20 février 2008
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Le mal
par le mal

12 février 2008. 18h30. Dans une heure, ouverture des portes au Divan du Monde, Mendelson en concert. C'est leur première date à Paris depuis la sortie de Personne ne le fera pour nous, un album qui suscite une vague de soutien public et critique comme on en voit rarement. Alors voilà, j'ai le choix, je suis invité mais je suis crevé six pied sous terre : j'y vais où j’y vais pas ?
Ce n'est pas tous les jours que Mendelson se produit sur scène, et leur album je ne l'écoute pas tous les jours mais il m'a tellement scotché que je suis curieux de voir ça live. Excité même, car en interview Pascal Bouaziz m'a appris qu'il aimait jouer fort sur scène, qu'il était presque plus un homme de son que de sens. C'est dire vu la qualité de ses textes. Allez j'y vais. On verra. J'ai besoin d'aller au bout du truc. Le mal par le mal. Peut-être que ça me plombera, peut-être pas... Devant la salle les fans s'impatientent. Contrairement à moi ils sont fiers d'avoir payé leur place. La bonne humeur se lit sur les visages. Chacun se sent utile comme s'il allait accomplir un acte de désobéissance civile.
Dans la salle comme je m'y attendais c'est profil Inrocks, trentenaires, beaucoup de mecs, un peu dandy, un peu prof. Mais pas mal de nanas aussi. D'ailleurs je croise une prof de français du collège où je bosse à temps partiel. "Hey, on écoute la même musique, délire !" Mais ce qu'elle me vantera après c'est plus les textes que la musique. Des chaises sont diposés devant la scène. Je vois une fille. De la place libre. Je m'asseois à côté d'elle. Audace. Débarque un couple d'amis que je n'attendais pas ! Lui, journaliste : "Je savais que j'allais retrouver de l'intello dans la place."
La première partie arrive et me laisse perplexe. J'ai l'impression qu'elle laisse tout le monde perplexe. Elle s'appelle Serafina Steer, c’est une anglaise, twentysomething, plutôt blonde, plutôt cheveux courts. "Encore un clône de CocoRosie s'emporte mon voisin de droite !" Je tempère. D'une j'aime bien CocoRosie, de deux si Serafina a un côté "fée folktronica" parce qu’elle gratouille une mini harpe et bidouille un mini clavier, elle me fait plus penser à une Kate Nash médiévale. Rapport à son accent (cockney), son look (quelconque) et les histoires qu’elle chantent (celles d’une girl next door qui porte un regard amusé et mordant sur la vie). La salle accroche bof. La faute à pas de tube, pas de mélodies terribles ni de réel charisme. La faute surtout à ce qu’on n’a pas trop envie d’amuse gueule quand on sait ce qui nous attend après.
Mais la petite on se dit qu’elle a quand même du courage d’être là. On ne la connaît ni d’Eve ni d’Adam et elle nous fait face, seule, avec juste ses petits doigts qui frottent sa harpe le temps de quelques morceaux. D'ailleurs au fur et à mesure qu'on écoute ce filet de notes magiques et surannées et qu’on capte l’ironie nichée derrière sa candeur, on se rend bien compte qu’on est déjà plus si insensible que ça à son charme. Que limite il se passe un truc entre nous et Serafina. Moi je ne sais pas pourquoi mais à un moment je me suis dit clairement : "La musique de cette fille me fait penser aux Smiths". Ça me semblait totalement incongru de penser ça là, maintenant, mais c’est comme si ses entrelacs d'harpe me rappelaient les accords de Johnny Marr. J’ai halluciné quand le morceau d'après elle s'est mise à reprendre "Suedehead" de Morrissey. Ah, ce morceau, si bien repris en plus (magique et suranné) et lui allant si bien (les textes du Moz sont si "féminins"), j’avoue, j’ai craqué.
Et puis très vite Pascal Bouaziz arrive, avec son acolyte Pierre-Yves Louis à la deuxième guitare, tout discret au fond à gauche, sous son sweat-shirt à capuche. Et le silence se fait. Un concert de Mendelson est toujours un événement en soi mais plus particulièrement celui-ci. Mendelson vient en effet de remporter une grande victoire sur les pessimistes et l’industrie du disque en vendant 800 exemplaires digitaux de son quatrième album via son site. Personne ne le fera pour nous peut donc enfin sortir dans les bacs. Hourra. Alors silence voilà, le roi est là. Et devant ses fidèles il ne se débine pas. Du haut de sa stature gaullienne il fait face au "peuple Mendelson" et lui adresse un petit speech tout en humour pince sans rire sur l’air de "vous m'avez compris, je vous ai compris".

