styles musicaux est devenue obsolète. Garder un blouson deux saisons ou s'installer dans une carrière n'est plus un argument de vente. En ce sens, les métiers de la mode et de la musique fonctionnent de manière analogue. La mode est capable en un clin d'oeil de faire monter un phénomène, comme de faire volte-face sans que cela ne choque personne. C'est pour ça qu'elle est aujourd'hui tant à la mode, car, après le modernisme et le postmodernisme, très adaptée à une époque profondément axée sur le présent. On achète une robe, on la lave une fois et on sait déjà qu'elle ne nous plaît plus." Ça ce n’est pas Markus Giesler qui le dit, mais Pascal Monfort, chanteur du groupe français The Shoppings, jeune prof de sociologie de la mode et accessoirement dénicheur de tendances chez Nike et directeur des pages modes/conso de Clark magazine. (Merci d'ailleurs à Jüül, dessinateur, notamment chez Gonzaï magazine, de m'avoir colporté ces propos qu'il avait trouvés dans un article de Libé.)

Mais Markus Giesler aurait pu en dire autant. Tout comme il aurait pu lui-même être musicien. Car bien sûr, il a beau être chercheur (le mec qu’on imagine vieux, cérébral, en blouse blanche), à la base il y a la musique dans la vie de ce jeune canadien. La folle envie d’en faire, d’être dans l’émotion. Mais comme chez tout bon rock-critic, la grâce musicale ne l'avait pas spécialement touché. Alors il a du se contenter "d’écrire sur". De s’héroïser en théorisant sur son (ses) héro(s).


Son héro (éros) ? Après son père, mort quand il avait 8 ans, "ce qui a presque automatiquement fait de lui un héro" et sa mère parce qu'elle l'a élevé toute seule, c'est la petite boîte blanche d’Apple. En s’en procurant une en 2001, date de sa mise sur le marché, il a basculé dans une nouvelle culture et embrassé du même coup une cause politique. Car à cette période "l’iPod était l’emblème de ceux qui téléchargeaient pour défier l’industrie du disque." Alors au lieu de s’intéresser au contenu (la musique), Markus Giesler a plongé dans le contenant (la technologie), flairant en bon disciple d’un autre chercheur canadien (Marshall McLuhan) qu’aujourd’hui comme hier le medium c’était le message, et l’iPod le prisme des années 2000 comme l’était le rock dans les années 60.

Aujourd'hui, de fan, cet universitaire gonzo qui "voyage à travers la matrice techno-culturelle" dans l’espoir que ses recherches "puissent la rebooter" est devenu un acteur clé du monde de la musique et des "nouvelles" technologies. Ses théories décryptant notre rapport aux machines l’ont rendues célèbre. Notamment son iPod Stories qui lui a valu d’être surnommé "L’anthropologue des cyborgs" et "Le philosophe de l’iPod".


Que signifie son concept du cyborg ? En quoi l’iPod prête-t-il à philosopher ?
C’est ce que je lui ai demandé par mail, en octobre 2005 et 2006. Ni critique, ni laudateur des technologies, il m’a donné une étrange impression lors des entretiens. Impression renforcée par son allure de yuppie à la Patrick Bateman (le serial killer trop propre sur lui pour être honnête d’American Psycho) comme en témoigne la photo ci-contre. Je le lui ai dit. Franco : "Pour moi, en incarnant à la fois le fan ultime et l’analyste lucide du manège iPod, vous êtes devenu un personnage clé de l’univers Apple que vous venez parachever. C’est comme si vous étiez le Néo de la matrice que l’iPod a mis en place. Un Jedi qui fricote avec le pouvoir et hésite entre le Bien et le Mal." Il a avoué trouver mes mots "un peu cavalier", voire "fort de café" (ça dépend comment on le traduit), mais n’a pas rejeté l’image. Et plus loin dans la discussion, il s’est même mis à me citer 2001 : L’odyssée de l’espace.

Il y a de quoi être fasciné par l’iPod, c’est un corps, le Corps de la musique, son incarnation pop laiteuse à l’heure de sa mise à nu numérique. Le coquillage et la Vénus réunis. Une surface lisse. Une belle fumisterie génitrice d’émotion, mythologiquement chargée comme le rock en fut une. S’il n’écrit pas sur le Velvet, le sujet de Markus est tout aussi Warholien. Et bien que ses théories démystifient en partie l’iPod et sa ribambelle de potes, elles le parent donc d’une aura comme les écrits de Bangs prolongeaient le truc rock tout en le critiquant. Alors : sous l’emprise de l’hype ode ?


