en chanteuse
Je viens de parler de Vincent Lindon via le film La moustache. Je vais maintenant parler de son ex-femme, Sandrine Kiberlain. Mais pas l'actrice, la chanteuse. Car chanteuse elle l'est depuis la sortie de Manquait plus que ça, son premier disque en mai 2005.
Je vous en reparle malgré le temps écoulé (l'interview remonte à l'été 2005) car je suis actuellement en train de préparer un long article sur les actrices-chanteuses, grâce auquel j'ai aussi interviewé depuis Jeanne Balibar et Cholé Mons. Mais Sandrine était la première. Et le moment fut exquis, juste ce qu'il faut. Et l'interview intéressante, toujours sur ce mode de la discussion que j'affectionne et qui a tendance à devenir mon unique manière de mener les interviews.
Je stressais un peu avant la rencontre. Je stresse toujours avant une interview d'artiste. L'impression de redevenir élève. La boule au bide d'avant l'exam. Totalement imprégné, vampirisé par la feuille de route que je me suis préparé. Concentré pour mener à bien mon scénario, construit sur le feeling me reliant et forant à travers l'univers et la psychée de l'artiste. J'ai des questions osées. Je mise beaucoup. Je veux qu'il en ressorte quelque chose de… spécial, de… durable de cette interview.
Je stresse toujours avant une interview d'artiste. Mais plus encore quand il s'agit d'une actrice que d'une chanteuse. Une actrice, j'ai l'impression, ce n'est pas comme une chanteuse. Pas comme les chanteuses que je rencontre d'habitude. J'ai toujours l'impression qu'il va falloir prendre des gants avec une actrice, que ça va être plus pincé une actrice, moins nature, moins franc du collier. Comme si l'actrice restait tout le temps actrice. Qu'elle était moins souvent la femme sous l'actrice. Qu'elle était moins la femme sous l'actrice que la chanteuse est la femme sous la chanteuse.
Une actrice, j'ai toujours l'impression que ça se lâche moins. Ça représente autre chose, c'est plus superficiel, il y a trop de tuyaux autour d'elle, une actrice. L'impression que si elle lâche, ça pète. Car elle est l'otage d'une industrie plus lourde, le fruit d'une popularité plus grande, conditionné par le poids de l'image, prise au centre d'un film qui finalement lui échappe de trop, qui ne se réduit pas à elle.
Mais j'ai eu la chance de rencontrer Sandrine Kiberlain la chanteuse et tout s'est bien passé. Limite j'aurais rencontré Sandrine Kiberlain l'actrice, et ç'aurait été tout comme, juste, charmant, léger, dans le cadre idylliquement zen d'un bar/resto boisé chic.
Je voulais en profiter pour lui poser une question au sujet d’un monologue qu’elle tient dans le film Rien sur Robert, devant un Fabrice Lucchini subitement médusé, sans voix. Un comble connaissant l'hystérie verbale du bonhomme. A vrai dire, les quelques jours qui ont précédé la rencontre, cette scène m'a presque obsédée. Parce que dans sa bouche, elle fait tâche. Cette tirade qui cause cul crûment, qui déboule sans prévenir et vide son sac froidement, elle contraste tellement avec ce qu’est Sandrine, c'est-à-dire une femme et une actrice au physique et au caractère lunaire, maladroit, effacé, qu’on obtient un moment culte. Qui souffle sa grâce comme un boulet de canon.
Oui, les quelques jours qui ont précédé la rencontre, c’est limite si je ne fantasmais pas sur Sandrine en partant de cette scène. Un comble. Elle n’est pas canon Sandrine. Elle a un physique un peu trop bancal, décalé. Mais décalé juste ce qu’il faut, je dirais. Elle le sait. Et elle en parle d’ailleurs très bien elle-même dans le single de son premier album d’actrice devenue chanteuse. Une vraie. Parce qu’elle écrit aussi ses propres textes. Parce qu’elle a des choses à dire et qu’elle les dit joliment, justement, parfois durement sous couvert d'épure, de simplicité, dans un français limpide, impossible à esquiver.
Charlotte Gainsbourg aurait dû prendre un peu exemple la démarche super sincère Sandrine. Ça ne l'aurait pas fait accoucher d'un album anglophile, chic et vaporeux à mourir. Le disque de Sandrine Kiberlain n'est pas un sommet ni même un must-have, mais un rien décalé comme son auteure et lui ressemblant traits pour traits on se surprend à l'écouter avec plaisir cette petite soeur cachée d'Alain Souchon.
(Suite.)