Ceci dit, Pascal recul dans l’obscurité, saisit une télécommande. Au centre de la scène l’écran géant s'illumine : un épi de blés apparaît, un, puis deux, tout un champ doré, ondoyant. Le songwriter empoigne sa guitare, beige et lourde comme les blés. Lourde comme le silence qui ne demande qu’à casser. "A vivre trop longtemps dans sa tête, on perd le sens commun". Ambiance. C'est la première fois que vois Mendelson en live et je réalise pleinement que ce groupe se chauffe d’un autre bois que tout ce qui se fait en chanson ou en rock français. Tournés vers l’écran, les deux hommes confrontent l’électricité de leurs instruments à la folie des images (dispositif de Nicolas Bouaziz) et plantent une monstrueuse entaille free jazz en plein cœur de la chanson, genre The Doors rencontre Godspeed You ! Black Emperor. Wouah.
Le morceau suivant est aimable comme une porte de prison. Pareil pour "La honte", qui "vous possède plus que l’odeur sous vos aisselles". Pareil pour "Ardèche", pour "J'aime pas les gens", pour "Crétin" (superbe riff rock au passage, couillu, fouille-merde). Toute cette noirceur sans échappatoire, ces textes retors, ces guitares barbelées qui bourdonnent, ce braiser murmurant qui dessinent un malaise, un désert… et pas l’ombre d’un tube où s’abriter, à part "Personne ne le fera pour nous" qui semble filer sur l’asphalte par temps de ciel bleu, que du brut, du dur. Pardonnez-moi l’expression, mais on se fait enchaîner la race. Quelqu’un nous dit que vivre c’est bouffer une tartine de merde, être en guerre, et assis sur nos chaises pliantes qui nous font mal au cul on tripe.
Moi, c'est tellement fort, violent, massif que ça me berce. Je suis happé, paralysé, hypnotisé, submergé par ce son, cette musique, ces images. Tellement que ça m’emmène en moi-même. Je ferme les yeux et je suis à deux doigts de m'endormir, d’accueillir ce ciel qui me tombe sur la tête, de tomber avec lui, mais je ne m'endors pas, je reste juste comme ça, groggy, entre le réel et le sommeil, entre le concert et moi-même et ça me donne l’impression de vivre quelque chose de surnaturel. C'est comme regarder un film qui, trop lent trop beau trop contemplatif, vous fait décrocher au bout d’un moment donné et vous vous laissez aller, vous vous laisser aller à perdre connaissance, voilà, vous perdez un peu connaissance et c'est très bien comme ça, parce que vous n'avez même pas l'impression de manquer le film, votre sommeil c'est encore le film, c’est plus que jamais le film, vous êtes dans le film. Comme dirait un internaute, je n'écoute pas Mendelson, je rêve Mendelson.
"Barbara" fait son entrée. Enfin "Barbara", je veux dire "1983". Ce morceau, n'est pas le dernier mais quelque part c’est déjà la fin parce que c’est le titre tant attendu, le morceau que les gens préfèrent. Et c’est vrai qu’il est à part. Ce morceau-monde (ou morceau-film) de plus 10 minutes ce n’est pas le premier de Mendelson (là est un peu son style : écrire des chansons comme si c’était des films), mais c’est le plus touchant, le plus universel comme on dit. Le morceau commence et je pense à Dominique A. Je sais, ça ne se fait pas trop de penser à ce genre de choses dans un moment presque sacré mais je trouve que "Barbara" a des accointances avec "Rue des Marais", dans son rapport à l’enfance, au souvenir, au regard sur le monde qu’on en a tiré. Et je sais que ça se fait encore moins (comparer les artistes, parce que ce ne sont pas des sportifs) mais dans ma tête j’en conclue que Mendelson est plus fort que Dominique A parce que là où l’un reste campé dans les canons pop et le lyrisme de Brel et Ferré l’autre largue vraiment les amarres avec une aridité et une tendresse peu commune....

Le stream of consciousness de "Barbara" me rattrape tel un géant charriant amour, enfance, social, cette multitude de détails qui fait la vie, une vie. L’écran se met à diffuser des images de Bagnolet, cet endroit perdu dans les hauteurs où je courrais quand j’habitais Montreuil, pour me défouler, rêver, surplomber le périph. Je suis touché en plein cœur. Et chacun semble l’être pour des raisons connues de lui seul. On frôle la standing ovation.
Tout s’achève sur le flottement presque sexy et très "Coney Island Baby" de "Scanner". Quel concert. J'ai vécu un truc fort avec ma voisine de gauche et je suis sûr qu'elle aussi. Je pouvais le sentir à ce qu'elle se demandait ce que je griffonnais pendant le concert et qu'en même temps elle n'osait pas me regarder. Entre nous il y avait une de ces tensions érotiques dont on ne saura jamais ce qu'elle aurait pu donner. Elle est partie sans me regarder. C'est parfait comme ça.