"Les frontières entre nous et nos technologies s'estompent"

"L’iPod nano est si fin qu’on pourrait presque se l’implanter sous la peau"





Pourquoi avoir lancé l’iPod Stories, une étude destinée à récolter des propos racontant quel rapport les gens entretiennent avec leur iPod ?

Mon but c'est de montrer que les frontières entre nous et nos technologies s'estompent. De ce point de vue, je dirige aussi mes recherches sur d’autres appareils, comme les téléphones portables, les Blackberries et les ordinateurs de poche. Mais pour cette étude j'ai choisi l'iPod parce qu'il touche le grand public et suscite le débat. Je l’utilise comme un exemple type pour montrer comment le discours sur la consommation des technologies prend forme et se fond dans l’industrie de marché. Et j'ai pu mettre en évidence deux grands types de comportements face à l’iPod : d’un côté ceux qui n’y voient qu’un outil qui égaye le quotidien et de l'autre, ce qui est plus surprenant, ceux qui le voient comme une part hybride et identitaire d'eux-mêmes.

Comment expliquer ce rapport hyper fusionnel avec l'iPod ?
Nous vivons physiquement et psychiquement dans une matrice faite de liaisons économiques, culturelles, politiques et technologiques qui modèle nos vies. Une matrice où tout est connecté mais où rien ne s’additionne. Avec l'iPod, les choses s'additionnent enfin selon notre bon vouloir. Car Apple ne considère pas son lecteur MP3 comme un simple lecteur de musique, mais comme l'interface de référence de cette matrice techno-culturelle. Du coup, nous passons de "Je pense donc je suis" à "Je suis connecté donc je suis". Et nous entrons de fait dans une réalité où il devient de plus en plus difficile de savoir où commence la consommation des technologies et où s’achève la technologisation – ce que j’appelle cyborgisation – des consommateurs. C’est pourquoi l’attachement à l’iPod est si fort. Il est le funeste présage de notre devenir cyborg.

Le succès de l'iPod repose-t-il aussi sur l'imaginaire publicitaire qu'Apple a su créer ?
Non, la stratégie de communication d’Apple joue peu dans le succès de l’iPod. A première vue, on aurait pu penser que l’iPod allait être un énorme échec. Il a fallu du temps pour que l’appareil s’immisce dans nos habitudes de consommation. Mais ce qu’Apple a bien compris, c’est que ce n’est pas le produit en lui-même qui importe – d’un point de vue strictement technologique, l'iPod n’est pas une bête – ce qui importe c’est le nombre de connexions technologiques et sociales qu'il vend via ce produit. C’est sur cela que s’appuie la stratégie de communication de l’iPod.

Le design a-t-il un rôle clé dans le succès de l'iPod ?
Oui, c’est une donnée importante, mais seulement dans la mesure où celle-ci produit une valeur d’interface. La forme et la couleur de l’iPod produisent de la singularité sociale, donc une valeur ajoutée pour les consommateurs. Par exemple, si vous descendez l’avenue de Michigan à Chicago, les écouteurs blancs vous distinguent car ils indiquent aux passants que vous avez un iPod et que vous êtes donc connecté à la matrice.

Jakob Nielsen, designer chez Apple, a dit qu’à ses débuts l'eMac ressemblait à un bébé joufflu et qu’aujourd’hui le nouveau modèle ressemble plus à un top model anorexique. Que dire alors de l'iPod nano ?
Nous aimons évidemment anthropomorphiser nos outils technologiques. Par exemple, certains utilisateurs disent fréquemment que l’iPod Shuffle ne pioche pas leur MP3 au hasard dans leur répertoire mais prophétise leurs désirs. C'est intéressant. Concernant l'iPod nano, je pense qu’il peut avoir encore plus de succès que l’iPod classique parce qu'il est plus petit et peut emmagasiner beaucoup plus d’informations. Il est si fin qu’on pourrait presque se l’implanter sous la peau. On n’en est pas encore là bien sûr, mais d'une certaine manière il transcende sa nature d'outil par sa grande capacité à stocker du contenu identitaire, qui a trait à l’âme. C’est ce qui rend l’appareil si attractif.

En tant qu'interface matricielle, la PSP peut-elle supplanter l’iPod ?
Non, parce qu’elle propose une autre catégorie d’interface et en tant que consommateur cyborg, mon but ultime est d’étendre mes connexions aussi loin que possible, j’ai donc besoin des deux.


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