Photos par Vincent Nury de La Bobine de Grenoble
par le mal

12 février 2008. 18h30. Dans une heure, ouverture des portes au Divan du Monde, Mendelson en concert. C'est leur première date à Paris depuis la sortie de Personne ne le fera pour nous, un album qui suscite une vague de soutien public et critique comme on en voit rarement. Alors voilà, j'ai le choix, je suis invité mais je suis crevé six pied sous terre : j'y vais où j’y vais pas ?
Ce n'est pas tous les jours que Mendelson se produit sur scène, et leur album je ne l'écoute pas tous les jours mais il m'a tellement scotché que je suis curieux de voir ça live. Excité même, car en interview Pascal Bouaziz m'a appris qu'il aimait jouer fort sur scène, qu'il était presque plus un homme de son que de sens. C'est dire vu la qualité de ses textes. Allez j'y vais. On verra. J'ai besoin d'aller au bout du truc. Le mal par le mal. Peut-être que ça me plombera, peut-être pas... Devant la salle les fans s'impatientent. Contrairement à moi ils sont fiers d'avoir payé leur place. La bonne humeur se lit sur les visages. Chacun se sent utile comme s'il allait accomplir un acte de désobéissance civile.
Dans la salle comme je m'y attendais c'est profil Inrocks, trentenaires, beaucoup de mecs, un peu dandy, un peu prof. Mais pas mal de nanas aussi. D'ailleurs je croise une prof de français du collège où je bosse à temps partiel. "Hey, on écoute la même musique, délire !" Mais ce qu'elle me vantera après c'est plus les textes que la musique. Des chaises sont diposés devant la scène. Je vois une fille. De la place libre. Je m'asseois à côté d'elle. Audace. Débarque un couple d'amis que je n'attendais pas ! Lui, journaliste : "Je savais que j'allais retrouver de l'intello dans la place."
La première partie arrive et me laisse perplexe. J'ai l'impression qu'elle laisse tout le monde perplexe. Elle s'appelle Serafina Steer, c’est une anglaise, twentysomething, plutôt blonde, plutôt cheveux courts. "Encore un clône de CocoRosie s'emporte mon voisin de droite !" Je tempère. D'une j'aime bien CocoRosie, de deux si Serafina a un côté "fée folktronica" parce qu’elle gratouille une mini harpe et bidouille un mini clavier, elle me fait plus penser à une Kate Nash médiévale. Rapport à son accent (cockney), son look (quelconque) et les histoires qu’elle chantent (celles d’une girl next door qui porte un regard amusé et mordant sur la vie). La salle accroche bof. La faute à pas de tube, pas de mélodies terribles ni de réel charisme. La faute surtout à ce qu’on n’a pas trop envie d’amuse gueule quand on sait ce qui nous attend après.
Mais la petite on se dit qu’elle a quand même du courage d’être là. On ne la connaît ni d’Eve ni d’Adam et elle nous fait face, seule, avec juste ses petits doigts qui frottent sa harpe le temps de quelques morceaux. D'ailleurs au fur et à mesure qu'on écoute ce filet de notes magiques et surannées et qu’on capte l’ironie nichée derrière sa candeur, on se rend bien compte qu’on est déjà plus si insensible que ça à son charme. Que limite il se passe un truc entre nous et Serafina. Moi je ne sais pas pourquoi mais à un moment je me suis dit clairement : "La musique de cette fille me fait penser aux Smiths". Ça me semblait totalement incongru de penser ça là, maintenant, mais c’est comme si ses entrelacs d'harpe me rappelaient les accords de Johnny Marr. J’ai halluciné quand le morceau d'après elle s'est mise à reprendre "Suedehead" de Morrissey. Ah, ce morceau, si bien repris en plus (magique et suranné) et lui allant si bien (les textes du Moz sont si "féminins"), j’avoue, j’ai craqué.
Et puis très vite Pascal Bouaziz arrive, avec son acolyte Pierre-Yves Louis à la deuxième guitare, tout discret au fond à gauche, sous son sweat-shirt à capuche. Et le silence se fait. Un concert de Mendelson est toujours un événement en soi mais plus particulièrement celui-ci. Mendelson vient en effet de remporter une grande victoire sur les pessimistes et l’industrie du disque en vendant 800 exemplaires digitaux de son quatrième album via son site. Personne ne le fera pour nous peut donc enfin sortir dans les bacs. Hourra. Alors silence voilà, le roi est là. Et devant ses fidèles il ne se débine pas. Du haut de sa stature gaullienne il fait face au "peuple Mendelson" et lui adresse un petit speech tout en humour pince sans rire sur l’air de "vous m'avez compris, je vous ai compris".

Ceci dit, Pascal recul dans l’obscurité, saisit une télécommande. Au centre de la scène l’écran géant s'illumine : un épi de blés apparaît, un, puis deux, tout un champ doré, ondoyant. Le songwriter empoigne sa guitare, beige et lourde comme les blés. Lourde comme le silence qui ne demande qu’à casser. "A vivre trop longtemps dans sa tête, on perd le sens commun". Ambiance. C'est la première fois que vois Mendelson en live et je réalise pleinement que ce groupe se chauffe d’un autre bois que tout ce qui se fait en chanson ou en rock français. Tournés vers l’écran, les deux hommes confrontent l’électricité de leurs instruments à la folie des images (dispositif de Nicolas Bouaziz) et plantent une monstrueuse entaille free jazz en plein cœur de la chanson, genre The Doors rencontre Godspeed You ! Black Emperor. Wouah.
Le morceau suivant est aimable comme une porte de prison. Pareil pour "La honte", qui "vous possède plus que l’odeur sous vos aisselles". Pareil pour "Ardèche", pour "J'aime pas les gens", pour "Crétin" (superbe riff rock au passage, couillu, fouille-merde). Toute cette noirceur sans échappatoire, ces textes retors, ces guitares barbelées qui bourdonnent, ce braiser murmurant qui dessinent un malaise, un désert… et pas l’ombre d’un tube où s’abriter, à part "Personne ne le fera pour nous" qui semble filer sur l’asphalte par temps de ciel bleu, que du brut, du dur. Pardonnez-moi l’expression, mais on se fait enchaîner la race. Quelqu’un nous dit que vivre c’est bouffer une tartine de merde, être en guerre, et assis sur nos chaises pliantes qui nous font mal au cul on tripe.
Moi, c'est tellement fort, violent, massif que ça me berce. Je suis happé, paralysé, hypnotisé, submergé par ce son, cette musique, ces images. Tellement que ça m’emmène en moi-même. Je ferme les yeux et je suis à deux doigts de m'endormir, d’accueillir ce ciel qui me tombe sur la tête, de tomber avec lui, mais je ne m'endors pas, je reste juste comme ça, groggy, entre le réel et le sommeil, entre le concert et moi-même et ça me donne l’impression de vivre quelque chose de surnaturel. C'est comme regarder un film qui, trop lent trop beau trop contemplatif, vous fait décrocher au bout d’un moment donné et vous vous laissez aller, vous vous laisser aller à perdre connaissance, voilà, vous perdez un peu connaissance et c'est très bien comme ça, parce que vous n'avez même pas l'impression de manquer le film, votre sommeil c'est encore le film, c’est plus que jamais le film, vous êtes dans le film. Comme dirait un internaute, je n'écoute pas Mendelson, je rêve Mendelson.
"Barbara" fait son entrée. Enfin "Barbara", je veux dire "1983". Ce morceau, n'est pas le dernier mais quelque part c’est déjà la fin parce que c’est le titre tant attendu, le morceau que les gens préfèrent. Et c’est vrai qu’il est à part. Ce morceau-monde (ou morceau-film) de plus 10 minutes ce n’est pas le premier de Mendelson (là est un peu son style : écrire des chansons comme si c’était des films), mais c’est le plus touchant, le plus universel comme on dit. Le morceau commence et je pense à Dominique A. Je sais, ça ne se fait pas trop de penser à ce genre de choses dans un moment presque sacré mais je trouve que "Barbara" a des accointances avec "Rue des Marais", dans son rapport à l’enfance, au souvenir, au regard sur le monde qu’on en a tiré. Et je sais que ça se fait encore moins (comparer les artistes, parce que ce ne sont pas des sportifs) mais dans ma tête j’en conclue que Mendelson est plus fort que Dominique A parce que là où l’un reste campé dans les canons pop et le lyrisme de Brel et Ferré l’autre largue vraiment les amarres avec une aridité et une tendresse peu commune....

Le stream of consciousness de "Barbara" me rattrape tel un géant charriant amour, enfance, social, cette multitude de détails qui fait la vie, une vie. L’écran se met à diffuser des images de Bagnolet, cet endroit perdu dans les hauteurs où je courrais quand j’habitais Montreuil, pour me défouler, rêver, surplomber le périph. Je suis touché en plein cœur. Et chacun semble l’être pour des raisons connues de lui seul. On frôle la standing ovation.
Tout s’achève sur le flottement presque sexy et très "Coney Island Baby" de "Scanner". Quel concert. J'ai vécu un truc fort avec ma voisine de gauche et je suis sûr qu'elle aussi. Je pouvais le sentir à ce qu'elle se demandait ce que je griffonnais pendant le concert et qu'en même temps elle n'osait pas me regarder. Entre nous il y avait une de ces tensions érotiques dont on ne saura jamais ce qu'elle aurait pu donner. Elle est partie sans me regarder. C'est parfait comme ça.
Photos par Vincent Nury de La Bobine de Grenoble